Ressources humaines - Reclassement des agents pour raison de santé : un droit à refonder
Lorsque, pour des raisons de santé, un fonctionnaire ne peut plus occuper le même emploi, même si celui-ci est réaménagé, il a le droit de se voir proposer un emploi d'un autre grade ou corps davantage compatible avec son état de santé. Pour mettre en œuvre ce droit, les employeurs publics ont, jusqu'à présent, utilisé des solutions critiquables. Ils ont pris pour habitude d'"affecter les agents dans de nouvelles fonctions sans toucher pour autant à leurs avantages statutaires d'origine, voire à les maintenir dans leurs services et emplois en fermant les yeux sur la réduction de leurs capacités professionnelles", ont constaté des responsables des trois fonctions publiques auditionnés par la mission conduite entre avril et décembre 2011 par trois fonctionnaires de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Dans son rapport, qui vient d'être rendu public (en lien ci-contre), cette mission observe en outre que les employeurs ont aussi tendance à placer les agents en disponibilité d'office, une position où les droits des agents sont restreints.
Lorsqu'un reclassement intervient, il arrive régulièrement trop tard, ce qui réduit les chances de réinsertion professionnelle de l'agent et crée un véritable "cercle vicieux". L'échec du reclassement se solde en général par la mise en retraite de l'agent pour invalidité.
Si les employeurs territoriaux se distinguent par leur "investissement croissant dans une gestion des ressources humaines intégrant la problématique de l'inaptitude médicale", cette question reste encore très mal traitée dans l'ensemble de la fonction publique. Les employeurs pris individuellement ne sont pas seuls en cause. Ils pâtissent de l'absence d'une définition commune du reclassement et de l'inexistence d'un plan national dans ce domaine. Dans un chapitre de son rapport public 2005 consacré aux maladies professionnelles et aux accidents du travail des fonctionnaires, la Cour des comptes avait déjà alerté les pouvoirs publics d'un certain nombre d'améliorations à apporter. La situation n'aurait visiblement pas profondément changé depuis.
Droit à la reconversion professionnelle
Les solutions proposées par la mission sont ambitieuses et innovantes. Elles se fondent sur le concept de "droit à la reconversion professionnelle" pour motif de santé. Celui-ci est appelé à remplacer la notion de reclassement, jugée imprécise et plutôt péjorative. Concrètement, les agents auraient droit à un bilan de compétences devant les aider à concevoir leur projet professionnel. Ensuite, dans le cadre d'un "congé de reconversion", ils auraient accès à des formations.
Un fonds national de prévention alimenté par le budget de l'Etat et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) aiderait techniquement et financièrement les employeurs publics, en particulier les plus petits.
Parallèlement à ces nouveautés, les méthodes et outils de gestion des inaptitudes pour raison de santé seraient améliorées. Les administrations sont ainsi appelées à renforcer les démarches de prévention de l'inaptitude, notamment en agissant dès le recrutement. L'avis que le médecin agréé prononce avant la nomination de l'agent sur l'aptitude de celui-ci à remplir ses fonctions, dont la pertinence est mise en doute, serait supprimé au bénéfice d'une visite du médecin de prévention. En outre, les fiches de postes devraient être enrichies afin d'accompagner la mise en place d'une gestion prévisionnelle des emplois ou métiers qui soumettent leurs titulaires à une forte pénibilité. Des réorientations professionnelles prévues en cours de carrière éviteraient, de fait, qu'une occupation trop prolongée de ces emplois ne conduise à une usure physique ou psychique irréversible.
Par ailleurs, la mission envisage de demander aux collectivités de motiver leur refus de recruter un agent en reclassement dont la candidature est présentée par le centre de gestion. Au-delà, elle préconise la mise en place, sous la responsabilité du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) des préfectures, d'une "organisation inter-fonctions publiques des reclassements" offrant aux agents publics davantage de chances de trouver un nouvel emploi.
Pénurie de médecins du travail
Un autre gros chantier à lancer serait l'accélération du traitement administratif des situations d'inaptitude professionnelle, en simplifiant et en allégeant les procédures. Les délais d'instruction nécessaires aux comités médicaux pour statuer sont trop longs et plusieurs autres dysfonctionnements leur ont été imputés par divers acteurs au cours des auditions menées par la mission. Celle-ci préconise qu'un groupe de travail placé auprès du ministre chargé de la santé réalise l'évaluation des conditions de fonctionnement de ces instances médicales qui délivrent des avis obligatoires sur les questions liées à la santé des agents, en particulier sur les reclassements pour inaptitude physique. Ce groupe de travail devrait notamment examiner la piste d'une déconcentration de la fonction du secrétariat administratif des comités médicaux aux centres de gestion qui en feront la demande (pour l'examen des dossiers des fonctionnaires territoriaux).
Enfin, la mission estime qu'il faudra rendre plus attractives les conditions d'activité des médecins du travail. Ceci afin de renforcer leur nombre qui, faute de nouvelles recrues, est aujourd'hui très insuffisant. La situation est même "dramatique", assure la mission. De plus, il faudrait adjoindre aux médecins d'autres professionnels de la prévention (assistantes sociales, préventeurs, ergonomes, etc.) de manière à constituer des "équipes pluridisciplinaires".
La mission reconnaît que beaucoup de ces solutions sont onéreuses. Mais "il s'agit d'un investissement profitable", par son effet de réduction de l'absentéisme pour raisons de santé et "des pertes de productivité du travail", fait-elle remarquer.
Thomas Beurey / Projets publics
Combien d'agents concernés ?
En 2009, un peu plus de 14.200 agents dans la territoriale et quelque 16.100 agents dans la fonction publique de l'Etat étaient considérés officiellement comme des agents "reclassés et assimilés". Mais dans les faits, 166.000 agents de l'Etat et 130.000 territoriaux étaient concernés par une inaptitude liée à la santé pouvant justifier des actions d'adaptation de postes ou de reclassement. Dans la fonction publique hospitalière, l'absence de statistiques ne permettait pas de faire ce recensement.