Les marchés publics à l'heure du déconfinement et de la reprise des chantiers : les précisions de la DAJ
Jusqu'à quand les dispositions de l'ordonnance du 25 mars restent-elles valables ? Et qu'en est-il du régime des avances ? Comment doit être géré le problème des surcoûts des chantiers ? Comment chiffrer ces coûts ? Est-il recommandé de prévoit des clauses de révision des prix ? Un rehaussement du seuil de dispense des marchés publics est-il toujours à l'ordre du jour ? Telles sont quelques-unes des questions sur lesquels Guillaume Delaloy, représentant de la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, a apporté des précisions intéressantes le 4 juin lors d'une webconférence.
Invités lors d'une webconférence organisée le 4 juin par l’Association pour l’achat dans les services publics (Apasp), Guillaume Delaloy, chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique à la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers, et Jean Marc Peyrical, président de l’Apasp, avocat et maître de conférences, se sont exprimés sur la place des marchés publics dans la relance de l’économie française. Si la commande publique a fortement été impactée par la crise liée au Covid-19, elle peut aussi être un véritable levier de relance.
Comme l’a rappelé Jean-Marc Peyrical en introduction, la commande publique représente en effet près de 10% du PIB français. Une donnée permettant de mieux appréhender le rôle que la commande publique peut jouer dans la relance de l’économie française qui subit les répercussions de la crise sanitaire.
Précisions sur l’application de l’ordonnance Covid-19 pour la commande publique
Guillaume Delaloy est tout d'abord revenu sur les mesures mises en place par l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020. Il a précisé que ce texte ne concernait pas uniquement les contrats soumis au code de la commande publique mais aussi d’autres "contrats publics" comme les contrats d’occupation domaniale ou les baux emphytéotiques administratifs. Les marchés et concessions passés en application de textes antérieurs (code des marchés publics de 2006, ordonnances de 2015/2016) entrent également dans cette notion de "contrats publics qui ne relèvent pas du code de la commande publique".
Concernant le champ d’application temporel de cette ordonnance, celui-ci avait initialement était limité à la fin de l’état d’urgence sanitaire auquel s’ajoutait deux mois. L’Etat d’urgence avait été proclamé jusqu’au 23 mai, ce qui emportait l’application de l’ordonnance du 25 mai jusqu’au 23 juillet 2020. La loi n°2020-546 du 11 mai 2020 a ensuite prorogé l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet, portant alors théoriquement la date de fin d’applicabilité de l’ordonnance du 25 mars au 10 septembre 2020.
Guillaume Delaloy a toutefois indiqué que "le gouvernement a souhaité déconnecter le champ d’application de cette ordonnance de la fin de l’état d’urgence". C’est pourquoi l’ordonnance n°2020-560 du 13 mai 2020 est revenue sur les dispositions initiales en maintenant la fin de l’applicabilité de l’ordonnance du 25 mars au 23 juillet 2020. Il a également précisé que les dispositions de l’ordonnance du 25 mars resteront applicables même après le 23 juillet pour les contrats en cours ou conclus pendant la période du 12 mars au 23 juillet 2020. La date du 23 juillet "ne marque donc pas la fin de ce dispositif".
Petite exception pour le régime des avances, qui restera quant à lui dérogatoire plus longtemps. Cette "mesure phare pour la trésorerie des entreprises candidates" (déplafonnement des avances au-delà de 60%) est effectivement maintenue pour tous les marchés publics conclus jusqu’au 10 septembre 2020. Interrogé par un participant, Guillaume Delaloy a notamment précisé qu’un contrat ne prévoyant pas d’avances pouvait faire l’objet d’un avenant pour modifier la possibilité ou la mise en œuvre du versement d’avances.
Reprise des marchés de travaux suspendus
La question des surcoûts liés à la suspension et à la reprise des chantiers, a également fait l’objet de discussions. On le sait, le confinement a entraîné l’interruption de nombreux chantiers, impliquant des frais de mise en sécurité, de démobilisation et de gardiennage. La reprise des chantiers est également une phase coûteuse en raison de l’adoption de nouvelles modalités d’organisation et du respect de préconisations de sécurité sanitaire. À ce titre, le président de la Fédération française du bâtiment a estimé que les surcoûts devraient représenter 10 à 20% du montant des marchés de travaux concernés. Se pose alors la question de la prise en charge de ces surcoûts. Doivent-ils être assumés par l’entreprise titulaire, par le maître d’œuvre, le maître d’ouvrage ?
Pour Guillaume Delaloy, "il n’y a pas de solution miracle". La DAJ avait au départ envisagé une solution législative s’inspirant de la théorie de l’imprévision pour proposer une solution uniformisée. Ce choix n’a finalement pas été retenu, la DAJ préférant "s’en remettre à la bonne volonté des parties pour s’accorder sur la répartition des surcoûts". L’imputation des surcoûts doit donc se négocier. Les collectivités doivent être vigilantes et, après avoir identifié les surcoûts concernés, bien vérifier les justifications apportées par les entreprises et leur lien direct avec la crise sanitaire. Le représentant de la DAJ indique également qu’en cas d’interruption de chantier résultant d’une décision unilatérale du titulaire, le maître d’ouvrage doit en tenir compte pour évaluer son préjudice ("augmentation des coûts de conduite d’opération et frais d’études"). Il a ajouté que la mise en place d’un "indice covid" n’était pas souhaitable.
Adapter les appels d’offres en cours et à venir
Comme l'a rappelé Guillaume Delaloy, les acheteurs qui lancent des appels d’offres "doivent garder à l’esprit que les entreprises ont beaucoup de difficultés à chiffrer les coûts qu’elles vont devoir supporter dans l’exécution du contrat et donc à établir une offre ferme. Il faut vraiment être attentif à prévoir des mécanismes qui permettraient de faire évoluer le montant des offres en cours de procédure ou après la signature du contrat". Si les acheteurs ne prennent pas soin d’adapter leurs procédures, ils risquent de rencontrer "deux écueils : soit l’absence d’offres car les entreprises ne vont pas vouloir supporter ce risque, soit elles vont anticiper le risque et renchérir le coût du marché, ce qui risque de déboucher sur des offres inacceptables".
Pour le représentant de la DAJ, "les acheteurs doivent donc se concentrer sur l’efficacité de l’acte d’achat". Il encourage les collectivités à adapter leurs appels d’offres à la situation actuelle, notamment en prévoyant des clauses de révision de prix et des clauses de réexamen.
Rehaussement du seuil ?
Guillaume Delaloy s’est également exprimé sur l’éventualité d’un rehaussement du seuil de dispense des marchés publics à 100.000 euros, projet avorté fin mai en séance publique au Sénat (voir notre article du 29 mai 2020). Il a fait savoir que "cette mesure n’est pas définitivement enterrée". La DAJ est en train d’analyser le sujet pour savoir si le gouvernement pourrait la reprendre à son compte dans un futur décret mais "le sujet est encore à l’étude et rien n’est arbitré encore à ce stade". D'autres mesures en faveur de l’accès des PME à la commande publique sont d'ailleurs en ce moment à l’étude. Il s’agira de mesures temporaires, directement liées à la situation économique actuelle, qui n’intégreront pas le code de la commande publique.