Relance du Pacte vert européen : un exercice à haut risque

A quelques mois des élections européennes, la Commission a fixé un objectif intermédiaire de 90% de réduction de gaz à effet de serre d'ici à 2040, en maintenant le cap de la neutralité carbone en 2050. Dans un contexte social tendu, elle dit vouloir "mettre l'accent sur une transition juste qui ne laisse personne de côté".

Réduire de 90% les émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2040 (par rapport au niveau de 1990) alors que le changement climatique a connu "une accélération sans précédent" en 2023. C'est l'objectif de la nouvelle feuille de route dévoilée par la Commission européenne, mardi 6 février, "sur la base d'une étude d'impact détaillée". Condition nécessaire, selon elle, pour parvenir à une neutralité carbone d'ici à 2050, comme le prévoit le "Pacte vert", objet de vives contestations, notamment chez les agriculteurs et dans l'industrie.

Il ne s'agit pour l'heure que d'une communication mais elle se traduira dans une proposition législative qui sera présentée par la prochaine Commission, après les élections européennes, après consultation de "toutes les parties prenantes", précise l'exécutif européen, dans un communiqué.

Mais le point de départ pour atteindre ce nouvel objectif est "la mise en œuvre intégrale de la législation existante visant à réduire les émissions d'au moins 55% d'ici à 2030 (fixé dans "Fit for 55", ndlr)", souligne la Commission. Ce qui, pour certains Etats s'annonce difficile, comme le soulignait récemment la Cour des comptes européenne. "Dans l’ensemble, nous n’avons trouvé à ce jour que peu d’éléments laissant penser que les objectifs ambitieux de l’UE fixés pour 2030 donneront lieu à des actions suffisantes", jugeait-elle dans un rapport spécial de juin 2023, précisant que si les objectifs pour 2020 avaient été atteints, c'était surtout en raison de la crise sanitaire et que ceux de 2030 avaient "du plomb dans l'aile".

Transition juste

Dans une évaluation des plans nationaux en matière d'énergie et de climat (PNEC) publiée le 18 décembre, la Commission se montrait cependant plus optimiste, estimant qu'au rythme actuel, le niveau de réductions serait de 51% en 2030 au lieu des 55% prévus.

D'ailleurs, dans un contexte inflammable, la Commission argue que le plus gros a été fait. "La prolongation des politiques actuelles pourrait en réalité mener à 88% de réduction d'ici 2040", note la feuille de route. Ursula von der Leyen, qui a fait du Pacte vert la priorité de son premier mandat et qui souhaite en briguer un second, joue son va-tout. Seulement, au fur et à mesure que ces orientations s'inscrivent dans le quotidien des Européens, elles risquent de se heurter à de vives contestations, comme le montrent les manifestations d'agriculteurs. La feuille de route doit "mettre l'accent sur une transition juste qui ne laisse personne de côté" et "établir des conditions de concurrence équitables avec les partenaires internationaux", tout en assurant la "compétitivité de l'industrie européenne", insiste Bruxelles. Cet enjeu de "transition juste" devient crucial pour l'UE à l'approche des élections européennes, comme le montre le rapport du Comité des régions sur la "géographie des mécontentements" (voir notre article du 5 février). "L'équité, la solidarité et les politiques sociales doivent rester au cœur de la transition. L'action pour le climat doit apporter des avantages à tous dans nos sociétés, et les politiques climatiques doivent tenir compte de ceux qui sont les plus vulnérables ou qui rencontrent les plus grands défis dans leur adaptation", poursuit la Commission, renvoyant au rôle du Fonds social pour le climat et au Fonds pour la transition juste créé pour aider les régions les plus dépendantes aux énergies fossiles à s'en défaire.

Autre signe de prudence dans le contexte actuel, la feuille de route ne fixe pas de trajectoire précise pour l'agriculture alors qu'elle en contient pour les autres secteurs d'activité.

"Le secteur de l'énergie devrait parvenir à une décarbonation complète peu après 2040", escompte la Commission. Et de se féliciter du lancement le même jour de l'alliance sur les petits réacteurs nucléaires modulaires. La consommation d'énergies fossiles devra baisser de 80% en 2040 par rapport à 2021. La sortie du charbon est programmée à la même date.

Par ailleurs, la mise en place de Fit for 55 permettra au secteur des transports de réduire ses émissions de 80% en 2040 par rapport à 2015. La part des voitures électriques dans le total du parc en circulation devrait être de 60% en 2040 et de 40% pour les camions et poids-lourds.

Pas d'objectif chiffré pour l'agriculture

Mais pour ce qui est de l'agriculture, la Commission a effacé le potentiel de baisse de 30% des émissions (par rapport à 2015) évoqué dans un précédent document de travail. Elle souligne que "les activités agricoles jouent un rôle important dans l'atteinte de l'ambition climatique pour 2040 tout en contribuant à la souveraineté alimentaire de l'Europe". Nulle trace non plus du principe de taxation carbone des exploitations sur le principe du "pollueur-payeur" avancé il y a quelques jours par le comité scientifique consultatif européen sur le changement climatique (principe également défendu en France par le Haut conseil pour le climat). La feuille de route renvoie au "dialogue stratégique" que la Commission vient de lancer et qui se traduira par des propositions d'ici la fin de l'été (voir notre article du 24 février). Le jour même, la Commission a par ailleurs annoncé le retrait du règlement sur les pesticides SUR (voir notre article du 7 février).

Autre secteur très sensible : l'industrie, qui a pris de plein fouet l'augmentation des coûts de l'énergie dans un contexte de concurrence exacerbée, notamment avec l'Inflation Reduction Act américain. Là encore, la Commission indique qu'elle présentera bientôt les conclusions des "Dialogues pour une transition propre" avant une réunion du Conseil en avril. Elle renvoie aussi au "Net Zéro industry Act" sur lequel Parlement et Conseil sont parvenus à un accord le même jour.

La feuille de route évalue les investissements publics et privés nécessaires à ces transitions à 1.530 milliards d'euros annuels sur la période 2031-2050 (660 dans l'énergie, 870 dans les transports). Des sommes considérables, mais "l'inaction entraînerait des coûts bien plus importants", a fait valoir le commissaire à l'Action climatique, Wopke Hoekstra, mardi. Pour la Commission, "la tarification du carbone devrait continuer à jouer un rôle important en encourageant les investissements dans les technologies propres et en générant des recettes pouvant être consacrées à l'action pour le climat et au soutien social à la transition".

 

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