Relocalisations : faire des villes moyennes le réceptacle de nouvelles usines
Avec l'actuelle épidémie de Covid-19, la question de la reconquête industrielle française et des relocalisations refait surface. Un rapport de Trendeo, publié le 2 novembre 2020, donne une idée du potentiel de relocalisation au niveau national et par secteur et région. Alors que les métropoles rechignent à accueillir de nouveaux sites, le cabinet suggère de s'appuyer sur les villes moyennes. Avec cette nouvelle étude, la Banque des Territoires, fortement mobilisée sur le sujet, compte affiner son intervention auprès des collectivités et industriels.
Avec la crise sanitaire, le "produire en France" revient au-devant de la scène. Le plan de relance gouvernemental, présenté début septembre 2020, prévoit de consacrer 35 milliards d'euros à la "reconquête industrielle", dont un milliard pour les relocalisations*. La Banque des Territoires se mobilise aussi fortement sur le sujet, avec plus d'un milliard d'euros. Sur la base d'une première étude conduite par le cabinet Trendeo au printemps, elle s'est fixé quatre priorités d'intervention : investir dans l'aménagement et l'immobilier industriel, accompagner la transition énergétique et environnementale de l'industrie, la mutation de la formation vers les métiers industriels et les stratégies territoriales industrielles.
L'un des enjeux qui se pose - et déjà évoqué avant la crise dans le cadre du cadre productif - est la difficulté pour les entreprises de trouver des sites disponibles. "Nous avons besoin de développer des zones industrielles qui soient rapidement accessibles, explique à Localtis François Blouvac, responsable du programme Territoires d'industrie à la Banque des Territoires, nous souhaitons accompagner les collectivités et les industriels sur ces sujets, pour améliorer l'attractivité de leurs sites avec une couche de services, énergie verte, traitement des déchets industriels, infrastructures numériques, datacenter, mobilités, immobilier…"
"Jouer la carte des villes moyennes"
Une nouvelle étude de Trendeo ("Dépendances industrielles : renforcer l’industrie pour mieux affronter les crises") permet à la Banque des Territoires d'affiner encore son approche territoriale. Publié le 2 novembre 2020, ce document volumineux fait état d'un taux de dépendance très élevé de la France pour son approvisionnement industriel (35% pour l'ensemble des biens intermédiaires importés et 24% pour le seul secteur industriel), soit plus que le Royaume-Uni ou l'Italie et quasi identique à l'Allemagne. Parallèlement, le rapport détaille le potentiel global de relocalisation en France, qui pourrait créer un million d'emplois, et décline ce potentiel par secteur et par région. Il propose notamment de "jouer la carte des villes moyennes".
"Les sites industriels représentent parfois des nuisances, liées aux va-et-vient des produits intermédiaires et des marchandises finies, à d'éventuels bruits, à l'occupation de surfaces foncières devenues rares, spécialement dans les métropoles, analyse Trendeo, pour toutes ces raisons, il convient de ne pas forcer l'industrialisation dans les grandes métropoles, au-delà des sites existants." Car si de nombreux sites industriels sont installés aux abords des métropoles, il s'agit davantage d'un héritage historique que d'un choix, comme les sites aéronautiques de Toulouse. "Il y a de nombreuses métropoles avec des zones industrielles attenantes, mais si on devait faire un nouveau site, avec les risques, je ne suis pas sûr qu'on le ferait si proche d'une métropole", explique ainsi à Localtis David Cousquer, créateur et gérant de Trendeo. Les accidents récents, au premier rang desquels AZF à Toulouse et Lubrizol à Rouen, peuvent en effet décourager ce type d'installation.
En revanche, les villes moyennes sont bien positionnées pour être des lieux d'accueil de nouvelles activités industrielles (ce qu'elles sont déjà comme en témoignent les Territoires d'industrie), éventuellement en lien avec les métropoles régionales, selon Trendeo. À condition de ne rien céder aux exigences environnementales et sécuritaires. Le foncier y est moins cher, le cadre de vie est également abordable et les possibilités d'installation sont globalement plus aisées. Reste toutefois à organiser ces complémentarités avec une approche de plus en plus qualitative pour accueillir ces sites, incluant des aspects technologiques, de réseau (5G), d'innovation et recherche (centres de recherche), des infrastructures de transport, etc. "Il y a un besoin d'articuler le lien entre industrie et villes, cela s'organise, se prépare, les collectivités doivent y réfléchir, on ne peut pas laisser les industriels seuls sur ces sujets et exiger d'eux qu'ils continuent à investir", insiste David Cousquer.
