Sport - Réforme territoriale dans le champ du sport : les collectivités livrent un match serré
"La réforme des collectivités territoriales interpelle très fortement les élus, il y a un manque de visibilité." C'est en ces termes que Jacques Thouroude, président de l'Association des élus en charge du sport (Andes), a expliqué à Localtis le choix de centrer le congrès de son association, qui s'est déroulé le 4 octobre à Paris, sur les "grandes orientations du projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République", à savoir le prochain projet de loi sur les compétences des collectivités.
Invité vedette des débats, le secrétaire d'Etat aux Sports a pu, selon les mots de Jacques Thouroude, "ressentir au niveau de la salle l'inquiétude des uns et des autres". Thierry Braillard ne s'est d'ailleurs pas dérobé. Il a même anticipé la difficulté en avouant au moment de prendre place à la tribune que "les oreilles lui sifflaient". Après quelques échanges avec une salle comble, il aurait pu ajouter que les oreilles lui chauffaient…
La région "certainement" chef de file
Sur la question des compétences dans le domaine du sport, Thierry Braillard a tout d'abord fixé un cap : "J'entends que l'Etat continue à jouer tout son rôle, ainsi que les collectivités. Mais celles-ci ne sont plus les mêmes et cela va inciter à travailler sur les grandes régions et sur l'intercommunalité." Avant de le justifier en deux temps. Tout d'abord en posant d'entrée le rôle primordial de la région : "A partir du moment où l'on maintient sur le sport la clause générale de compétence, il faut essayer d'être efficace en donnant à la région, certainement, le rôle de chef de file." Puis en pointant la part qui doit revenir à l'intercommunalité : "Il est clair qu'il va falloir réfléchir de façon intercommunale et voir quelles compétences sportives l'intercommunalité devra prendre. Doit-elle se limiter à la gestion des clubs pro quand elle en a ? Je crois qu'il faut aller plus loin. Et sans déshabiller Paul, il faut habiller Jacques."
A la tribune, aux côtés du secrétaire d'Etat aux Sports, certains buvaient du petit lait, d'autres avalaient de travers. Pascal Bonnetain, président de la commission sport de l'Association des régions de France (ARF), a naturellement défendu le rôle de la région, tout en affirmant l'importance du bloc communal : "La compétence sur le sport va être partagée. Le bloc communal est fondamental, il doit avoir 80% de la propriété des équipements sportifs. On est aussi parfois conseiller municipal et conseiller communautaire, et on ne peut pas avoir des discours différents. Le bloc départemental, on ne sait pas ce qui va en résulter. La région est structurellement importante, c'est elle qui a les fonds européens, qui organise les conférences territoriales du sport, c'est elle qui pilote les CNDS régionaux [sic], c'est à elle que l'Etat veut transférer les Creps [centres de ressources, d'expertise et de performance sportives, ndlr]. La région peut donc être le chef de file d'une politique sportive."
Une concurrence entre régions ?
Chez Francis Parny, en revanche, les interrogations sur l'aspect final de la réforme territoriale, d'une part, et les logiques qui la sous-tendent, d'autre part, alimentent un fort scepticisme : "La question d'une gouvernance se pose dans un paysage, or le paysage nous ne le connaissons pas. Dans un domaine partagé, avec la nécessité de crédits croisés pour réaliser les grands équipements, on voit bien que si les départements disparaissent, cela a une conséquence énorme, car je ne crois pas que les régions ou l'Etat mettront plus pour compenser la disparition des départements." Pour le vice-président du conseil régional d'Ile-de-France chargé du sport, un des grands dangers qui guettent, à travers la nouvelle étape de la décentralisation, c'est la concurrence entre les territoires. En s'appuyant sur l'exemple des Creps, voués à être transférés aux régions, Francis Parny s'interroge : "Ne va-t-on pas assister à des surenchères entre des fédérations sportives et des présidents de région ? Cette logique de concurrence qui paraît conduire cette réforme est pour moi quelque chose de très pernicieux. On ne pose le problème qu'entre les territoires, or l'originalité française est que l'Etat a confié au mouvement sportif lui-même des missions de service public. On ne peut pas parler seulement entre nous. Il faut rester sur ce couple Etat-mouvement sportif, avec un Etat qui garantit au mouvement sportif les moyens d'assurer ses missions de service public."
Pour l'Andes, "on n'y est pas du tout"
Avant d'interpeller Thierry Braillard – "Monsieur le ministre, à aucun moment je ne vous ai entendu parler des départements" –, Marie-Evelyne Christin, responsable sport à l'Assemblée des départements de France (ADF), s'est livrée à un plaidoyer pro domo : "Dans les départements, la compétence obligatoire étant le social, les deux budgets sur lesquels on tape facilement, ce sont la culture et le sport. J'ose espérer que si les départements perdent certaines compétences comme les collèges ou les routes, le sport puisse rester au niveau de la proximité du terrain et donc au niveau des départements. Le sport a une énorme relation avec le social. Via le sport, on peut éviter certaines dépenses sociales, il serait donc intéressant que ces deux compétences restent ensemble." A cet appel des départements, le secrétaire d'Etat a trouvé une réponse facile tout en illustrant son désir affiché de "concertation" : "Je dis aux représentants de l'ARF et de l'ADF : il faudra que vous trouviez une cohérence dans vos politiques sportives."
Une région "certainement chef de file", une intercommunalité appelée à se substituer de plus en plus souvent aux communes, et des départements qui devront lutter âprement pour se faire une place, telle semble de dessiner la répartition des futures compétences en matière de sport.
Ce schéma a-t-il séduit les participants au congrès de l'Andes ? Rien n'est moins sûr. "Toutes les réponses n'ont pas été apportées", note d'abord Jacques Thouroude, avant de préciser : "Il faut faire très attention à ce que l'on met dans la notion de chef de file. Les communes et intercommunalités ne se laisseront pas guider sur ce qu'il faudra réaliser sur leur territoire. Il faudra une véritable transparence dans la mise en œuvre. Lors de notre première matinée de travail, le directeur général de l'AMF a bien rappelé que les collectivités devaient s'administrer librement. Le travail en commun, oui. La mutualisation, oui. Mais le commandement de l'un sur l'autre, on n'y est pas du tout." Le match est lancé…