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Retour aux 90 km/h : l’État ne rendra pas les armes sans combattre

Le ministre de l’intérieur vient d’adresser aux préfets une instruction les invitant à examiner avec attention, notamment en leur qualité de président de la commission départementale de sécurité routière, les arrêtés des autorités de police de la circulation relevant la vitesse maximale autorisée sur certaines sections de route hors agglomération. Et, le cas échéant, à déférer au tribunal administratif ceux jugés non conformes.

Alors que plusieurs départements ont d’ores et déjà annoncé le retour aux 90 km/h sur une partie de leurs routes, comme la Haute-Marne , la Seine-et-Marne , le Loir-et-Cher ou encore le Cantal, le gouvernement n’entend pas faciliter le mouvement, comme le redoutait, par exemple, il y a quelques mois, le député LR du Cantal Vincent Descoeur*. À tout le moins, il veille à s’en démarquer, se gardant de tout blanc-seing. Dans une circulaire du 15 janvier, le ministre de l’Intérieur rappelle ainsi aux préfets la procédure que doivent suivre les autorités investies du pouvoir de police pour mettre en œuvre les dispositions de la loi d'orientation des mobilités (LOM) permettant ce relèvement de la vitesse maximale autorisée sur les routes du réseau secondaire hors agglomération et leur précise la conduite à tenir.
En préambule, il prend en outre soin de relever que la décision du Premier ministre de passer aux 80km/h avait "immédiatement porté ses fruits", estimant à 206 le nombre de vies épargnées grâce à cette mesure, et même à 60 supplémentaires "sans les dégradations et destructions de radars massives intervenues à compter de la mi-novembre 2018". Et ne manque pas de rappeler que l’État, "qui est aussi gestionnaire d’une partie du réseau routier concerné, a fait le choix de conserver la vitesse maximale autorisée à 80 km/h". Plus exactement, les députés avaient rejeté l’amendement sénatorial qui prévoyait que les préfets pourraient bénéficier de la même latitude de décision pour les routes nationales, la ministre Élisabeth Borne ayant notamment décidé lors des débats que "les préfets ne dérogent pas aux décisions du Premier ministre" (lire notre article).

Fonctionnement de la CDSR

L’instruction semble retenir une lecture exigeante, pour ne pas dire extensive, du nouvel article L. 3221-4-1 du code général des collectivités territoriales, qui dispose notamment que la décision de relever la vitesse maximale autorisée "prend la forme d’un arrêté motivé [du président du conseil départemental, du maire ou du président de l’EPCI compétent], pris après avis de la commission départementale de sécurité routière (CDSR), sur la base d’une étude d’accidentalité portant sur chacune des sections des routes concernées". Elle indique en effet que les membres de la CDSR "seront amenés à se prononcer sur la motivation de l’arrêté" et que la CDSR "rendra un avis sur chaque section de voie pour laquelle le relèvement de la vitesse est demandé". De même considère-t-elle que "l’étude d’accidentalité […] doit être confrontée avec les données d’accidentalité et l’étude départementale dont disposent les services départementaux de l’État". Pour ce faire, et même "si l’article de loi n’indique pas que l’étude d’accidentalité doit être transmise", elle invite les préfets, en leur qualité de président de la CDSR, à demander à en être destinataires si celle-ci n’a pas été communiquée d’initiative, en se fondant sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Elle leur suggère également de solliciter les personnes extérieures dont l’audition est de nature à éclairer les délibérations de la commission et de faire apparaître les analyses de l’observatoire départemental de la sécurité routière dans le PV de la CDSR, voire de les y annexer.
L’instruction leur rappelle enfin qu’en cas de partage égal des voix (des membres présents ou représentés), la leur est prépondérante. Rappelons toutefois que, comme l’avait indiqué le secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebarri lors des débats, "la commission départementale de la sécurité routière fournira un avis simple et non liant".

