Sécurité des ponts des collectivités : la marge de progression reste importante
Cinq ans après le rapport de mission qui a permis une prise de conscience sur l’état inquiétant des ouvrages d’art des collectivités territoriales, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a dressé un nouveau point d’étape, ce 13 mars, à l’occasion d’une table ronde, et constaté que malgré le déploiement encourageant d’un programme national, les obstacles à la mise en œuvre d’une politique d’entretien et de réparation des ponts restent encore nombreux.
La publication d’un premier rapport d’information sur la sécurité des ponts, peu après le tragique effondrement du pont Morandi, à Gênes l’été 2018, mettant en lumière la lente et constante dégradation de nos ouvrages d’art, a eu l’effet d’un "électrochoc". Cinq ans après, les constats formulés par le Sénat en 2019 -qui dénombrait au moins 25.000 ponts en mauvais état structurel et concluait à la nécessité d'engager un véritable "Plan Marshall" de 130 millions d’euros par an pendant dix ans (lire notre article) - demeurent d’actualité et la situation toujours préoccupante, en particulier pour les collectivités de petite taille. L'erreur serait donc de rester "au milieu du gué". "Le gouvernement a pris conscience de l’urgence d’agir. Des initiatives encourageantes à travers notamment le déploiement du Programme national ponts par le Cerema en attestent. Mais tout laisse à penser que la réponse est encore loin d’être à la hauteur des enjeux", relève ainsi la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable dans un communiqué, en conclusion de la table ronde organisée, ce 13 mars, autour des opérateurs intéressés et d'élus locaux, pour dresser un nouveau point d’étape "sur ce sujet essentiel qui, s’il n’est pas suivi, peut conduire à des drames". Triste coïncidence : après le passage de la tempête Monica, le ministre de la Transition Écologique, Christophe Béchu, s’est rendu ce même jour dans le Gard, où plusieurs personnes ont perdu la vie, après avoir tenté de franchir des ponts submersibles sur les rivières en crues.
Un programme national "Ponts"…
Dès 2021, un programme de recensement et d’évaluation d’ouvrages doté de 40 millions d’euros (programme national Ponts 1), piloté par le Cerema, a été proposé au bloc communal. Sur les 11.540 communes bénéficiaires, ce sont plus de 45.000 ponts et murs de soutènement qui ont été recensés et visités sur le territoire national afin d’établir un carnet de santé des ouvrages. 10% des ouvrages nécessitent des mesures de sécurité immédiates, dont 4% en raison d’un désordre grave de structure (risque d’effondrement), ce qui conduit à des préconisations de limitation de tonnage ou des fermetures. Au total, environ 26% des ponts présentent des désordres structuraux significatifs ou majeurs. Une estimation des montants nécessaires à la préservation et la réparation des ouvrages a également été réalisée. Ce sont ainsi 160 millions d’euros qui sont à prévoir annuellement pour l’entretien et la maintenance. Par ailleurs, un rattrapage de près de 2 milliards d’euros serait nécessaire pour remettre à niveau les ouvrages dégradés (études et travaux) -sur les 45.000 premiers ouvrages recensés-, dont plus de 400 millions pour les ouvrages nécessitant une action immédiate suite à des désordres graves de structures, détaille Pascal Berteaud, directeur général du Cerema. On est donc encore très loin du compte… "On a obtenu avec difficultés quelques dizaines de millions par-ci, quelques dizaines de millions par-là mais on arrive péniblement à 110 millions sur la période 2020 à aujourd’hui", souligne le sénateur Hervé Maurey (UC-Normandie). Pour Bruno Faure, de l’Association des Départements de France (ADF), il serait important d’avoir "un fonds spécifique orienté vers ces ouvrages d’art, alimenté par les amendes de police, la TICPE, les taxes à l’essieu…".
