Risques technologiques : pour Amaris, l’État ne saurait se dédouaner de l’échec des PPRT
Vingt ans après l'adoption de la loi Bachelot instaurant les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), l’association Amaris dresse un bilan "très décevant" de ces outils, en soulignant que trop de concitoyens restent exposés aux risques industriels. Elle dénonce la trop faible mobilisation de l'État, laissant des collectivités démunies, seules à la manœuvre, et estime qu'il ne doit pas se dédouaner ainsi de sa responsabilité. Alors que les dispositifs d’aides vont s’éteindre, elle l’invite à mettre en œuvre une nouvelle stratégie pour les 10 ans à venir.
"Un État prescripteur, mais nullement accompagnateur." Tel est le portrait qu’a dressé ce 19 septembre, en conférence de presse, le président de l’association Amaris, Alban Bruneau, en tirant le bilan de la loi Bachelot sur les risques. Adoptée il y a tout juste 20 ans après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, cette dernière prescrivait notamment la création de plans de prévention des risques technologiques (PPRT) dans les zones à risques. Mais pour le maire de Gonfreville l'Orcher - qui abrite la plus importante raffinerie française, en Seine-Maritime -, "l’État s’est contenté de donner un cadre, en laissant des collectivités démunies à la manœuvre et sans se soucier de la suite". Il en veut pour preuve "l’absence d’évaluation de la loi de la part des pouvoirs publics" ou le fait que "nombre de commissions de suivi de site, présidées par les sous-préfets, ne se réunissent même pas".
Un bilan "très décevant"
Faute de bilan officiel établi par les pouvoirs publics, l’association s’est employée à le dresser, en s’adjoignant le concours de l’École nationale des travaux publics de l’État pour recueillir les retours d’expérience des collectivités concernées (44 collectivités ont répondu, représentant 36 PPRT, pour un total de 378 PPRT aujourd’hui approuvés, qui concernent 800 communes). Sans grande surprise (voir nos articles des 25 mai 2021 et 20 septembre 2021) , "ce bilan s’avère très décevant", pointe Alban Bruneau. Seules deux avancées de la loi trouvent grâce aux yeux de l’association. D’une part, la réduction des risques à la source, opérée par les industriels, les seules mesures selon Amaris à avoir "bénéficié d’une mise en œuvre relativement complète et conforme aux objectifs". D’autre part, l’ouverture de la concertation aux collectivités lors de la phase d’élaboration des PPRT. Mais l’association relativise d’emblée ce bon point : "Les discussions portaient principalement sur des aspects techniques". Plus encore, elle considère que "le dispositif s’est imposé de manière autoritaire" et déplore que "ces dispositifs d’échange n’aient pas perduré au-delà de la phase d’élaboration du PPRT, faute de moyens pour les faire fonctionner".
Pour le reste, Alban Bruneau égrène les rendez-vous manqués : "75% des logements concernés par des travaux de renforcement n’ont pas été traités ; 45% des habitants vivent dans des zones très exposées sans proposition alternative à un départ qu’ils refusent ; 60% des mesures foncières impactant des biens d’activité économique n’ont pas été mis en œuvre ; des dizaines de milliers de salariés, d’usagers, d’équipements publics, de locataires de logements sociaux sont exposés quotidiennement". Pour l’association, ces échecs sont "directement imputables à l’insuffisance des moyens et outils mis à disposition des collectivités par l’État, au déficit d’information de la population et à la rigidité des PPRT".
Des moyens, mais trop d’entraves
Des moyens, il y en a pourtant eu. D’après les calculs de l’association, environ 880 millions d’euros au total, dont près de 380 millions d’euros resteraient toutefois à consommer. Un exemple : sur les 114 millions d’euros à la charge de l’État prévus pour les mesures foncières (délaissements ou expropriations), seuls 23 millions ont été dépensés, selon des chiffres de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) de juillet dernier.
Depuis 20 ans, les raisons de cet échec sont connues : des travaux pour les ménages certes subventionnés à 90% mais dont le reste à charge reste souvent trop conséquent pour eux ; une aide de l’État sous forme de crédit d’impôt qui contraint les ménages à avancer des sommes dont ils ne disposent pas ; un plafond de financement parfois insuffisant pour une mise en sécurité efficace ; un attachement sous-estimé des ménages à leur habitat et/ou l’absence d’une culture du risque, qui conduit à ignorer ou minimiser les dangers… Amaris pointe en outre "une gestion administrative extrêmement lourde des mesures foncières laissée à la seule charge des collectivités" ou l’insuffisante association des populations à l’élaboration des PPRT : "L’État a interpellé les habitants, mais ne s’est pas donné les moyens de les écouter". Elle met encore en avant certains trous dans la raquette, déjà dénoncés (voir notre article 5 novembre 2019) : "Rien n’a été prévu pour les équipements publics, ce qui a souvent conduit les collectivités à la paralysie". Une paralysie par ailleurs aggravée par la rigidité des PPRT – "une photo prise à un instant T et jamais révisée" –, qui interdit aux collectivités la mise en œuvre de nombreuses politiques publiques. "Comme la création de pistes cyclables", prend exemple Pierre Athanaze, vice-président de l’association et vice-président de la métropole de Lyon. Amaris dénonce encore "l’angle mort de la protection des entreprises riveraines" ou l’absence de dispositif pour le logement social. "Le président de la métropole de Lyon a récemment alerté le ministre sur cette question, mais n’a pas reçu de réponse", révèle l’élu lyonnais.