Position de l’État au sein de la CDSR

L’instruction précise ensuite que le collège représentant l’État au sein de la commission "donnera systématiquement un avis défavorable" dans les cas où l’étude d’accidentalité n’aura pas été communiquée ou si son analyse fait apparaître des critères incompatibles avec le relèvement de la vitesse maximale. Il en sera jugé ainsi en cas de trafic poids lourd élevé (plus de 150 véhicules/jour), d’une V85 poids lourd (vitesse en-dessous de laquelle circulent 85% des poids lourds) supérieure à 80 km/h et d’une V85 véhicule léger supérieure à 90 km/h, mais aussi en présence, sur la section concernée, d’arrêts de transport en commun, de traversées de chemins de grande randonnée ou de véloroutes, de riverains ou d’engins agricoles. De même si, à défaut de séparation physique des deux sens de circulation, l’interdiction de dépassement n’est pas matérialisée par deux bandes blanches avec alerte sonore ; si la section de route comporte des intersections sans interdiction de "tournez à gauche" ou sauf présence d’intersections dénivelées ou de giratoires ; en l’absence d’accotements revêtus d’1,5 m au minimum et dotés d’une alerte sonore en rive ou encore en présence d’obstacles non protégés dans les 4 m du bord de chaussée (incluant les accotements revêtus) – l’État faisant ainsi "siennes les observations apportées par le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière", particulièrement discutées lors des débats parlementaires.
En outre, les sections à 3 voies doivent comprendre des créneaux de dépassement atteignant un minimum de 1 km par sens de circulation pour permettre un relèvement de la vitesse sur le sens opposé.
L’avis sera également systématiquement défavorable en cas d’absence ou de faiblesse de la motivation de l’arrêté pour chaque section de voie concernée, conçue comme la mise en évidence des gains recherchés justifiant la dérogation en les comparant avec le risque d’augmentation des accidents graves potentiellement lié à l’augmentation des vitesses (un classique bilan coûts/avantages).
Dans le cas où l’avis du collège de représentants de l’État est défavorable au relèvement alors que celui émis in fine par la CDSR est favorable, il incombera en outre au préfet de demander à ce qu’il soit fait mention du désaccord de l’État avec l’avis rendu (tout membre de la commission pouvant d’ailleurs demander qu’il soit ainsi fait mention de son désaccord).

Rappel des risques encourus et défèrement au tribunal administratif des arrêtés non conformes

Par ailleurs, "dans le cadre du dialogue permanent qu’ils entretiennent avec leurs interlocuteurs au sein des départements ou des municipalités concernées", les préfets devront rappeler aux autorités de police de la circulation les risques juridiques encourus lorsque ces exigences (saisine de la CDSR, justification de la mesure par une motivation précise pour chaque section de voie…) n’auront pas été satisfaites, et le cas échéant, sont appelés à déférer les arrêtés jugés non conformes – exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage – au tribunal administratif. De même devront-ils rappeler à tout porteur de projet les conséquences d’une décision de relèvement des vitesses en termes de signalisation routière à mettre en place (son absence rendant ledit relèvement inapplicable), à la charge du gestionnaire concerné. En revanche, l’instruction reste muette sur les éventuels risques de mise en cause de la responsabilité pénale des élus en cas d’accident, menace un temps agitée par les contempteurs de la mesure.

* Assemblée nationale, séance du 11 septembre 2019 : "Je voudrais vous entendre garantir que tant les commissions départementales que les préfets ne seront pas invités à répondre par des avis négatifs aux propositions des présidents d’exécutif. […] si, d’aventure, un certain nombre de dispositions venaient rendre impossible toute décision de président d’exécutif ou la transformaient en un parcours du combattant, ce serait un véritable abus de confiance : un abus de la confiance des parlementaires, qui ont voté un assouplissement de la limitation de vitesse, un abus de la confiance des automobilistes, qui ont compris que demain, cette mesure ne sera pas appliquée de manière uniforme sur le territoire".