Accueillir des projets de grande taille
Pour Trendeo, il revient à l'État d'envisager des mesures d'aide directe et des plans de relance sectoriels et aux régions et collectivités territoriales de développer une offre foncière adaptée et d'assurer les mises en relation au plus près du terrain. C'est ce que le gouvernement a commencé à encourager avec les sites "clés en main". "En suivant la répartition observée des emplois de startups et des emplois de cadre dans les secteurs industriels (quartiers généraux, services internes), on peut imaginer que reviendrait aux régions de veiller, par exemple, à ce que des efforts disproportionnés ne soient pas consentis pour attirer des start-up en zone peu dense, alors que dans le même temps des initiatives de développement industriel en milieu métropolitain seraient financées", souligne le rapport.
Trendeo signale au passage le manque criant d'offre foncière pour des projets de très grande taille. Si ces projets sont plus rares que les petits (12 projets seulement demandant une surface supérieure à 20 hectares sont répertoriés sur les 344 projets d'investissement industriels recensés), "ils peuvent constituer des points d'ancrage importants pour toute une chaîne de sous-traitants". Pour exemple, la France n'a pas été en mesure de donner suite aux demandes de Tesla qui s'installera finalement à Berlin, avec un site d'une surface de 300 hectares. "Il y aurait du sens, selon nous, à ce que l'État s'assure qu'à tout moment une ou deux zones industrielles en France soient capables d'accueillir rapidement des projets demandant 50 à 300 hectares, sur des zones pré-aménagées et garanties conformes aux législations environnementales, archéologiques, etc.", insiste le rapport.
Une répartition des différents niveaux de décision
Autres idées : encourager l'émergence d'une sous-traitance industrielle, plutôt qu'une sous-traitance importée, et la mutualisation des moyens technologiques avancés, et favoriser les prises de participation au capital des ETI régionales par les régions, puisque la loi Notr du 7 août 2015 leur en donne la possibilité. "Les ETI sont plus résilientes que les PME et microentreprises en temps de crise, et plus dynamiques que les grands groupes dans les phases de reprise, ce qui, dans l'ensemble, leur confère un rôle important dans les créations d'emplois." Une démarche qui permettrait à la France de se rapprocher du modèle allemand, qui s'appuie sur un réseau dense d'entreprises de taille intermédiaire, son fameux Mittlestand.
Trendeo insiste aussi sur la nécessité de produire vert et de respecter le "zéro artificialisation nette" pour limiter les aménagements d'espaces industriels sur des zones naturelles, même si l'industrie ne représente que 4,2% des surfaces artificialisées. L'étude insiste sur la répartition des interventions des différents niveaux de décision (européen, national, régionale, métropolitain) : d'un côté les stratégies de recherche fondamentale et appliquée peuvent être prises en charge au niveau européen, tandis que le niveau national s'occupe du dialogue sectoriel, de la prospection des grands projets internationaux, et de la relation avec les grands groupes. Aux régions, la coordination de l’action des EPCI, les efforts en faveur de la relocalisation par un dialogue avec les acheteurs, et le dialogue avec les ETI. Et enfin, aux métropoles et EPCI incombent la relation avec les startups et PME et l’aménagement de zones foncières industrielles équipées pour répondre au mieux aux besoins de l’écosystème industriel local.
Ni l'État, ni la Banque des Territoires ne se donnent pour le moment d'objectifs chiffrés en matière de reconquête industrielle. "Il s'agit de proposer des financements, et de faire en sorte que ces financements soient consommés, insiste François Blouvac. Il faut aider les projets qui ne sont pas encore matures à le devenir et donner de la visibilité sur les moyens disponibles."
* 400 millions d'euros pour soutenir les 148 Territoires d'industrie (une première tranche de 150 millions d'euros est prévue pour 2020) et 600 millions d'euros pour sécuriser les approvisionnements et relocaliser des activités jugées stratégiques (santé, 5G, agroalimentaire…).