Sénat : 43 propositions pour répondre au "malaise" des élus locaux
Face aux "désaffections" qui touchent les mandats locaux, le Sénat vient de formuler des solutions tous azimuts. La chambre représentant les collectivités territoriales entend travailler à leur mise en œuvre en concertation avec le gouvernement. Le sujet pourrait être inscrit au programme des travaux de la Conférence nationale des territoires.
45% des 17.500 élus locaux interrogés en début d'année dans le cadre d'une grande consultation menée par le Sénat affirment qu'ils quitteront la politique à l'issue de leur mandat. Ceux des communes de moins de 1.000 habitants sont même 48% à envisager cette option. Plus que tous les autres, les élus des petites communes se disent "déçus" (52%). Pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui vient de publier une somme de six rapports sur "l'exercice des mandats locaux" (en téléchargement ci-dessous), ces résultats sont révélateurs d'une "crise des vocations" parmi les élus locaux. Une "désaffection" qui malheureusement "s'accélère", a observé jeudi Jean-Marie Bockel, le président de la délégation. Depuis 2014, les maires qui remettent leur démission sont plus nombreux, a-t-il soutenu lors d'une conférence de presse. "Nous ne l'avons pas inventé, c'est une réalité", a-t-il insisté.
Les départs ne sont pas liés au fait que "certains auraient accédé au Parlement", a estimé le président du Sénat lors de la conférence de presse. Gérard Larcher était le mois dernier en déplacement en Haute-Garonne, le département qui, de tous, "a eu le plus de démissions". Dans les grandes intercommunalités qui ont vu le jour début 2017 - telle la communauté de communes Cœur et Coteaux du Comminges qui réunit 104 communes - les conseillers municipaux ne siégeant pas au conseil communautaire éprouvent le sentiment de "ne plus exister" et de "ne plus servir à rien", a-t-il relaté.
Relever les indemnités de fonction
Avec la décentralisation, les responsabilités des élus locaux se sont accrues et, dans le même temps, les dossiers sont devenus plus techniques, a pointé de son côté Marie-Françoise Pérol-Dumont, l'un des rapporteurs des travaux de la délégation. La difficulté est d'autant plus grande pour les édiles que l'État, en se désengageant, "les a laissés seuls", a souligné la sénatrice de la Haute-Vienne.
Les "contraintes financières" croissantes des collectivités territoriales, "le rejet plus fort des administrés" et les risques juridiques et pénaux contribueraient aussi à compliquer la tâche des édiles locaux. Et ce, alors que ces derniers peuvent éprouver de la peine à concilier leur mandat avec leur vie professionnelle et leur vie personnelle.
Eric Kerrouche, sénateur des Landes et politologue, a déploré que la conjonction de l'ensemble de ces facteurs joue en défaveur de la diversification des profils des élus locaux. De fait, les maires sont très majoritairement "des retraités, des fonctionnaires et des cadres supérieurs". Les employés et les ouvriers ont quant à eux quasiment "disparu" des assemblées locales.
Pour répondre à "la crise", les sénateurs avancent une batterie de 43 recommandations s'appliquant tant à l'entrée dans le mandat qu'à l'exercice de ce dernier et à la sortie. Elles visent entre autres à revaloriser (de 20% à 50%) les indemnités de fonction des maires des communes de moins de 100.000 habitants - en particulier de celles de moins de 1.000 habitants - qui sont jugées insuffisantes par la majorité des intéressés. Les dernières revalorisations "substantielles" qui datent de 2000 et 2002, ont porté les indemnités des maires des communes de moins de 500 habitants, par exemple, à 658 euros bruts mensuels. Les sénateurs proposent de relever celles-ci à 991 euros (+50%), mais en laissant au conseil municipal la liberté de fixer une indemnité à un niveau inférieur.
