Rapports Woerth et Ravignon : le verdict des associations d'élus locaux

La publication en l'espace de 24 heures des rapports Ravignon et Woerth, respectivement sur le "millefeuille administratif" et sur la décentralisation, a suscité un flot de réactions de la part des élus locaux et de leurs associations. Des avis parfois tranchés qui donnent déjà une petite idée des débats à venir.

Prompte à réagir, Régions de France a déclaré, dans un communiqué, prendre acte des deux rapports, dans lesquels elle dit retrouver nombre de constats et recommandations qu'elle a faits ces dernières années. "Les régions plaidaient dans leur Livre blanc, en 2021, pour une République de la confiance. Il est plus que temps d’engager aussi cette réforme dans l’intérêt du pays", souligne par exemple Carole Delga, présidente de l'association.

Plusieurs des propositions inscrites dans les rapports obtiennent le soutien de Régions de France. Comme le renforcement des compétences régionales - dans les domaines du développement économique et du tourisme, de la transition écologique, ou encore de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation – et le statu quo concernant le découpage des régions.

En revanche, Régions de France le dit tout de go : elle "s'opposera" à la création d'un conseiller territorial, qui, selon elle, ne comporte que des inconvénients. Il occasionnerait de la "confusion" entre les compétences régionales et départementales, "cantonaliserait" les enjeux régionaux tout en remettant en cause la parité au sein de l'assemblée régionale, "affaiblirait" les présidents d'exécutifs régionaux et départementaux et, "à travers eux, les collectivités territoriales". Finalement, sa création se solderait par plus d'abstention électorale.

"Lignes rouges"

Curieusement, Départements de France (DF), qui a publié son communiqué le 30 mai en fin de journée, passe sous silence la proposition d'Eric Woerth d'instaurer le conseiller territorial. Faut-il y voir le signe que les présidents de département sont divisés sur la question ? 

L'ancien ministre du Budget du gouvernement Fillon franchit en tout cas des "lignes rouges", selon eux. Ils déplorent les propositions conduisant au transfert aux intercommunalités des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements, à la "perte de la compétence tourisme", ou encore à la "recentralisation" de l'aide sociale à l'enfance. Tout cela fait "beaucoup". En face, "les points positifs" relevés par Départements de France sont rares. "La consécration du département comme collectivité des réseaux (…) renforcerait notre capacité à agir dans le domaine de l’aménagement du territoire", salue l'association.

C'est également une recentralisation de l'action sociale départementale que redoute le groupe de gauche de DF au regard des propositions d'Eric Woerth. Sa recommandation de créer un service départemental des solidarités, présidé par le département, "avec la participation de l’Etat à sa gouvernance", passe mal. Après France Travail et France Services, "allons-nous désormais vers 'France Département' ?", s'interrogent les 32 présidents de départements de gauche. Qui font connaître leur avis sur l'instauration du conseiller territorial. Un avis marqué par le doute, non seulement sur la possibilité d'"éclairer" ainsi les citoyens "sur le rôle des départements et des régions", mais aussi sur la possibilité de réduire par ce moyen l’abstention électorale.

Le 29 mai, DF avait accueilli assez positivement le rapport de Boris Ravignon. L'association se félicitait que "le rôle essentiel des départements dans le domaine des solidarités humaines et sociales" soit reconnu. Elle listait malgré tout "des points de désaccord qui appellent une claire opposition". Comme la piste d'une décentralisation de la médecine scolaire vers les départements – "nous ne sommes pas demandeurs à ce stade", indiquait DF – et certaines propositions visant à renforcer les compétences des régions (transfert des routes nationales et rôle de chef de file dans le domaine du tourisme).

"L’ambition décentralisatrice n’est pas au rendez-vous"

"L’ambition décentralisatrice" manifestée par Eric Woerth n’est "pas au rendez-vous", juge de son côté l'Association des maires de France (AMF). Les propositions du député concernant les finances locales iraient même dans le sens inverse, celui de la "recentralisation". Par ailleurs, la proposition du rapport visant à modifier la Constitution pour que des collectivités chefs de file "puissent déterminer les modalités d'action des autres collectivités" conduira à l'instauration d'"une véritable tutelle d'une collectivité sur une autre", s'inquiète l'association. Plusieurs des propositions ne sont "pas de nature à rétablir cette confiance que le rapport appelle de ses vœux", critiquent aussi les maires.

Leur verdict est plus positif sur les travaux de Boris Ravignon. Son rapport, qui fait "le constat d’une décentralisation entravée", est "une contribution utile à la réflexion sur notre modèle territorial", jugent-ils, sans toutefois en partager "toutes les conclusions".

De même, Intercommunalités de France accueille dans l'ensemble favorablement le rapport de son vice-président aux finances et président d'Ardenne métropole. Elle en "salue" le travail. L'association apprécie en particulier que ce dernier ait rappelé que "l’Etat fait partie intégrante du 'millefeuille' territorial".

"Scepticisme" des présidents d'intercommunalité

En revanche, le rapport d'Eric Woerth "laisse les élus d’Intercommunalités de France particulièrement sceptiques". Certes, des propositions du rapport suscitent leur "intérêt", comme celles portant sur la décentralisation des politiques de l’habitat, l’eau ou encore les mobilités. Mais, dans le même temps, le projet de "compétences à la carte' généralisées" inscrit dans le rapport ne peut conduire qu'à "un retour en arrière et un affaiblissement inédits de trente ans de construction intercommunale", dénoncent-ils. En outre, la fusion de l’ensemble des statuts d’intercommunalité (communautés de communes, agglomérations, communautés urbaines et métropoles) "prépare le détricotage des compétences des intercommunalités les plus intégrées". L'association s’y "oppose fermement".

A l'opposé, Villes de France estime que l'organisation des compétences des intercommunalités dessinée par le rapport Woerth apporterait "une plus grande souplesse". Mais sur ce sujet des compétences, toutes les propositions ne sont pas bien accueillies par l'association. Par exemple, le partage entre les intercommunalités et les départements de la compétence de gestion des projets structurants liés à l'eau, tel qu'envisagé par le député, ne réjouit pas ses élus. Ils expriment sur le sujet leur "grand étonnement". Sur ces questions de compétences, ainsi que sur celles touchant aux finances, Villes de France prévient qu'elle sera "particulièrement vigilante".

Le ton est moins vif chez d'autres associations du bloc communal. La proposition d'Eric Woerth consacrant le rôle du maire "comme premier mètre de l’action publique", en lui permettant d’obtenir rapidement des réponses des services de l’Etat, est même applaudie par l'Association des petites villes de France (APVF) et l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Les maires ruraux "saluent" également la proposition d'étendre le scrutin de liste paritaire à l'ensemble des communes de moins de 1.000 habitants - auxquelles aujourd'hui il ne s'applique pas.

Certains élus se sont positionnés sur des questions spécifiques abordées par le rapport Woerth. A l'instar de Philippe Laurent, maire de Sceaux, qui, au sujet de la recommandation de supprimer la métropole du Grand Paris – dont il est un des vice-présidents – a jugé sur le réseau social X, que cette décision marquerait "la fin d'une gouvernance partagée qui évite les conflits politiques et (…) permet de mettre une œuvre une vision commune aux 131 maires".

 

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