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Société de confiance : la discussion du projet de loi menée tambour battant à l'Assemblée

L'Assemblée nationale a achevé dans la soirée du 25 janvier l'examen en première lecture du projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance, après avoir épluché près d'un millier d'amendements. Petite enfance, agents publics, agriculture, bâtiment, énergies renouvelables…: point d'étape sur les nombreux domaines susceptibles d'impacter les collectivités, avant les explications de vote et le scrutin public prévus le mardi 30 janvier dans l'après-midi.
 

Texte "fourre-tout" pour ses détracteurs, le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, dont l'Assemblée nationale vient de terminer l'examen en première lecture, se veut pourtant, selon le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, en rupture avec la tradition des lois de simplification "catalogue". Animé par le renouvellement des méthodes de l'action publique, notamment à travers l'emblématique "droit à l'erreur", ce texte entend aussi marquer un tournant sur la forme en privilégiant très largement le recours à l'expérimentation (plus d'une quinzaine au total).

Stratégie d'action publique en annexe

L'article préliminaire définit les objectifs de l'action publique à horizon 2022. Cette stratégie nationale annexée au projet de loi s'articule autour de l'affirmation de principes généraux d'organisation et d'action, complétés en séance notamment pour rappeler le caractère loyal des rapports entre le public et l'administration ou pour introduire clairement le principe de décentralisation de l'administration. Un amendement - défendu par Vincent Descoeur (LR) - vise encore à s'assurer que l'adaptation de l'organisation de l'administration "tienne compte des impératifs d'aménagement du territoire". Les usagers pourront également compter sur un dispositif "d'accueil téléphonique efficient". Toujours dans cette logique principielle, un autre amendement - porté par le chef de file LREM Laurent Saint-Martin - instaure un droit à connaître de sa situation administrative et de l'état d'avancement du traitement de ses démarches et demandes administratives. La dématérialisation des procédures devra en outre prévoir une prise en compte des besoins d'accompagnement des citoyens "ayant des difficultés d'accès aux services dématérialisés".

Droit à l'erreur

Les objectifs que le texte définit dans la stratégie nationale trouvent une première déclinaison concrète dans l'article 2, véritable "pierre angulaire", qui consacre au profit du public un droit à l'erreur présenté comme la possibilité de se tromper dans ses déclarations à l'administration sans risquer une sanction dès le premier manquement. C'est en effet à l'administration qu'il appartiendra de prouver la mauvaise foi de l'usager, marquant selon le ministre une  "révolution copernicienne". Dans l'hémicycle, l'article a fait l'objet de quelques retouches, notamment pour clarifier, à l'initiative des Insoumis, que le mécanisme est bien "limité à la première erreur". L'erreur matérielle de saisie, par nature involontaire, entrera dans ce dispositif. L'Assemblée a par ailleurs complété le texte (article 2 bis nouveau) en adoptant un amendement de l'exécutif créant un nouvel article au sein du code des relations entre le public et l'administration (L. 114-5-1) afin d'empêcher la suspension de l'instruction d'un dossier de demande d'attribution de droits lorsqu'il manque une pièce non essentielle au dossier.

Rescrit administratif

A l'article 9, les députés ont consacré l'opposabilité au profit des administrés de l'ensemble des instructions et circulaires émanant des services de l'État, centraux mais aussi "déconcentrés", tels que les préfectures. Le projet de loi (article 10) a également pour objet de généraliser la pratique du rescrit administratif, c'est-à-dire des prises de position formelles sur l'application d'une norme. Sur ce point, l'Assemblée est revenue sur un amendement adopté en commission à l'initiative du groupe LREM disposant que le silence gardé par l'administration, à l'issue du délai précisé par décret, sur une demande de rescrit, vaut décision d'acceptation. Pour le rapporteur de la commission, Stanislas Guerini, cette disposition risquait "d'être peu opérante dans la mesure où les demandes de rescrit n'appellent pas forcément de réponse univoque de la part de l'administration". Le texte s'en tient donc à l'article 11 qui prévoit, à titre expérimental et "dans quelques domaines bien définis", que l'usager puisse soumettre un projet de prise de position formelle à l'appui de sa demande de rescrit. Dans ce cas, le silence de l'administration pendant un certain délai vaudrait approbation du projet de prise de position.
Toujours à l'initiative du rapporteur, la question des délais de délivrance du certificat d'information sur les normes applicables - prévu à l'article 12 - a été abordée en séance. S'il appartiendra au décret de moduler la durée selon les administrations et les secteurs concernés, comme en matière de rescrit, cette durée ne pourra jamais excéder "cinq mois".

