Responsabilité financière des gestionnaires publics : la réforme est parue
L'ordonnance qui procède à la refonte du régime de responsabilité financière des acteurs publics, a été publiée le 24 mars. Elle prévoit qu'à partir du 1er janvier 2023, les comptables et les ordonnateurs seront soumis à des règles de responsabilité communes. Mais le principe de leur séparation sera maintenu. Stéphanie Damarey, professeure de droit public à l’université de Lille décrypte ces dispositions.
A partir du 1er janvier prochain, les deux régimes de responsabilité devant les juridictions financières – l'un pour les comptables publics et l'autre pour les agents publics – qui coexistent aujourd'hui, cesseront de s'appliquer. Ils seront remplacés par un régime "unifié" de responsabilité financière, dont les modalités sont prévues par une ordonnance parue le 24 mars. Un texte que l'exécutif a été habilité à prendre en application de la loi de finances pour 2022.
Il avait décidé d'engager cette réforme lors du 5e comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 5 février 2021. Il s'agissait de suivre l'une des préconisations du Comité action publique 2022, dans le rapport que celui-ci avait remis en juin 2018. L'objectif était de dépoussiérer des règles pouvant conduire à "entraver la prise de risque et la capacité d’initiative des gestionnaires" et "paralyser l’action publique", comme l'indique l'étude d'impact de la loi de finances pour 2022.
"Faute grave ayant causé un préjudice financier significatif"
Dans le viseur du gouvernement : la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Un principe qui conduit ces derniers à être responsables sur leurs deniers propres du recouvrement des recettes et du paiement des dépenses, et ce quelles que soient les circonstances – en sachant qu'existe toutefois une possibilité de demander une décharge de responsabilité ou une remise gracieuse au ministre. "L'approche exhaustive, au premier euro", sur lequel repose ce système, "ne permet ni de cibler les opérations les plus significatives ni de prendre en compte l'évolution des chaînées financières qui se traduit notamment par une imbrication de plus en plus poussée des acteurs et des procédures", fait valoir le gouvernement dans le rapport de présentation de la réforme.
Le régime de responsabilité financière "unifié" qui sera mis en œuvre le 1er janvier 2023 met fin à ce principe de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. A la place, il prévoit un régime de sanctions pour "les infractions aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l'Etat, des collectivités, établissements et organismes soumis au contrôle des juridictions financières, constitutives d'une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif". Quant aux "fautes purement formelles ou procédurales", elles devront "relever d’une logique de responsabilité managériale", fait savoir le gouvernement.
En outre, l'ordonnance modernise certaines infractions, comme la faute de gestion, l’avantage injustifié et la gestion de fait (qui, pour rappel, correspond au maniement de deniers publics par toute autre personne qu'un comptable public). Ces infractions, applicables aux personnels fonctionnaires ou contractuels, seront sanctionnées par des peines d’amendes plafonnées à six mois de rémunération ou à un mois pour les infractions formelles.
"Recentralisation"
La chambre du contentieux de la Cour des comptes, composée à parité de magistrats de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, sera chargée d’instruire et de juger les affaires en première instance.
Il s'agit là des principales modifications d'une réforme qui ne remet toutefois pas en cause le principe "fondamental" de séparation de l'ordonnateur et du comptable.
Dans un communiqué, le Premier président de la Cour des comptes a salué "une réforme historique pour renforcer la confiance des citoyens dans l'action publique". On rappellera que Pierre Moscovici avait fait de celle-ci l'une des priorités du projet stratégique de la Rue Cambon ("JF 2025"). Ces évolutions sont en revanche contestées par les magistrats des chambres régionales des comptes (CRC). "L’ordonnance s’inscrit à rebours de la décentralisation, en retirant leur mission juridictionnelle aux CRC, juridictions de proximité, et en la recentralisant dans une chambre de la Cour des comptes, à Paris", critiquait le mois dernier le syndicat des juridictions financières (voir le communiqué).
De leur côté, les élus ont regretté, lors de la réunion du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) du 3 mars dernier, que la réforme reste "ancrée dans une philosophie axée sur la notion de faute", alors qu'elle aurait pu "lancer un message de confiance". Pour autant, aucun des élus n'a voté contre le projet d'ordonnance.
Professeure agrégée de droit public à l’Université de Lille, Stéphanie Damarey considère que l'ordonnance restreint les marges de manœuvre dont peut disposer le juge financier s'agissant de la responsabilité financière des gestionnaires publics. Localtis – Accomplit-on un progrès avec la mise en place d'un régime de responsabilité commun aux ordonnateurs et aux comptables ? Stéphanie Damarey – La mise en place d'un régime unifié était nécessaire. Cela constitue donc un progrès. Mais ce sont les détails des modalités de mise en cause de la responsabilité financière des gestionnaires publics qui posent problème. Trop contraintes, ces modalités ont été pensées pour limiter les cas d'engagement de cette responsabilité. Et c'est volontaire. Les ministres et les élus locaux – qui sont les principaux acteurs de l’exécution budgétaire – pourront-ils être poursuivis pour les éventuelles fautes commises dans le cadre de leur gestion ? La liste est longue des acteurs échappant à leur responsabilité financière. Le texte maintient toutefois la possibilité d'engager la responsabilité des élus locaux selon les modalités actuelles, pratiquées devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Notamment en cas d'inexécution d'une décision de justice, ou encore en cas d'utilisation par l'ordonnateur local de son pouvoir de réquisition ayant pour effet de procurer à autrui ou à soi-même un avantage injustifié. Plus largement, pour les élus locaux et les ministres, le texte maintient la possibilité d'une procédure pour gestion de fait. En pratique, cette procédure a perdu de sa vigueur au cours de ces dernières années : peu de gestions de fait ont été sanctionnées, en comparaison des statistiques des années 1990 ou début 2000. C'est là où l'on peut espérer que le juge des comptes réactive sa jurisprudence en matière de gestion de fait et aille rechercher, plus souvent qu'il n'avait l'habitude de le faire depuis une petite vingtaine d'années, les responsabilités pour gestion de fait. Vous avez pointé dans divers articles le fait que le projet d'ordonnance encadrait fortement les pouvoirs du juge. Est-ce toujours le cas avec l'ordonnance ? Oui, le cadre juridique est très contraignant. Un exemple : la gravité de la situation ne suffira pas pour engager la responsabilité financière, il faudra également que celle-ci soit associée à un "préjudice financier significatif". Ceci va nécessairement contraindre le juge et réduire d'autant les cas d'engagement de la responsabilité des gestionnaires publics. Là également, c'est volontaire. Bercy a clairement voulu filtrer les voies d'action devant le juge financier. Les directeurs généraux des collectivités territoriales seront-ils exposés à d'éventuelles poursuites judiciaires et financières ? Très clairement, le texte doit permettre d'aller rechercher les responsabilités financières de l'ensemble des acteurs de l'exécution budgétaire. Donc, oui, un DGS pourrait voir sa responsabilité plus facilement engagée qu'elle ne l'était devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Mais encore une fois, toute proportion gardée, car la combinaison (faute grave et préjudice financier significatif) peut ôter beaucoup de l'intérêt du nouveau schéma de responsabilité financière mis en place avec l'ordonnance. Propos recueillis par écrit par Thomas Beurey |
Références : ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ; rapport au président de la République relatif à cette ordonnance. |