Réforme de l’autorisation environnementale : l’Ae s’inquiète des pistes du rapport Guillot
L’anticipation de l’enquête publique préconisée par le récent rapport Guillot pour accélérer les implantations industrielles fait craindre à l’Autorité environnementale (Ae), qui présentait ce 5 mai le bilan de son activité pour l’année 2021, une diminution de la portée de ses avis.
Confrontée à une volumétrie exceptionnelle de dossiers en 2021 (159 avis délibérés, soit une augmentation de 40% de son activité moyenne), l’Autorité environnementale (AE), dont le président Philippe Ledenvic présentait le rapport annuel à la presse ce 5 mai, a dû se résoudre pour la première fois à ne pas rendre d’avis pour 13 d’entre eux "faute de moyens suffisants pour instruire les dossiers concernés". Le rapport, mis en ligne le 11 avril dernier (lire notre article du 20 avril 2022), épingle en particulier le décret d’application de la loi Asap n° 2021-1000 du 30 juillet 2021 réduisant à deux mois au lieu de trois le délai qui lui est donné pour rendre les avis relatifs aux projets (lire notre article du 30 août 2021), intervenu "sans concertation préalable notamment sur les moyens, dans un contexte pourtant particulièrement chargé". Une évolution parmi d'autres jugée "préoccupante pour la démocratie environnementale et les autorités environnementales", s’inquiète son président. Cette réduction de délai met en effet l’Ae "dans une situation difficile, sans véritable gain pour des projets à la gestation souvent longue", insiste le rapport.
Une réflexion s’est immédiatement engagée en son sein "pour évaluer son fonctionnement et, si nécessaire, convenir collégialement de l’adoption de nouveaux processus pour réduire les délais d’instruction et de délibération de ses dossiers". Il faut bien se rendre à l’évidence, "pour l’instant nous ne savons pas rendre des avis dans une durée de moins deux mois", remarque Philippe Ledenvic, qui relève tout à la fois les nombreux efforts déployés pour respecter ce tempo. Le délai moyen des avis est ainsi passé de 84 jours à 75 jours en moyenne (soit deux mois un quart), ce qui a eu pour conséquence que le délai dans lequel ont été rendus les avis sur les plans et programmes a été "plus long que d’habitude" (90 jours en moyenne), indique-t-il.
La vague de simplification promise par la loi Asap dans le domaine de l’environnement pour faciliter les implantations industrielles - traduction des préconisations du rapport du député Guillaume Kasbarian - a donc paradoxalement à bien des égards augmenté la complexité pour les services instructeurs et réduit la lisibilité des procédures pour les pétitionnaires. Et le récent rapport de Laurent Guillot, remis au gouvernement le 17 mars dernier, qui s’inscrit dans la pleine continuité de cette démarche pour "simplifier et accélérer les implantations d’activités économiques en France" au regard du plan de résilience initié dans le contexte de la guerre en Ukraine pourrait bien aggraver la tendance.
Vers une anticipation de l’enquête publique
En s’inspirant des procédures mises en œuvre dans d’autres pays européens (Allemagne, Pologne et Suède), la mission confiée au chef d'entreprise propose entre autres à horizon 2024 "pour renforcer la participation effective du public à la procédure d’autorisation environnementale" d’anticiper l’enquête publique en l’initiant à l’issue d’une seule étude de recevabilité du dossier par les services. Actuellement, l’instruction administrative et l’avis porté par l’autorité environnementale sur l’étude d’impact conditionnent le lancement de l’enquête publique. En conséquence, le public est mis en situation d’exprimer ses remarques sur le dossier "à un stade tardif de la procédure, son avis étant précédé par l’instruction qui peut déjà s’accompagner de modifications substantielles du projet", explique le rapport Guillot. Sa proposition vise à faire démarrer la participation du public plus tôt dans la procédure, ce qui lui permettrait de faire évoluer le projet. L’autre objectif poursuivi étant de raccourcir à six mois et demi (au lieu de neuf mois) les délais théoriques de la procédure. Privés du "filet de sécurité" des demandes de pièces complémentaires formulées par l’administration, les porteurs de projets et les bureaux d’études seraient également, selon lui, "davantage responsabilisés et incités à améliorer fortement la qualité des dossiers déposés".
Ce rapport "reconnaît l’augmentation de la complexité du droit de l’environnement et, en même temps, propose de réduire la place et la portée des avis d’autorité environnementale lors des enquêtes publiques", s'étonne le président de l’Ae. Il soulève une question fondamentale à ses yeux : "Les avis de l’Ae ont-ils vocation à être présentés au public au cours de l’enquête publique ou effectivement dès le début de l’enquête publique ?" Or, si la fonction première de l’avis d’autorité environnementale est d’améliorer la prise en compte de l’environnement dans les projets, les plans et les programmes, il a aussi pour fonction "majeure", martèle Philippe Ledenvic, "d’éclairer le public sur des dossiers de qualité inégale". "Que donnerait une enquête publique dans laquelle une première partie du public commencerait à participer et à s’exprimer au vu du dossier sans disposer de l’avis de l’Autorité environnementale et une seconde moitié du public s’exprimerait en connaissance de cet avis?", s’interroge-t-il, pour le moins perplexe sur la piste de réforme.