Réforme de l'Etat - Réorganisation de l'administration de la jeunesse et des sports : la cacophonie s'amplifie
On l'attendait fin juin, elle ne sera pas prise avant fin juillet. Elle ? La décision du Premier ministre concernant la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat dédiés à la jeunesse et aux sports, aujourd'hui regroupés au sein des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et des directions départementales de la cohésion sociale (DDCS).
Résumé des épisodes précédents : alors que les deux niveaux territoriaux relèvent aujourd'hui de deux hiérarchies différentes – le ministère de la Jeunesse et des Sports pour le régional, le ministère de l'Intérieur via les préfets de département pour le départemental –, syndicats, gouvernement et désormais directeurs de services s'affrontent sur la forme de la future organisation.
Pour les syndicats, la solution pour remettre de l'huile dans les rouages d'une administration où l'on n'arrive plus à "travailler en bonne intelligence" consisterait à créer dans les départements des unités territoriales raccrochées hiérarchiquement à l'échelon régional, à l'image de ce qui existe dans l'Education nationale avec l'articulation entre le rectorat et les inspections académiques. Mais les représentants du personnel se déchirent sur un autre point. L'intersyndicale menée par le SEP-Unsa souhaite que les personnels passent de la DRH de la cohésion sociale à celle de l'Education nationale. But de la manoeuvre : mieux reconnaître les missions éducatives des agents Jeunesse et Sports qui, aujourd'hui, sont confrontés à des situations ubuesques qui vont de la participation à une campagne de vaccination à l'organisation de l'hébergement d'urgence. De son côté, Jean-Marc Grimont, secrétaire fédéral Sgen-CFDT, est contre cette proposition : "Cela nous semble contradictoire avec l'idée d'obtenir des unités territoriales Jeunesse, Sports et Cohésion sociale, et donc de conserver l'interministérialité au niveau régional."
Fusion des directions régionales et départementales pour Patrick Kanner et Marisol Touraine
Du côté de Patrick Kanner, ministre de la Jeunesse et des Sports, et de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, on a récemment fait évoluer le discours gouvernemental. Le projet serait désormais d'organiser des services déconcentrés autour de directions régionales et départementales de la cohésion sociale, de la jeunesse et des sports (DRDJSCS) créées dans l’ensemble des villes chefs-lieux de région, qu'elles soient fusionnées ou non, au 1er janvier 2016.
En clair, cela conduirait partout à une fusion de la DRJSCS et de la DDCS, et à la mise en place de brigades assurant des missions interdépartementales, qui resteraient des antennes de la direction régionale, sur les anciens sites des DRJSCS des régions fusionnées. Avec à la clé un transfert d'une partie des effectifs des DRJSCS vers l'échelon départemental. Toutefois, le projet ne dit pas si de tels transferts seraient également prévus dans les régions qui ne fusionneront pas.
Selon Jean-Marc Grimont, cette proposition a été présentée par le ministère Jeunesse et Sports comme "une alternative, un moindre mal" par rapport à l'intention initiale de Matignon et des préfets d'accentuer le caractère interministériel des services déconcentrés de l'Etat au niveau départemental.
"Nous n'avons pas l'information selon laquelle le Premier ministre pencherait pour ce schéma-là, explique Jean-Marc Grimont. Mais cette proposition n'a pas été suffisamment travaillée, notamment en ce qui concerne les conséquences en termes de gestion du personnel et de répartition des compétences entre les échelons territoriaux."
La proposition des ministres reste pour Jean-Marc Grimont "éloignée" de la position défendue par son syndicat, lequel souhaite au contraire voir "conforter le niveau régional comme le niveau pertinent de structuration de l’action publique territoriale, une position soutenue par la CFDT pour toute la fonction publique d'Etat", et reste attaché à la création d'unités territoriales, tout comme le SEP-Unsa, lequel qualifie les propositions de Patrick Kanner et Marisol Touraine d'"incompréhensibles et suicidaires".
Approche interministérielle pour les directeurs départementaux
De son côté, l'Association des directeurs départementaux de la cohésion sociale (ADDCS) a, dans un courrier du 6 juillet que Localtis a pu consulter, fait état de sa propre vision de la réorganisation du réseau jeunesse, sports et cohésion sociale. Une vision très éloignée de celle proposée par Patrick Kanner et Marisol Touraine, mais aussi de celle défendue par les syndicats. "Nous souhaitons que d’autres pistes, plus interministérielles soient envisagées", écrit son président Christophe Debove. Faute de quoi, "les agents des autres ministères, soit ne seront plus candidats pour venir travailler dans les DDI [directions départementales interministérielles], soit demanderont en masse un retour vers des structures plus identitaires de leur ministère d’origine et les postes ouverts seront difficiles à pourvoir". D'où la demande de l'ADDCS que le "secrétariat général [en DDI] continue à être sous l’autorité des services du SGG [secrétariat général du gouvernement]."
Notant par ailleurs que la question des missions et compétences entre les niveaux territoriaux "est source d’incompréhension voire de conflits entre les structures actuelles", l'ADDCS regrette "fortement que de nombreuses mises en œuvre se fassent à l’échelon régional, parfois en doublon ou avec peu de valeur ajoutée par rapport à l’action départementale ou interdépartementale", et ajoute que "l'absence d’étude d’impact […] conduit à penser que la mutualisation des fonctions support ne sera qu’un vœu pieux".
En outre, l'ADDCS demande, d'une part, qu'"à l'exception peut-être des CTS [conseillers techniques sportifs], s’ils étaient rattachés directement au niveau national, les autres missions sportives telles que le dopage et le haut niveau [soient] déléguées à l'échelon départemental dans une logique interdépartementale". Et prône un "transfert de mission aux Direccte sur les questions de formation/certification et de jeunesse". Or, en touchant à l'un des cœurs de métier des agents Jeunesse et Sports sur les territoires, l'hypothèse défendue par l'ADDCS mènerait au démantèlement de l'administration Jeunesse et Sports et aurait des conséquences explosives… "Notre priorité, c'est surtout que les personnels ne soient pas les perdants. Nous voulons éviter une mobilité forcée, génératrice de risques psychosociaux considérables", plaide Jean-Marc Grimont.
Le 23 juillet le Premier ministre doit acter la liste des futurs chefs-lieux des régions redécoupées ainsi que celle des futurs directeurs des différents services. Les syndicats, eux, ont déjà prévu de saisir le CHSCT du ministère des Sports pour contester la modification de leurs conditions de travail.