"Dialogue avec le gouvernement"
Un meilleur remboursement des frais de déplacement est également au programme des sénateurs. Ces frais peuvent être conséquents, en particulier pour les élus des grandes intercommunalités. Autre vœu : garantir une meilleure protection sociale aux élus. Les propositions des sénateurs consistent à augmenter les pensions de retraite et à faciliter les relations avec les organismes sociaux. En matière de formation, le Sénat préconise de parfaire les dispositifs mis en place par la loi Sueur-Gourault de mars 2015, notamment le droit individuel à la formation (DIF) des élus locaux. Ils proposent, dans l'objectif de faciliter la reconversion à la fin du mandat, de compléter ces droits par un nouveau mécanisme de soutien à la création d'entreprise par les anciens élus locaux. Enfin, pour les protéger contre les risques juridiques et pénaux, la Haute Assemblée propose d'"inciter les victimes, dans le cas d'infraction non intentionnelle, à privilégier la mise en cause des collectivités territoriales".
Le Sénat n'élaborera pas de proposition de loi pour mettre en œuvre ses préconisations, comme il a pu le faire par le passé sur ce sujet des conditions d'exercice des mandats locaux. Ses responsables préfèrent "faire avancer les choses pragmatiquement, en dialogue avec le gouvernement", comme l'assure le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Les discussions sur le dossier avec l'exécutif ont d'ailleurs déjà débuté. Lors de la réunion que la délégation a tenue le 27 septembre dernier, la ministre auprès du ministre de l'Intérieur est "venue présenter quelques propositions, notamment sur le statut social de l'élu", indique Jean-Marie Bockel. La question du statut des élus locaux pourrait aussi figurer à l'ordre du jour de la prochaine réunion de l'instance de dialogue de la Conférence nationale des territoires, confie-t-il. Le rendez-vous était initialement programmé au 15 octobre, mais il pourrait n'avoir lieu qu'à la fin de ce mois.
Contrairement aux représentants des trois grandes associations d'élus locaux (AMF, ADF et Régions de France), les sénateurs n'ont pas pratiqué la politique de la chaise vide au sein de l'instance de concertation entre l'État et les collectivités territoriales. "Il ne faut pas condamner la Conférence nationale des territoires par a priori", prône le président du Sénat. Qui, dans le même temps, appelle à "écouter" ce qui s'est passé lors de la mobilisation des élus locaux du 26 septembre à Marseille. Dans ce contexte, les propositions de la Haute Assemblée sur l'exercice des mandats locaux sont "une contribution à ce que le dialogue [entre le gouvernement et les élus locaux] soit renoué", a-t-il assuré.
Démissions de maires : attention à ne pas "gonfler les chiffres", dit la ministre
"Il y a un peu plus de mille maires qui ont démissionné depuis le début de [ce] mandat", a révélé la ministre auprès du ministre de l'Intérieur, Jacqueline Gourault, lors de la convention nationale de l'Assemblée des communautés de France qui s'est tenue les 4 et 5 octobre à Deauville. Les fonctionnaires de la place Beauvau "ont commencé" à dresser un bilan sur le sujet. Ils ont pris soin de distinguer les démissions selon leurs causes réelles. Celles-ci sont multiples : il y a les départs liés aux "accidents de la vie", aux changements de profession, aux conflits politiques au sein du conseil municipal. L'application des règles sur le non-cumul des fonctions de parlementaire avec un mandat local et l'essor des communes nouvelles ont aussi conduit à de nombreux cas de démissions. "Ces derniers ne doivent pas être ajoutés", a insisté Jacqueline Gourault devant les 1.800 congressistes. Une telle méthode sert "ceux qui veulent répandre une idée de pessimisme et au fond que les maires ne seraient pas contents du gouvernement", a-t-elle critiqué. Il faut "éviter d'alarmer les élus et les populations sur le sujet", a-t-elle prévenu. En reconnaissant toutefois, ensuite, qu'"il y a un peu plus de maires qui ont démissionné". "La lassitude, a-t-elle estimé, est plus sur les conseillers municipaux que sur les maires. On voit dans les communes des conseillers municipaux qui n'assistent plus au conseil municipal, ou qui ne vont plus dans les intercommunalités."