Pacte vert : la réforme du marché carbone et le fonds social pour le climat dans la hotte
Parlement européen et Conseil ont trouvé un accord sur la réforme de l’actuel système d’échange de quotas d’émission (Seqe) et la création d’un nouveau Seqe applicable aux carburants destinés aux secteurs du bâtiment et du transport routier. Pour atténuer les impacts de ce dernier sur les plus vulnérables, un nouveau "fonds social pour le climat" sera créé, aux contours plus restreints que ce que souhaitait la Commission.
Juste avant la trêve des confiseurs, Parlement européen et Conseil sont parvenus à s’accorder sur la réforme et l’extension du système d’échange de quotas d’émission (Seqe) et la mise en place d’un "fonds social pour le climat", introduit pour atténuer l'impact de l'objectif de réduction des émissions de CO2 sur les plus vulnérables. Un véritable succès pour la présidence tchèque, obtenu au terme "de presque 30 heures de discussions". Si, en mars dernier, Barbara Pompili, alors présidente du conseil, avait promis qu’il n’y aurait "pas de pause" dans la mise en œuvre du pacte vert et du paquet "Fit for 55" (voir notre article du 15 juillet 2021), mais "que des accélérations" (voir notre article du 21 mars), l’adoption de ces deux textes n’avaient en effet rien d’une sinécure.
Un Seqe aux ambitions revues à la hausse, qui pourrait toucher l’incinération des déchets municipaux
D’abord parce que la réforme du Seqe inquiétait, au point de susciter une crise inattendue au sein du Parlement européen en juin dernier (voir notre article du 22 juin 2022). Une crise inutile, puisque le Parlement n’aura pas réussi à imposer l’ensemble de ses vues. In fine, l’accord renforce l’ampleur de la réduction des émissions des secteurs couverts (production d’électricité et de chaleur, industries à forte intensité énergétique) par le Seqe. Elle est désormais fixée à 62% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005, contre les 43% jusqu’ici prévus. Concrètement, la quantité de quotas sera d’un côté réduite de 90 Mt d’équivalent CO2 en 2024 et de 27 Mt en 2026, et de l’autre réduite annuellement de 4,3% de 2024 à 2027, puis de 4,4% de 2028 à 2030. L’accord supprime par ailleurs progressivement, mais de 2026 à 2034 (contre 2027-2032 souhaité par le Parlement), les quotas d’émissions gratuits alloués à certaines entreprises (début décembre, Parlement et Conseil s’étaient déjà accordés sur la fin de l’allocation de quotas gratuits pour les vols intra-européens, incluant le Royaume-Uni et la Suisse, dès 2026). Il en sera ainsi pour les secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) – ciment, aluminium, engrais, fer et acier, production d’énergie électrique et d’hydrogène… –, qui sera introduit au même rythme. Le MACF, pour lequel un accord avait été trouvé le 13 décembre (voir notre article du 16 décembre 2022), sera donc entièrement mis en place en 2034. L’accord inclut en outre progressivement les émissions du transport maritime – avec des mesures transitoires, notamment pour les trajets liés aux régions ultrapériphériques et sous obligation de service public.
Côté collectivités, s’il prévoit que des allocations gratuites transitoires supplémentaires pourront être accordées, sous conditions, au secteur du chauffage urbain dans certains États membres afin d'encourager les investissements dans la décarbonation, l’accord stipule que la Commission présentera au plus tard le 31 décembre 2026 un rapport sur l’opportunité d’inclure le secteur de l’incinération de déchets municipaux dans le SEQE à compter de 2028, avec une possibilité de dérogation jusqu’en 2030.
Un nouveau Seqe sur le bâtiment et le transport routier
Ensuite parce que la création, à compter de 2027 (la Commission proposait 2026), d’un nouveau Seqe visant principalement les carburants destinés aux secteurs du bâtiment et du transport routier – mais aussi l’industrie manufacturière –, jugé "très risqué sur le plan social" (voir notre article du 15 juillet 2021), cristallisait les oppositions. Pour faire passer la pilule, et éviter de donner une descendance au mouvement des gilets jaunes (voir notre article du 15 décembre 2021), la Commission avait proposé de redistribuer aux ménages, aux micro-entreprises et aux utilisateurs de transports les plus vulnérables une partie des recettes nouvellement générées via un nouveau "fonds social pour le climat". Mais ce fonds était, lui aussi, loin de faire l’unanimité. Finalement, Seqe II et fonds ont bien été adoptés. Pour ce faire, l’accord passe par la bande, le Seqe visant les fournisseurs de carburants plutôt que les ménages et les automobilistes – le résultat sera, in fine, le même. Pour ménager les acteurs, l’accord prévoit également une possibilité temporaire pour les États membres d'exempter les fournisseurs de la restitution de quotas jusqu'en décembre 2030 s'ils sont soumis à une taxe carbone au niveau national dont le niveau est équivalent ou supérieur au prix d'adjudication des quotas dans le nouveau Seqe. Il prévoit encore un éventuel report d’un an du lancement du nouveau Seqe si les prix de l'énergie demeurent "exceptionnellement" élevés. Reste à savoir ce qu’il adviendra si l’exception devient la règle.
Un fonds social pour le climat revu à la baisse
S’agissant du fonds social pour le climat qui sera, lui, lancé dès 2026, il fera partie intégrante du budget de l’UE. Il sera d’abord alimenté par les recettes obtenues de la mise aux enchères de 50 millions de quotas du Seqe, puis par celle des quotas du "Seqe II" une fois ce dernier lancé, jusqu’à un montant de 65 milliards d’euros maximum (contre 72,2 milliards prévus initialement par la Commission).
Pour en bénéficier, les États membres devront soumettre un "plan social pour le climat" présentant les mesures et investissements qu’ils entendent mettre en œuvre pour amortir les effets du nouveau Seqe sur les plus vulnérables : rénovation énergétique des bâtiments, décarbonation du chauffage, promotion des véhicules à faibles émissions, des transports publics et de services de mobilité partagée… et même une aide directe au revenu "de manière temporaire et limitée", dont le montant total ne pourra dépasser 35,5% du coût global du plan. 15% des ressources pourront être utilisées dans le cadre de programme relevant de la politique de cohésion. Les États membres devront en revanche cofinancer à hauteur de 25% les mesures prises. La Commission espérait 50%.