Retards de paiement : les collectivités ne montrent pas l'exemple
Les retards de paiement des entreprises sont au plus haut depuis le Covid, alerte Altares dans un panorama publié le 17 septembre, mêlant pour la première fois secteurs public et privé. Le cabinet met en garde contre l'impact de ces retards sur la trésorerie des entreprises, au moment où les défaillances se multiplient.
Les retards de paiement des entreprises s'allongent au deuxième trimestre 2024 pour s'établir à 12,9 jours. Soit un jour de plus sur un an. Ils sont "au plus haut" depuis la crise sanitaire, affirme le cabinet Altares, dans un panorama sur les retards de paiement des entreprises en France et en Europe, publié le 17 septembre et qui, pour la première fois, mêle secteurs public et privé. "Dans une conjoncture qui souffle le chaud et le froid", moins d'une organisation (entreprise ou administration) sur deux paye ses fournisseurs à l'heure, alerte Thierry Million, directeur des études du cabinet Altares. Or il apparaît que, s'il s'améliore un peu, le secteur public ne montre pas l'exemple. Les retards y sont même légèrement supérieurs au privé (13,3 jours contre 12,5), alors que les textes sont plus stricts à son égard : ils plafonnent les délais à 30 jours pour l'État et les collectivités, 50 pour les hôpitaux, contre 60 jours dans le privé. Seuils à partir desquels des amendes administratives peuvent être prononcées.
Avec en moyenne 12,7 jours de retard, les collectivités peuvent se rassurer en se disant qu'elles font mieux que l'administration de l'État (20 jours de retard en moyenne). Mais l'étude fait apparaître des écarts très importants selon les échelons territoriaux. Régions, métropoles et départements sont les lanternes rouges avec des retards respectifs de 23 et 20 et 19,7 jours. Soit le niveau des hôpitaux dont les retards sont de 20,6 jours. Les communautés d'agglomération font à peine mieux (18,3), suivies des communautés de communes (14,2). Les communes se montrent un peu plus vertueuses avec leurs fournisseurs et payent leurs factures avec 12,7 jours de retard en moyenne. Le retard des collège et lycées se stabilisent sous douze jours (11,4), alors que les universités sont au-dessus de 15 jours.
Un manque de 15 milliards d'euros sur la trésorerie des entreprises
Du côté du privé aussi, les écarts sont importants. Signe que les temps sont difficiles, les pratiques des entrepreneurs individuels qualifiés de "meilleurs élèves" l'an dernier avec 8,5 jours de retard, dérapent : ils mettent cinq jours de plus à payer leurs fournisseurs. La situation se tend aussi pour les TPE dont les délais passent de 12 à 14 jours. À l'inverse, les entreprises de plus de 1.000 salariés s'améliorent un peu et gagnent un jour, mais elles restent à un niveau de retard très élevé (17,8 jours). Les petites PME demeurent sous la barre des 12 jours, mais les plus grosses (de 200 à 999 salariés) restent à des niveaux très supérieurs à la moyenne (14,5).
Or "chaque jour de retard représente une somme colossale qu’il faut financer", rappelle Thierry Million, en appendice du panorama, sachant que dans son rapport de 2023, l'Observatoire des délais de paiement avait évalué à 15 milliards le manque de trésorerie qui auraient pu être transféré aux TPE et PME. "Parfois impossible à couvrir, ce besoin de financement peut précipiter le créancier vers la défaillance", alerte-t-il, évoquant un enjeu de "survie" pour les entreprises, au moment où les défaillances atteignent des niveaux records. Une étude de la Banque de France publiée en 2022 a montré que les retards de paiement des factures augmentaient "la probabilité de défaillance d’une entreprise de 25%, et de 40% si les retards excèdent un mois".
C'est dans l'immobilier, traversé par une crise profonde, que les délais sont les plus importants : 27 jours de retard dans la promotion immobilière, 22 pour les agences, soit grosso modo le niveau des retards dans les métiers de la communication ou le secteur des coiffeurs et soins de beauté. À l'opposé, la manufacture (réparation industrielle, caoutchouc-plastique, métallurgie-mécanique ou encore matériaux de construction) présente des retards de moins de dix jours. Ce qui est également le cas de la construction et du bâtiment, pourtant pas épargnés par la crise du logement.
Les données des collectivités en accès libre
Au-delà des pénalités de retard, le non-respect des délais est passible d'une amende administrative pouvant allert jusqu'à 75.000 euros pour une personne physique et 2 millions d'euros pour une personne morale. La Répression des fraudes (DGCCRF) chargée de s'assurer du respect des règles de paiement des fournisseurs avait annoncé au mois de juin, avoir lancé 138 procédures de sanction contre des entreprises, entre janvier et mai 2024, pour un total de près de 30 millions d'euros d'amendes et pré-amendes, pour des contrôles effectués en 2023. Parmi les entreprises sanctionnées figurait (2 millions d'euros d'amende), Ikea (1,86 million d'euros), Arcelor Mittal (1,5 million d'euros), Eurodisney (1,3 million d'euros) et la banque HSBC Continental Europe (1,27 million).
S'agissant des payeurs publics, le gouvernement sortant a misé sur l'exemplarité. En application de la loi Pacte de 2019, pour la première fois cette année, les délais de paiement des collectivités de plus de 3.500 habitants sont consultables en accès libre. Soit plus de 17.000 structures (collectivités, CCAS, syndicats...) passées au crible. La majorité d'entre elles sont sous les trente jours. Mais pour d'autres, les résultats sont édifiants. Ainsi, la communauté de communes du Pays Orne Moselle affiche des retards de 184 jours. Elle est suivie de la communauté de communes de la Châtaigneraie cantalienne, avec 182 jours. Parmi les régions, l'Île-de-France met en moyenne 85 jours pour payer ses factures, la Nouvelle-Aquitaine 35 et Paca 31. Du côté des départements, ce sont Mayotte, la Seine-Saint-Denis et le Pas-de-Calais qui sont les plus mauvais payeurs (avec respectivement des délais de 72, 45 et 43 jours). Pour les métropoles, Rouen Normandie frôle la correctionnelle (29,9), suivie de la métropole du Val de Loire (27,4) et du Grand Nancy (26,4). Mais toutes catégories confondues, c'est la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe, en Guadeloupe, qui se montre le plus mauvais payeur, avec un délai moyen de 340 jours…
Au moment de la crise du Covid, les retards avaient été portés à plus de 14 jours en France comme ailleurs en Europe. "Mais depuis l’été 2023, les comportements de paiement se dégradent plus vite en France qu’en Europe", souligne le cabinet. Sur le continent, ce sont les Pays-Bas qui se montrent les plus vertueux avec des retards de 3,3 jours à peine.