Roch Chéraud (AMRF) : "Le monde rural est l'oublié des politiques sportives"
L'Association des maires ruraux de France (AMRF) va mettre en place en 2024 un groupe de travail consacré au sport. Pour Localtis, Roch Chéraud, maire de Saint-Viaud (Loire-Atlantique), vice-président de la communauté de communes du Sud-Estuaire en charge du sport et coprésident de l'Association des maires ruraux de Loire-Atlantique, présente cette nouveauté et évoque les difficultés du sport dans le monde rural.
Localtis : Quels sont les projets de l'AMRF en matière de sport pour l'année 2024 ?
Roch Chéraud : À l'origine, Cédric Szabo, directeur de l'AMRF, a voulu mettre en place des actions dans le domaine du sport et nous avons eu des échanges avec la start-up Bouge qui développe un programme pour identifier des activités sportives de proximité. Nous avons alors identifié une trentaine d'élus pour travailler sur le sujet. Parallèlement, Terre de Jeux s'est rapproché de nous, tout comme l'Agence nationale du sport, dans le cadre du plan 5.000 équipements, de même que l'Ufolep, dans le cadre du projet "le sport au cœur des villages". Tout cela nous a fait dire qu'il fallait qu'on se structure en mettant en place une commission sport en profitant de l'année olympique.
Où en êtes-vous aujourd'hui de cette structuration ?
Nous avons déjà mis en place un groupe de travail que je coanime de façon encore officieuse avec Bernard Gauthier, ancien président des maires ruraux de l'Indre. Au mois d'avril, nous aurons un jeudi de l'information consacré au sport. De même, nous devrions consacrer cette année un numéro de notre revue 36.000 Communes au sport dans le monde rural, car le monde rural est un peu l'oublié des politiques sportives. Les grands équipements se trouvent, et c'est compréhensible, dans les zones de grande densité démographique. Mais le sport ce n'est pas uniquement la pratique dans un stade. Il peut y avoir plein de types de sport : sport-santé, sport-prévention. De plus, les communes rurales détiennent des milliers de kilomètres de sentiers de randonnée. Même si je pense qu'on a loupé le coche pour les Jeux olympiques, il faut que l'on identifie un espace de dialogue pour les maires ruraux afin d'impulser les politiques sportives qui vont émerger dans les années à venir.
Comment le sport en milieu rural se porte-t-il actuellement ?
Tout dépend du dynamisme local. Soit vous avez une personne qui a une appétence et va porter une politique sportive locale, soit vous avez un tissu associatif local très dense, car pour constituer des listes aux élections, on regarde souvent du côté des associations et des présidents de clubs. C'est par exemple le cas dans ma commune. Mais il n'y a pas une commune qui ressemble à une autre. Ce qui se fait maintenant, ce sont les projets sportifs de territoire. Le sport ne s'arrête pas à l'ombre du clocher de la commune et vous pouvez avoir un club qui ratisse large, auprès d'habitants d'autres communes à dix, vingt ou trente kilomètres à la ronde. Beaucoup d'intercommunalités réfléchissent et les départements facilitent la mise en place de projets sportifs de territoire pour avoir une feuille de route cohérente, écrite, et donner une direction.
Vous avez évoqué les grands équipements du monde urbain et les sentiers de randonnée. Entre les deux, s'agissant des gymnases, petites piscines et terrains de football ou de rugby, le monde rural est-il bien équipé ?
Dans les années 1970-1980, du temps où il était plus facile de gérer un budget que maintenant, des salles polyvalentes ont été créées dans beaucoup de communes de France. Ces équipements sont aujourd'hui vieillissants, inadaptés aux personnes handicapées et constituent de vrais gouffres énergétiques. Qu'en fait-on ? Il y a un enjeu majeur de cohésion sociale pour la commune. D'autant que bien souvent cet équipement sert pour la pratique sportive des écoles primaires l'hiver. Il y a un trou dans la raquette au niveau des politiques publiques.
Entre construction et rénovation, quelle serait la meilleure piste ?
Consolidons et mettons déjà aux normes ce que l'on a. Mais il n'existe pas de plan axé là-dessus. Même s'il y a des possibilités dans le cadre du Fonds vert, ce n'est pas la priorité des priorités. Les budgets communaux n'ont pas de marges de manœuvre. Il nous faut donc répondre à des appels d'offres alors que les petites communes rurales n'ont pas l'ingénierie nécessaire pour aller frapper à la bonne porte, ce n'est pas clairement identifié. Si on décide de rénover dix mille salles polyvalentes en France, ce sont dix mille espaces de cohésion sociale qui vont perdurer. Or aujourd'hui, dans certaines communes, ces bâtiments sont fermés car ils menacent de s'effondrer, un peu comme les églises. Parfois la commune n'a même pas l'argent pour raser la salle et récupérer le foncier. Aujourd'hui, on n'a pas d'outils, de cohérence nationale pour identifier cette problématique. Je pense que ce sera l'un des premiers axes que pointera la commission sport des maires ruraux.
