"Souveraineté énergétique" : une commission d'enquête de l'Assemblée fait le procès de 30 ans de retard
La France a accumulé en trente ans "un retard considérable" dans sa capacité à couvrir ses besoins en énergie, notamment en électricité, conclut une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, dans un rapport présenté ce 6 avril. Elle appelle à une programmation sur 30 ans et à une relance du nucléaire.
Dans un rapport présenté jeudi 6 avril, fruit de 88 auditions aux allures de psychothérapie de groupe menées au coeur d'un hiver marqué par l'insuffisante production du parc nucléaire, la commission "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" fait le procès de ce qu'elle qualifie de "lente dérive" et de "divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente" depuis le mitan des années 1990.
"Nous nous trouvons donc aujourd'hui face à un mur énergétique inédit", estiment le rapporteur de la majorité Antoine Armand et son collègue LR, le président de la commission Raphaël Schellenberger, dans ce rapport au parti pris pro-nucléaire assumé.
"Ce que change notre commission d'enquête, c'est la perception du caractère essentiel des sujets d'énergie dans le débat public", a estimé lors d'un point presse Raphaël Schellenberger, signalant jusqu'à 2 millions de vues pour certaines auditions. Débat dont il a d'ailleurs regretté qu'il soit monopolisé à tort par une seule question, pour ou contre le nucléaire.
Experts, scientifiques, dirigeants d'entreprises et d'organismes de régulation, hauts fonctionnaires, anciens ministres et même deux anciens présidents de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont été interrogés depuis le 2 novembre, au fil de 150 heures d'auditions.
"Dépendances multiples aux énergies fossiles importées"
Le rapport réserve une grande partie de ses attaques aux années du quinquennat Hollande de 2012 à 2017, accusé d'avoir "lourdement aggravé la situation" en programmant, dans l'ombre de l'accident de Fukushima en 2011, de réduire la part du nucléaire à 50% du mix électrique, impliquant la fermeture annoncée de nombreuses centrales. Fessenheim est finalement la seule à avoir été fermée, en 2020. Or dans le même temps, la France a pris du retard sur le solaire et l'éolien et mal jaugé ses besoins à venir en électricité, en les sous-estimant, juge la commission.
"Au fil des trente dernières années, notre mix énergétique a finalement peu évolué et ses fragilités se sont accrues", résume le rapport dont la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a salué "le sérieux". Au fil des 372 pages, le document pointe des "dépendances multiples aux énergies fossiles importées (gaz et pétrole, NDLR) qui se raréfient et s'épuiseront à l'horizon de quelques décennies". Il critique aussi le "très faible développement des moyens de maîtrise de la demande (comment consommer moins, NDLR) et des énergies thermiques renouvelables" comme le bois, la géothermie, les chauffe-eaux solaires, pompes à chaleur, pellets, biogaz, etc.
Trente recommandations
Rédigé dans un style grand public, le rapport formule trente recommandations, la plupart à l'appui de la relance nucléaire promue par l'exécutif, dont il soutient au passage le projet de réorganisation controversée de la sûreté nucléaire. Il milite aussi en faveur du maintien des installations hydroélectriques dans le domaine public, en leur appliquant par exemple un dispositif de quasi-régie pour éviter toute mise en concurrence prônée par Bruxelles et relancer les investissements nécessaires.
Parmi les propositions mises sur la table, le rapport recommande une "loi de programmation énergie climat sur trente ans avec des objectifs climatiques, énergétiques et industriels ainsi que les moyens afférents, qui fera l'objet d'un suivi étroit et régulier par le Parlement et les institutions expertes". Il demande aussi une "transparence accrue" et une meilleure anticipation de la part d'EDF, alors que le parc nucléaire est fragilisé par des phénomènes de corrosion de la tuyauterie de certains réacteurs et doit passer le cap des cinquante ans d'âge.
Efforts de décarbonation à renforcer
Il préconise aussi de renforcer les efforts de décarbonation de tous les secteurs émetteurs, en particulier dans le transport avec l’accélération des projets de transports en commun et de fret ferroviaire et avec la réduction du poids des véhicules par des dispositifs incitatifs. Il propose également d'évaluer les dispositifs de rénovation énergétique pour "prioriser les plus efficaces", se donner des objectifs de baisse de consommation mesurables et les décliner par département tout en lançant un plan de filière pour développer les formations. Il recommande aussi de réviser les objectifs de chaleur renouvelable, qui selon plusieurs instituts pourraient être au moins doublés à horizon 2030, et de renforcer le Fonds Chaleur associé. Il appelle aussi à lancer "dès que possible" les appels d’offres pour les 50 parcs éoliens offshore qui sont aujourd'hui prévus, de rendre contraignante leur installation et de sécuriser le financement et l’engagement du porteur de projet.
"Une des propositions les plus fortes, c'est peut-être que maintenant il faut y aller sur l'inventaire minier et la remise en exploitation de nos sous-sols", a aussi estimé Raphaël Schellenberger. Interrogé par l'AFP, le directeur général délégué du service géologique national (BRGM) Christophe Poinssot se félicite : "C'est évident qu'on trouvera des réserves d'envergure dans le sous-sol français qu'on ne connaît pas aujourd'hui."
"Le rapport donne l'impression de servir a posteriori de caution à la politique énergétique menée par Emmanuel Macron depuis 2017", a pour sa part critiqué la députée écologiste EELV Julie Laernoes, membre de la commission et citée dans le rapport.