Appels non surtaxés

L'Assemblée a également voté la mise en place par les services de l'Etat et les organismes délégataires d'un numéro d'appel "non surtaxé", actée en commission spéciale (article 15 A). Le ministre en a toutefois fait repousser l'entrée en vigueur "au début de l'année 2021", au motif que "son application immédiate (…) viendrait se heurter à l'exécution de contrats en cours". L'amendement gouvernemental exclut en outre du dispositif les collectivités, "compte tenu des conséquences encore incertaines que ce dispositif pourrait avoir sur leur situation financière". Estimant l'échéance de 2021 "trop tardive", deux députés UDI ont défendu un amendement permettant malgré tout aux administrations ayant des contrats achevés avant cette date de basculer vers le nouveau régime sans attendre.

Référent unique

Parmi les articles laissant une large place à l'expérimentation, l'article 15 amplifie le mouvement de "guichet unique" par l'institutionnalisation au sein des services publics d'un référent unique pour des procédures et des dispositifs déterminés. Sous l'effet d'amendements portés par le rapporteur et le gouvernement, l'expérience prévue sur quatre ans est ouverte de façon facultative à l'ensemble des établissements publics locaux ainsi qu'aux groupements des collectivités. Un autre amendement - défendu par Gaël Le Bohec (LREM) - vise à rendre ce référent unique "joignable par tout moyen par les administrés au sein de l'agence ou de l'antenne dont ils dépendent". Un article additionnel (26 ter nouveau) porté par le groupe LREM permet également d'expérimenter la mise en place d'un référent unique pour les maîtres d'œuvre, afin de faciliter leur parcours administratif tout au long de la réalisation de leurs projets d'aménagement. Le gouvernement a toutefois alerté sur les risques de contradiction avec les délais d'instruction fixés dans le cadre de la réforme de l'autorisation environnementale qui permet d'ores et déjà au porteur de projet d'avoir un interlocuteur et une autorisation unique pour l'ensemble des prescriptions des différentes législations applicables - au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), sites classés, dérogation espèces protégées, défrichement, etc..

Chambres d'agriculture

Point d'achoppement du texte, l'article 19 prévoit de renforcer la compétence des chambres régionales d'agriculture, à titre expérimental, pour une durée de trois ans. Les Républicains ont invité le gouvernement à faire marche arrière sur cette disposition qui présente "le risque de priver des territoires du niveau d'expertise attendu, compte tenu surtout du besoin d'adaptabilité des réponses aux particularités territoriales et aux activités spécifiques (…)". Finalement, un amendement propose de substituer le volontariat des régions à l'expérimentation contrainte, sans présager des conclusions et sans aller vers une généralisation à l'ensemble du réseau.

Signature applicative

L'article 22 prévoit une dispense de signature pour les décisions relatives à la gestion des agents publics produites par voie dématérialisée dans le cadre des systèmes d'information des ressources humaines. En séance, les députés ont étendu ce dispositif à l'ensemble des établissements publics industriels et commerciaux, de la même façon que la commission a étendu cette dispense aux fonctionnaires de La Poste.

Régime de protection des agents publics

Les dispositifs créés par le projet de loi (droit à l'erreur, droit au contrôle, rescrit  ou prise de position formelle, etc.) sont susceptibles de conduire à de nouveaux contentieux entre l'administration et les usagers. Pour y parer, le gouvernement propose de compléter le régime de protection des agents publics au sein d'un nouvel article 44. La responsabilité civile de l'agent ne pourra pas être engagée par un tiers devant les juridictions judiciaires, sauf en cas de faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions.

Etat civil

L'évaluation qui sera faite de l'expérimentation prévue à l'article 23 comportera une partie sur l'impact du dispositif sur les délais administratifs. Pour rappel, cet article ouvre la voie, dans quatre départements, à la simplification des démarches d'obtention des cartes nationales d'identité, des passeports, des permis de conduire et des certificats d'immatriculation des véhicules, en supprimant la fourniture de pièces justificatives du domicile.

Permis de faire dans le bâtiment

Dans le secteur de la construction, le projet de loi (article 26) habilite le gouvernement à prendre par ordonnance - en deux temps - des mesures instaurant une autorisation à déroger à certaines règles ("permis de faire") sous réserve que soit apportée la preuve de l'atteinte de résultats identiques ou équivalents par le maître d'ouvrage. Un amendement du groupe LREM en précise les conditions d'encadrement de façon à assurer que l'atteinte des résultats soit évaluée "dans un cadre impartial".