Vous avez cité le plan 5.000 équipements. Quelle a été sa portée dans le monde rural, alors que les ZRR (zones de revitalisation rurale) faisaient partie de ses cibles prioritaires ?
On ne prête qu'aux riches… Soit vous avez les connaissances, le réseau, l'ingénierie pour répondre, et vous répondez, soit vous passez sous les radars des politiques publiques. C'est plus ce cas de figure qui m'embête sur ces grands dispositifs, qui sont des dispositifs de com [sic]. À côté de chez moi, Paimboeuf a bénéficié d'aides pour une piste de BMX, donc oui, les 5.000 équipements ont été faits. Maintenant, cette commune avait déjà plusieurs équipements sportifs, elle était labellisée "Petite Ville de demain", elle avait donc été identifiée et on l'a accompagnée, tant mieux pour elle, mais à côté, vous avez des communes dans le nord de notre département où il n'y a pas du tout d'équipements sportifs. Ce sont des communes de trois cents habitants avec une secrétaire de mairie présente une demi-journée par semaine, un budget de 300.000 euros. Même si on leur donne 80% du financement, il y a tellement d'autres priorités que le sport va passer en dernier. C'est dommage car ces communes n'ont plus de médecins depuis longtemps. Or, pour tout ce qui est prévention par le sport, s'il y avait des équipements de proximité permettant de faire du sport, la demande sur la santé serait moins prégnante. C'est la double peine : ni équipements sportifs ni médecin généraliste pour soigner ou faire de la prévention.
Votre commission sport va pouvoir identifier des priorités telles que le sport-santé…
Oui, nous allons pouvoir faire des constats, mais surtout les quantifier, car ce dont je vous parle est très subjectif. Demain, on pourra travailler dans le domaine du sport comme on l'a fait pour la santé en établissant des ratios d'équipements par habitant et en les comparant avec les ratios des communes de strates supérieures. À partir de là, on pourra aller voir l'administration et lui dire : "On est en République, il faudrait peut-être rattraper les communes en déshérence." C'est aussi comme cela qu'a commencé notre commission de la culture, laquelle s'est structurée pour pouvoir aller toquer à la porte des ministères, ce que savent très bien faire les grosses communes.
Finalement quels seront vos dossiers prioritaires ?
Je pense que les salles polyvalentes sont une bombe à retardement. Une salle polyvalente dans un village, c'est comme le dernier café ou l'école. Quand il n'y a plus d'école, de café ou de salle polyvalente, il faut faire une croix sur le village. Je connais des maires qui sont en souffrance sur ce dossier. Il faut qu'on les aide, les sommes sont monumentales. Trouver 500.000 euros pour rénover une salle, ce n'est pas faisable pour ces petites communes. On leur a donné de l'argent public pour les construire, si aujourd'hui ces salles ne servent plus, c'est de l'argent public gaspillé. Il y a une priorité à les accompagner. Le sport-santé est une autre priorité. On a actuellement un taux de sédentarité terrible qui développe des pathologies. Il faut donner l'envie aux citoyens de demain d'avoir une pratique sportive, c'est la grande cause nationale. Les communes sont d'accord sur le principe, il faut les aider à animer tout ça.
Comptez-vous vous appuyer sur des structures comme l'Andes ou l'AMF dans votre travail ?
Le problème de ces associations, c'est qu'elles sont investies par les villes moyennes et les grosses villes. Les élus de ces communes ont le temps de participer à des instances. Le statut de l'élu, on pourrait en parler des heures… J'ai pris une demi-heure sur mon temps pour répondre à vos questions alors que je n'ai que deux jours à la mairie par semaine car je travaille à côté pour faire bouillir la marmite familiale, ce que ne me permettent pas mes indemnités de maire rural. J'anime aussi la structure départementale de l'AMRF en bénévolat. On n'a pas de salariés, il faut trouver du temps, le soir, car en journée, je gère le quotidien, l'urgence de ma commune. Je suis donc incapable d'aller aux réunions de l'Andes. Du coup, le public des petites communes est sous-représenté dans les structures spécifiques au sport. C'est pour cela que nous devons nous emparer de la question. C'est du temps en plus à donner mais si on veut, demain, du sport partout en France, il faut qu'on s'en donne les moyens. C'est notre responsabilité d'élus de proximité. Tout le monde a à y gagner, y compris les pouvoirs publics. Certes, il y a un problème de moyens, mais aussi d'animation, d'aide au développement, de mise en réseau. Les communes rurales, on est content de les trouver pour le Tour de France cycliste ou la Coupe de France de football, il ne faut pas les oublier.