Un dispositif qui s’éteint, des maires qui ne veulent pas porter le chapeau
Amaris relève que la situation a peu de chances de s’améliorer, puisque les dispositifs d’aides arrivent à leur terme et ne paraissent pas devoir être prolongés. "Le président de la métropole de Lyon a interrogé le ministre le 16 mai dernier sur cette éventuelle prolongation. Son courrier reste sans réponse à ce jour", indique Pierre Athanaze. Ce qui laisse en conséquence de nombreux concitoyens à la merci d’un nouvel accident industriel. Une responsabilité que n’entendent pas endosser les maires. Certes, Pierre Athanaze concède que "dans un même PPRT, les taux de réalisation sont très variables d’une commune à l’autre". Mais il relève que "ces taux peuvent aussi varier en fonction des quartiers". Surtout, il pointe que "quand c’est à l’échelle de toute une région que cela ne marche pas, on ne peut pas incriminer les maires !". Et l’association de relever par exemple que sur les 427 diagnostics prévus sur les logements privés en région Hauts-de-France, aucun n’a été réalisé. L’Île-de-France (0/19) et la Corse (0/34) affichent également un zéro pointé, alors que les régions Nouvelle-Aquitaine (228/257), Grand Est (331/393) ou Normandie (412/501) approchent de l’épure (mais en restent loin pour l’état d’achèvement des travaux prescrits). "Là où l’État s’est mobilisé, le risque a reculé. Il ne peut pas mettre l’échec du dispositif sur le compte des collectivités. L’État est et doit rester responsable", martèle Alban Bruneau.
24 propositions pour repartir du bon pied
L’association n’entend toutefois nullement baisser les bras. "Il n’est pas acceptable de laisser des habitants exposés aux risques sans agir. L’État ne peut pas s’arrêter là", insiste le président d’Amaris. L’association dresse 24 propositions pour remédier à la situation, articulées autour de 5 axes.
· Définir une nouvelle stratégie nationale pour les 10 ans à venir. Tenant compte de 20 ans d’échecs, l’association invite l’État à revoir la copie. Elle plaide toutefois pour une prolongation des dispositifs d’aide existants dans l’attente de son déploiement.
· Élaborer des feuilles de route à l’échelle locale. "20 ans d’expérience nous ont appris qu’il est crucial de prendre en compte les besoins et attentes des territoires, des habitants, des responsables économiques. Le principal niveau d’action est local, auquel il faut donner des marges de manœuvre", clame Amaris. Ces feuilles de route seraient établies pour chaque PPRT sous l’autorité du préfet et en concertation avec les parties prenantes. Elles intégreraient les enjeux de la gestion de crise et mobiliseraient les outils de droit commun (Scot, PLU…).
· Mobiliser les ressources financières nécessaires, "en donnant aux territoires les capacités d’agir", insiste Alban Bruneau. Amaris préconise notamment la création d’un fonds pour la prévention des risques industriels sur le modèle du fonds Barnier, qui serait alimenté par une taxe sur les sites Seveso (elle suggère le maintien de la CVAE pour ces derniers) ainsi que par les sommes provisionnées mais non consommées de l’actuel dispositif. Elle suggère également un fléchage de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) vers des actions de prévention des risques industriels ou la mobilisation d’autres dispositifs existants, comme le fonds vert.
· Organiser le dialogue et être à l’écoute du territoire. "Il ne peut y avoir de politique de prévention efficace sans une étroite association de l’ensemble des acteurs, en particulier les populations exposées", avertit l’association, qui se fait cinglante : "L’accumulation d’informations dans des bases de données, l’accès aux réunions par internet et les brochures d’information ne suffisent pas à créer une culture du risque". Concrètement, Amaris invite notamment à réformer les commissions de suivi.
· Adapter la réglementation aux enjeux actuels. L’association met en exergue le changement climatique et la stratégie de réindustrialisation. Comme la Cour des comptes (voir notre article du 16 juin), elle évoque également "la montée en puissance de politiques publiques concurrentes", pointant la nécessité de "mettre en cohérence les multiples outils réglementaires dédiés aux risques – plans de prévention des risques technologiques (PPRT), porter à connaissance (PAC), servitudes d’utilité publique (SUP), plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), plans de prévention des risques naturels d’inondation (PPRI), etc. – pour qu’ils soient réellement intégrés dans les politiques d’aménagement du territoire et de planification". Elle préconise encore de prendre en compte les effets et les risques générés par les pollutions industrielles sur la santé et l’environnement, chantier auquel elle s’est déjà attelée (voir notre article du 17 mai 2022).
S’agissant des opérations de protection des logements, il importe sans doute aussi de bien veiller à les lier avec les opérations de rénovation énergétique, pour une rénovation réellement "globale". "On s’y emploie. À la métropole de Lyon, nous lions systématiquement les dispositifs Secureno’v et Ecoreno’v", assure Pierre Athanaze.