Sénat : pas de "réelle" différenciation territoriale sans révision constitutionnelle

La délégation aux collectivités territoriales du Sénat plaide pour un renforcement de la possibilité pour les collectivités d'adapter les normes et les compétences aux spécificités locales par la voie de la différenciation territoriale. Pour cela, une révision constitutionnelle lui paraît indispensable.

Alors que le rapport de la mission conduite par Éric Woerth sur la décentralisation n'a toujours pas été rendu public, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation plaide pour une révision constitutionnelle permettant d'"autoriser les collectivités territoriales de même catégorie à exercer des compétences différentes". 

Dans le cadre d'une expérimentation, une loi peut actuellement confier des compétences nouvelles à des collectivités volontaires, par exemple la médecine scolaire à certains départements et la gestion des collèges à certaines régions, détaille-t-elle dans un rapport qu'elle a adopté le 23 mai. Mais l'expérimentation a nécessairement une durée limitée. Et, surtout, la loi doit justifier que la collectivité concernée se trouve dans une "différence objective de situation" par rapport aux autres collectivités de même catégorie. Il s'agit de freins à une répartition différenciée des compétences entre les collectivités d'une même catégorie, selon les rapporteurs, la présidente (centriste) de la délégation, Françoise Gatel, et le sénateur (LR) Max Brisson.

Renforcer le pouvoir réglementaire local

La solution se trouverait dans la réécriture de l'article 72 de la Constitution : cette voie permettrait de lever les deux contraintes et autoriserait les collectivités à déroger dans certaines conditions aux règles concernant l'exercice de leurs compétences.

Ces évolutions figurent dans une proposition de loi constitutionnelle, que les groupes LR et centriste du Sénat ont déposée en mars, et que la Haute Assemblée pourrait examiner prochainement (voir notre article).

Également en modifiant l'article 72 de la Constitution, les sénateurs entendent par ailleurs renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités et mettre leurs compétences à l'abri des interventions, jugées excessives, du pouvoir réglementaire national. Là encore, ces recommandations sont déjà traduites dans la proposition de loi constitutionnelle déposée par la majorité sénatoriale.

Non à un "droit d'exception"

La révision constitutionnelle "ouvrirait le champ des possibles, mais sans créer de droit d’exception qui viendrait mettre à mal les principes d’unité et d’indivisibilité de la République", soulignent les rapporteurs.

A droit constitutionnel constant, la loi dite "3DS" de février 2022 a promu le principe de différenciation des "règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences" des collectivités territoriales, ce qui était "symboliquement important", considère le Sénat. Pour "donner un contenu concret" à ce principe, le Sénat a inscrit dans le texte la possibilité pour les départements et les régions de transmettre au Premier ministre et au Parlement des propositions "tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires, en vigueur ou en cours d'élaboration, concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement" des collectivités de leur catégorie.

"État facilitateur"

Mais le bilan de ces nouvelles dispositions est mince, selon les sénateurs. Seules trois collectivités ont en effet saisi à ce jour le Premier ministre de demandes de différenciation territoriale : la région Occitanie (aménagement sanitaire, orientation des jeunes et plein emploi), le département de la Lozère (retenues d’eau, couverture de téléphonie mobile, versement du RSA) et la région Ile-de-France ("choc de décentralisation", avec 45 propositions, dont la revendication d'un ""statut particulier").

Le secrétariat général du gouvernement a indiqué aux sénateurs qu’une réponse serait apportée à ces trois collectivités au "second semestre 2024". Si cela se vérifie, la région Occitanie aura attendu près de deux ans pour recevoir une réponse. Un délai qui "n'est pas acceptable", pour les sénateurs. Ils recommandent au gouvernement de "fournir obligatoirement une réponse motivée, dans un délai de six mois, à toutes les demandes des collectivités en matière de différenciation". L’État "doit jouer un rôle de facilitateur et d’accompagnateur dans la conduite des projets de différenciation", estime plus généralement la délégation. Une proposition concrète qui ne nécessite pas de texte de loi pour sa mise en œuvre, et qui, donc, pourrait trouver à s'appliquer bien plus facilement qu'une hypothétique révision de la Constitution.