…mais une dégradation constante
Et la situation ne cesse de s’aggraver. "Le chiffre de comparaison, c’est celui du rapport sénatorial qui extrapolait les données de l’ATESAT qui sont très anciennes, on était entre 18 et 20% d'ouvrages en état structurel dégradé contre 25% au début du programme national Ponts", observe Eric Ollinger, de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM). "La situation s'améliore peu et le temps nous rattrape puisque les ouvrages sont de plus en plus anciens et de nouvelles dégradations apparaissent", renchérit Sylvain Laval, de l'Association des maires de France (AMF). Et ce d’autant plus que les échanges ont mis en lumière les besoins croissants liés à l’adaptation des ouvrages d’art au réchauffement climatique.
Entré dans sa deuxième phase, le programme national Ponts (2023-2025) va intégrer plus de 3.000 communes supplémentaires (soit au total sur les programmes Ponts 1 et 2 plus 15.000 communes traitées et 55 à 60.000 ouvrages). Globalement, les proportions se vérifient pour ce second volet d’audit : 25% des ponts sont en bon état, 25% ont des problèmes justifiant des mesures immédiates et 50% sont "entre les deux". Sur les 9.000 ouvrages qui présentent des défauts structurels majeurs, environ 800 vont bénéficier de subventions jusqu’à 60% des travaux. L’État mobilise 35 millions d’euros pour accompagner les collectivités à réaliser les travaux de réparations de leurs ouvrages les plus dégradés et notamment ceux présentant un enjeu majeur vis-à-vis de la sécurité des usagers et de la continuité des dessertes locales.
Un faible nombre de candidatures
"Les moyens sont-ils suffisants ? Aujourd’hui, oui. Si cela marche ? Clairement non", remarque Pascal Berteaud. Et pour cause les collectivités ne se bousculent pas vraiment au portillon pour déposer leur dossier de financement. "On est au début du processus et il n'est pas illogique que ça démarre lentement", estime-t-il, encourageant les élus à sauter le pas. "Le montant moyen des travaux est de l’ordre de 100.000 euros, ce qui est déjà énorme pour une commune de 1.000 habitants", reconnaît-il. "On en revient toujours à la question de l'arbitrage budgétaire. Dans une petite commune rurale, quand il faut choisir entre l'école et le pont, le choix est vite fait", confirme Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux (Isère). Le taux moyen de subvention par le programme Ponts est de 55%. Mais "en général, il y a une subvention du département, une subvention DSIL, Deter etc., et en réalité les plans de financement arrivent à se monter avec un taux de subvention de 80% voire au-delà", relève Pascal Berteaud.
Des démarches trop complexes et mal connues
"Procédures trop complexes pour les élus comme en témoigne le faible nombre de dossiers déposés ainsi que le taux de rejet lié à des problèmes de forme, méconnaissance des dispositifs existants comme en témoigne la communication encore trop timide des actions du Cerema, ponts de rétablissement présentant des problématiques particulières, constat récurrent d’une insuffisance des moyens, reste à charge trop substantiel pour des communes de petite taille : les obstacles à la mise en œuvre d’une politique d’entretien et de réparation des ponts responsable en termes de sécurité restent encore nombreux", résume la commission dans son communiqué. Des difficultés a fortiori "particulièrement prégnantes", ajoute-t-il, dans le contexte du transfert de routes aux collectivités permis par la loi 3DS : "certaines collectivités ayant renoncé à bénéficier du transfert des sections de voies compte tenu de l’état vieillissant des infrastructures, et notamment des ponts".
De son côté, le Cerema se démultiplie pour lever les freins (vidéos de sensibilisation, manuel du carnet de santé, webinaires etc.), et accompagner les collectivités, notamment celles qui sont confrontées aux critères d’éligibilité des aides. Un guide est à leur disposition et le service en ligne gratuit "SOS Ponts" leur offre un appui personnalisé des experts du Cerema pour mener les démarches. L’opérateur d’Etat s’efforce par ailleurs d’être "pragmatique" dans la mise en oeuvre du programme en adaptant les critères et en introduisant de la "souplesse" dans le dispositif, fait valoir Pascal Berteaud. C’est notamment le cas pour les ouvrages de rétablissement des voies régis par la loi Didier, les ouvrages de moins de deux mètres et quelques cas de travaux engagés avant la demande de subvention.