Petite enfance

Ajouté en séance, un nouvel article 26 bis est dédié au dispositif d'accueil de la petite enfance (lire notre article ci-dessous). Le gouvernement a obtenu le feu vert des députés pour donner un coup d'accélérateur à la création de places d'accueil en simplifiant par ordonnance les normes et en installant un guichet administratif unique pour les porteurs de projets.

Dialogue environnemental

A titre expérimental, certains projets nécessaires à l'exercice d'une activité agricole feront l'objet, en lieu et place de l'enquête publique, d'une participation du public par voie électronique, lorsqu'ils ont donné lieu à la concertation préalable sous l'égide d'un garant. Afin d'atteindre une masse critique de projets sur lesquels avoir un retour d'expérience, les députés ont décidé en séance d'élargir l'expérimentation ainsi prévue à l'article 33 et initialement circonscrite à certains régions désignées par décret, à l'ensemble du territoire français. La participation du public par voie électronique est en outre réalisée à l'échelle de l'ensemble de la zone d'impact du projet, afin d'en aligner les exigences sur celles de l'enquête publique. Si bien que le périmètre pour l'information préalable du public par voie d'affichage englobe à la fois la commune d'implantation du projet et celles sur lesquelles les impacts environnementaux ont été identifiés. Le groupe Nouvelle Gauche a par ailleurs obtenu satisfaction à sa demande de rapport dressant un bilan de la réforme de 2016 sur le dialogue environnemental. Les Républicains ont quant à eux plaidé pour le rétablissement d'une publication locale, pour des projets d'une certaine importance, qui reste à déterminer (article 33 bis nouveau).

Energies renouvelables

Le gouvernement a souhaité réécrire l'article 34 du projet de loi afin de préciser l'habilitation à prendre par ordonnance des dispositions visant à simplifier les processus décisionnels en matière d'éolien en mer. Cette mesure, soutenue notamment par La France Insoumise "au nom du développement des énergies renouvelables", a été critiquée par Les Républicains, qui craignent que l'État veuille "passer en force" sur l'éolien maritime contre "les territoires". Le permis sera conçu comme une "enveloppe" laissant une certaine marge de manœuvre dans la réalisation des projets. L'information et la participation du public sur le projet d'installation d'énergie renouvelable en mer aura lieu en amont de l'appel d'offres, sous maitrise d'ouvrage de l'État, en associant autant que possible les collectivités locales.
Les députés ont par ailleurs validé une série d'articles additionnels permettant en particulier de régler le régime juridique des modifications de permis de construire en cours de validité autorisant les projets d'installation d'éoliennes terrestres en les considérant comme des autorisations environnementales (article 34 quater nouveau). Un autre (article 34 ter) rétablit la dispense de certaines procédures pour les activités hydroélectriques accessoires, par exemple, à un canal d'irrigation, à un canal de navigation ou à un ouvrage quelconque déjà régulièrement installé et autorisé. Le raccordement au réseau pour les producteurs d'électricité renouvelable est également facilité (article 34 bis). Ainsi, seules les lignes électriques aériennes HT et THT resteront concernées par l'approbation du projet d'ouvrage (APO).

Sraddet

A l'article 37, l'exécutif rétablit l'article L. 541-13 du code de l'environnement -qui impose l'élaboration d'un plan régional de prévention et de gestion des déchets ( PRPGD) - dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1028 du 27 juillet 2016, jusqu'à la publication de l'arrêté approuvant, dans chacune des régions concernées, un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Le choix d'une date nationale conduirait les régions à maintenir en vigueur le PRPGD après approbation du Sraddet, en contradiction avec la loi Notreq ui prévoit la substitution du Sraddet aux plans et schémas sectoriels (dont les PRPGD).

Dispositif d'évaluation

La lutte contre la surtransposition des directives européennes sera au menu d'un nouveau rapport gouvernemental ajouté en séance à l'initiative de l'exécutif (article 40 bis). Les mesures prises sur le fondement du présent projet de loi feront quant à elles l'objet d'une "évaluation scientifique" de leur impact, objet là aussi d'un rapport transmis au Parlement en 2022 (article 45 nouveau). En parallèle des rapports remis par le gouvernement, les députés ont jugé pertinent de confier à la Cour des comptes un rôle d'évaluation comptable et financière, notamment des mesures qui seront expérimentées dans certaines régions (article 46 nouveau).