Roger Vicot : "La question de la gouvernance locale de la sécurité reste posée"

Après avoir conduit, en ligne, toute la semaine du 12 octobre, les "assises de la sécurité du territoire 2020", le président du Forum français pour la sécurité urbaine, Roger Vicot, par ailleurs maire de Lomme (Nord), évoque pour Localtis le nouveau "contrat de sécurité intégrée", la proposition de loi Fauvergue-Thourot ou encore la lutte contre les stupéfiants. Sans langue de bois.

Localtis : Le Premier ministre a conclu à Toulouse le premier "contrat de sécurité intégrée" (v. notre article), nouvel outil a priori destiné aux "grandes villes". Que vous inspire-t-il ?

Roger Vicot : Tout d'abord, de la surprise. Nous n'avons en effet découvert l'existence de ce nouveau contrat que le jour de sa signature ! Cette méthode n'est pas convenable. Il me semble qu'une information préalable aurait été la moindre des choses – sans même évoquer le luxe d'une concertation –, alors que la FFSU est notamment, par convention, un interlocuteur permanent du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Sur le fond, la logique du donnant-donnant qui anime ce contrat me paraît particulièrement préoccupante. L'État nous explique en quelque sorte qu'il est prêt à assurer sa mission, régalienne, d'assurer la sécurité de nos concitoyens à la condition que certaines collectivités – le flou le plus total entourant les communes "éligibles" à ce dispositif – s'engagent de leur côté à recruter des policiers et à déployer des caméras de vidéoprotection... C'est une rupture flagrante de l'égalité territoriale et républicaine ! J'avais déjà pointé ce risque de fracture lors de l'accord similaire passé entre l'État et la ville de Nice en juillet dernier [v. notre article]. Combien de communes sont en mesure et prêtes à réaliser des investissements aussi lourds que ceux mis en œuvre par M. Estrosi ? Fort peu, assurément. Tous les citoyens ne seront donc pas logés à la même enseigne, alors qu'il incombe évidemment à l'État d'assurer de manière identique la sécurité de tous, sans exclusive.

À l'occasion de ce déplacement niçois, le Premier ministre avait annoncé une expérimentation relative notamment à l'élargissement des compétences des policiers municipaux. Depuis, Jean Castex a indiqué que le gouvernement soutiendra une nouvelle version de la proposition de loi des députés Thourot et Fauvergue déposée initialement en janvier dernier, qui prévoyait justement un tel élargissement [v. notre article]. Que pensez-vous de ces différents projets ?

Qu'on y perd son latin ! Si les prérogatives des policiers municipaux sont étendues via la proposition de loi Fauvergue-Thourot, on discerne avec peine l'intérêt de l'expérimentation évoquée, également stipulée dans le contrat de sécurité intégrée toulousain ! Là-encore, le flou prédomine et nous ne sommes malheureusement pas associés à la réflexion. J'avoue que nous attendons avec une certaine fébrilité le contenu de cette proposition de loi, et notamment la manière dont sera abordée la question, cruciale, de la concertation avec les élus. Je crains que le texte ne s'écarte guère du rapport catastrophique remis par les deux parlementaires en 2018. Sous prétexte de simplifier les différents dispositifs existants, ce rapport, en instaurant notamment un conseil unique piloté par la direction départementale de la sécurité publique, n'avait d'autre fin que de recentraliser le pilotage de la politique de sécurité et de prévention, en écartant le maire, dont tout le monde reconnaît pourtant le rôle désormais incontournable en matière de sécurité.

N'y a-t-il toutefois pas besoin de revoir ces dispositifs, alors que comités comme contrats se sédimentent ?

Les contrats locaux de sécurité ont été créés sous Lionel Jospin, en 1997. Que l'on puisse examiner avec un regard critique ces différents dispositifs vingt ans après leur mise en œuvre, comme l'a souhaité le président de la République, nul ne le conteste. Il est certain que l'on peut gagner en cohérence et en efficacité, alors que certains outils s'entrechoquent. La question de la gouvernance locale de la sécurité reste d'ailleurs globalement posée. Un exemple : la récente loi Engagement et proximité [v. notre article] prévoit que les conventions de coordination des interventions des polices municipales et des forces de sécurité de l'État doivent désormais être cosignées par le procureur de la République. C'est une excellente chose ! On aurait toutefois pu en profiter pour examiner la coexistence, pas toujours pacifique, entre les groupes de partenariat opérationnels – déployés dans le cadre de la police de sécurité du quotidien et pilotés par la police –, les cellules de veille – constituées dans le cadre de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance, sous l'autorité des maires – et les groupes locaux de traitement de la délinquance, administrés par les procureurs de la République. Et ce d'autant plus que vient s'y ajouter ce "contrat de sécurité intégrée"… Dans tous les cas, il est indispensable que ce réexamen se fasse dans le respect du rôle majeur et central du maire sur son territoire.

Vous évoquez la police de sécurité du quotidien, mesure phare du président de la République en matière de sécurité. Quel bilan en tirez-vous ?

La police de sécurité du quotidien devait révolutionner les relations entre la police et la population. Pour l'heure, elle se résume principalement à la mise en place de quartiers de reconquête républicaine – une terminologie guerrière contestable –, avec des effectifs soi-disant supplémentaires qui dans de nombreux cas ne font au mieux que compenser les départs en retraite. Je ne remets pas en cause ici les policiers eux-mêmes, dont je suis convaincu qu'ils aimeraient pouvoir s'investir davantage auprès des conseils citoyens, des conseils de quartiers, des associations de commerçants, etc. Mais le résultat est là. Ou plus exactement, n'y est pas…

Le ministre de l'Intérieur a fait de la lutte contre les stupéfiants sa première priorité, en s'appuyant notamment sur l'amende forfaitaire. Un outil qui reste pour l'heure interdit aux polices municipales. Qu'en pensez-vous ?

Nous allons suivre avec attention la mise en œuvre de l’amende forfaitaire, même si en matière de lutte contre les stupéfiants, elle risque fort de ne constituer au mieux qu'un outil de communication… Je crains en effet que l'on n'aborde ce problème – pourtant l'un des plus préoccupants pour les collectivités territoriales – que par le petit, et mauvais, bout de la lorgnette. D'abord, on ne s'attaque pas aux trafiquants, mais seulement aux consommateurs, primo-délinquants en détention d'une toute petite quantité de stupéfiants, alors que la moitié de la population a déjà touché au cannabis et qu'entre un tiers et la moitié des jeunes en consomment régulièrement.

Ensuite, on ne se concentre que sur le versant "sécurité" du problème, alors que tout l'enjeu est précisément de sortir de cette vision très segmentée et caricaturale séparant artificiellement les politiques de santé et de sécurité. Il faut y apporter une réponse globale, qui fasse intervenir "en même temps" – pour reprendre une expression chère au président de la République – les acteurs de la prévention des addictions, de la santé, de la sécurité, etc. Plusieurs collectivités sont prêtes à conduire des expérimentations pour limiter l'impact des consommations et des trafics. Laissons-les faire.

Je ne rejette toutefois pas l'utilité de ce dispositif dans d'autres domaines, par exemple en matière de vente illégale de boissons alcoolisées, où l'on sort difficilement du jeu du chat et de la souris. Mais cela ne sera au mieux qu'un petit outil ponctuel.

 

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