Shift Project : "Après transformation, l’administration publique sera plus attractive"
Si "l'administration a commencé à se décarboner", elle n’est pas encore "la locomotive qu’elle devrait être" dans ce mouvement qui doit engager la société tout entière pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. C’est le constat du Shift Project, qui vient de publier un rapport présentant la marche à suivre pour amplifier ces efforts dans toutes les administrations. Cela passe notamment par le portage politique affirmé de cette priorité, et par sa traduction concrète à tous les niveaux stratégiques et organisationnels, par la généralisation de bilans carbone complets et par la matérialisation d’une exemplarité "offensive" destinée à entraîner les élus et les agents, ainsi que les usagers et les entreprises.
Le think-tank The Shift Project a initié dès le début de la crise sanitaire, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022 et de l’objectif de neutralité carbone en 2050, un programme de recherche systémique intitulé "plan de transformation de l’économie française" (PTEF). Visant à "proposer des voies pragmatiques pour transformer l’économie en la rendant moins carbonée et plus résiliente", ce plan est établi de façon systémique, secteur par secteur, des secteurs "usages" (mobilité du quotidien, mobilité longue distance, logement…) aux secteurs "services" (culture, santé, défense et sécurité intérieure…) en passant par des secteurs "amont" (agriculture et alimentation, industrie et matériaux, forêt et bois, énergie…) et des "chantiers" transversaux (emploi, finance, villes et territoires, etc.). Dans un rapport rendu public le 21 octobre 2021, le Shift Project s’est intéressé à l’administration publique en tant que secteur – utilisateur d’autres secteurs –, parallèlement aux travaux menés sur la résilience des territoires (voir notre article du 4 octobre 2021).
Le numérique, la gestion de l’eau ou les déplacements des usagers : des sujets encore "oubliés"
Avec 5,9 millions d’agents, l’administration publique représente 20% de l’emploi en France et 30% de l’immobilier tertiaire, ce qui "pèse dans les émissions", a rappelé Jean-Guillaume Bretenoux, chef du projet administration publique pour le Shift project, le 21 octobre, lors d’une conférence de presse en visio. "Il y a un enjeu de résilience très important lié à la continuité du service public", a-t-il ajouté, avant de mentionner le "potentiel d'entraînement de toute la société" – citoyens et entreprises – via l’exemple donné et la commande publique. Le rapport porte sur "le fonctionnement au quotidien de l'administration" de l’État, des collectivités, des établissements publics, de l’hôpital public (ce dernier étant traité plus en détail dans le rapport dédié à la santé). Il propose un état des lieux de la situation actuelle et un "chemin" pour amplifier les efforts à la hauteur de l’"urgence à agir".
"L'administration a commencé à se décarboner", du fait des obligations qui s’imposent peu à peu à elle – en matière de véhicules, de repas, de commande publique – et à travers des démarches volontaires, constate Jean-Guillaume Bretenoux, citant le "service public écoresponsable" de l’État et des collectivités engagées telles que les départements du Nord et de la Gironde et la région Bretagne. Toutefois, ces efforts sont aujourd’hui limités par un "défaut de mesure", seul un quart des administrations tenues de réaliser un bilan carbone en ayant effectivement réalisé un. Par ailleurs, quand l’administration prend désormais bien en charge des sujets "déjà grand public" - le plastique, le papier, la dématérialisation -, elle "oublie" souvent d’autres sujets que sont le numérique, la gestion de l’eau ou les déplacements des usagers. La notion de "sobriété" n’est "pas forcément bien orientée", puisqu’on s’y réfère davantage en termes budgétaires qu’en termes d’émissions de gaz à effet de serre, ajoute Jean-Guillaume Bretenoux. Pour ce dernier, "il y a aujourd’hui une forme d'exemplarité et des ambitions qui sont insuffisantes et l'administration n’est pas forcément la locomotive qu’elle devrait être en matière de décarbonation".
La décarbonation : une priorité à mentionner partout et à traduire concrètement
Pour aller plus loin, le Shift Project appelle toujours à améliorer la connaissance de la situation actuelle, à travers des bilans carbone complets, intégrant les émissions directes mais également indirectes telles que celles qui sont dues aux déplacements des visiteurs et des agents. Le think tank recommande avant tout de faire de l’enjeu de décarbonation "une priorité au plus haut niveau", cette priorité étant "au service d’autres priorités" de modernisation de l’action publique – en termes de budget, d’organisation, de mobilisation des agents… - et ce portage politique étant jugé indispensable à la "mobilisation générale". Portée de façon collective par les directions métiers – pas uniquement par une direction développement durable -, cette priorité doit être mentionnée partout – y compris les objectifs individuels des agents - et "se traduire concrètement" à la fois dans les outils de planification – informatique, immobilier, etc. -, dans les plans d’investissement et dans les outils budgétaires. Les dépenses visant à décarboner devraient être exclues du pacte de Cahors visant à limiter la hausse des budgets des collectivités, selon le Shift Project qui suggère également de rajouter, dans le statut des fonctionnaires, une "obligation de contribuer à l’atteinte des objectifs du développement durable" – obligation qui s’impose désormais aux achats publics, avec la loi Climat et Résilience.
Dans un ensemble de mesures préconisées sur les achats et les usages, le think tank insiste sur l’exemplarité, consistant par exemple à ne pas attribuer de véhicules plus gros à des élus ou des managers. Des recommandations portent sur les objectifs et le fonctionnement des administrations, sur le renforcement de la transparence sur les actions menées, sur l’accompagnement technique et juridique jugé nécessaire pour réussir cette décarbonation, sur la formation et la sensibilisation des élus et des agents ou encore sur l’organisation et la mobilisation de "toute la communauté de travail".
Décarbonée, l’administration sera plus "attractive" pour ses agents et pour les usagers
A quoi ressemblera "l’administration publique après transformation" ? Les déplacements de ses agents, comme ceux de ses usagers, seront "moins carbonés et moins nombreux", décrit le Shift Project à la fin de son rapport. L’administration occupera des "bâtiments économes en énergie et une surface moindre et optimisée". Elle utilisera davantage les outils numériques, notamment du fait de l’accroissement du télétravail, "dans des conditions encadrées" et des "chartes d’usagers" favorables à la "sobriété numérique". Les fournitures utilisées par les agents et les repas consommés seront caractérisés par "une empreinte carbone réduite", tandis que les réseaux d’eau, le traitement des eaux usées et la gestion des déchets seront optimisés. Plus globalement, "la décarbonation ‘interne’ et la résilience [feront] partie des priorités stratégiques de toutes les entités et de l’ADN des agents publics".
Quant à l’impact sur les agents, il serait moins quantitatif – en termes de nombre d’emplois - que qualitatif, avec une évolution des métiers. "Après transformation, l’administration publique sera plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui, parce qu’elle aura porté un projet qui contribue à l’intérêt général, parce qu’elle sera exemplaire et parce que les méthodes seront rénovées", met en avant Jean-Guillaume Bretenoux. En outre, selon lui, "en période d’aléa, si l’on s’est bien préparé, on sera plus capable de mener les missions essentielles", qui auront été définies au préalable et de façon transparente.