Fusion des impôts et du Trésor public - Quelles conséquences pour les collectivités territoriales ?
"C'est une bonne réforme mais dont les effets ne se feront pas sentir avant cinq ou dix ans", estime le directeur des finances de la ville de Carcassonne, Franck Rémy. L'annonce, début octobre, par Eric Woerth de la fusion de la Direction générale des impôts (DGI) avec la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP) a suscité des réactions divergentes chez les fonctionnaires territoriaux. Franck Rémy justifie sa position notamment par le bilan "positif" de la réforme de l'interlocuteur fiscal unique mise en oeuvre ces dernières années pour le calcul et le recouvrement de la taxe professionnelle. "La cellule spéciale dédiée à la TPU répond à toutes nos questions", constate Franck Rémy. Le rapprochement plus récent des centres des impôts fonciers avec les centres de impôts se traduit également par des effets bénéfiques selon lui. "Les géomètres du cadastre se consacrent désormais entièrement à leur travail de topographie." Jacques Gouffe, DGA en charge des finances de la ville d'Allonnes (12.300 habitants, Sarthe) est au contraire sceptique : "L'essentiel, c'est que nos bases soient bien travaillées, mais je ne suis pas certain qu'on aille dans cette direction." De son côté, Rémy Lacour, directeur des finances de la ville d'Aurillac, prône une réforme plus radicale remettant en cause la séparation de l'ordonnateur et du comptable. Le but : plus de rationalité et donc plus d'efficacité et d'économies.
Améliorer la transmission des informations ?
Beaucoup de directeurs des finances attendent avec prudence de voir les résultats de la fusion. Bercy promet que celle-ci améliorera la qualité des services offerts aux collectivités locales. Car l'organisation actuelle est perfectible. En bref, la Direction générale des impôts fournit les bases d'imposition et la Comptabilité publique effectue des simulations sur les taux des impôts locaux. "En conséquence, dans l'organisation actuelle, un maire demande à son comptable les conséquences de la fermeture de telle entreprise pour la situation financière de sa commune, ce dernier ne dispose pas directement de toute l'information pour lui répondre rapidement", reconnaît le ministre du Budget et des Comptes publics. Or, "en créant une direction unique, nous allons établir des liaisons plus fluides et plus solides entre les services, qui permettront d'apporter aux élus locaux de façon plus réactive un conseil financier complet sur le volet fiscal et budgétaire", conclut-il.
Pour l'heure, les directeurs financiers sont nombreux à constater que le transfert à partir de 2003 de la compétence en matière de conseil fiscal des services fiscaux à ceux du Trésor public a créé "un intermédiaire" bien inutile. Le président de l'association professionnelle des comptables du Trésor public admet lui aussi ouvertement que les comptables publics ne répondent pas de manière efficace aux demandes des élus locaux en matière de fiscalité. Didier Tiberghien invoque les difficultés de communication entre les deux directions de Bercy. Selon lui, la fusion rendra les comptables "plus efficaces" sur ce plan. "Le patron" qui sera désigné à la tête des deux administrations réunies, "aura le pouvoir hiérarchique de dire oui ou non". "Ce sera donc plus clair pour tout le monde", affirme-t-il.
Inquiétudes sur le terrain
Les élus locaux ont dans leur ensemble assez peu commenté le projet de fusion. Il est vrai que sur le papier, le schéma esquissé par Bercy apparaît séduisant. Dans les 500 villes où sont situés des centres des impôts, seront créés des "services unifiés des impôts des particuliers". Concrètement, les agents du Trésor public rejoindront le plus souvent leurs collègues des centres des impôts sur un lieu unique sur le modèle des "hôtels des finances" déjà construits ici ou là. En outre, les 2.000 trésoreries, notamment celles qui se trouvent en milieu rural, devraient être maintenues. Les usagers pourront y obtenir des renseignements aussi bien sur le paiement de l'impôt que sur le calcul. "Des tests ont déjà été faits, ils sont concluants", a indiqué Eric Woerth.
Le projet n'a pas soulevé de sentiment d'hostilité du côté de l'Association des petites villes de France, qui mène la fronde contre la nouvelle carte judiciaire. Pas d'opposition non plus du côté de l'Association des maires de France, dont le président a reçu l'engagement du ministre du Budget et des Comptes publics de veiller au respect de la charte des services publics en milieu rural.
Mais sur le terrain, les élus ruraux ne cachent pas leur inquiétude. "Sur le fond, c'est une bonne idée de vouloir créer un guichet unique pour l'usager, estime Alain Fournier, adjoint au maire de Château-du-Loir (Sarthe) en charge des finances. Mais cette réforme qui tient compte de l'usager urbain, pose des problèmes dans son application au monde rural." Il y a trois ans, le regroupement des trésoreries du secteur a conduit à renforcer le personnel de la trésorerie de cette ville de 5.200 habitants, dans des locaux devenus par conséquent exigus selon l'élu. Si demain la trésorerie doit s'agrandir, la commune devra mettre la main à la poche. Or, "le loyer versé par l'Etat est loin de couvrir le coût du bâtiment", fait remarquer Alain Fournier.
Tout autant que les élus, le ministre devra rassurer les personnels dont certains s'interrogent sur la pérennité de leurs métiers. Eric Woerth sait qu'il marche sur des oeufs. En 2000, face à l'opposition des syndicats, la réforme avait coûté son poste à son prédécesseur Christian Sautter. Le ministre avance donc avec prudence. Dix-sept groupes de travail associant les représentants syndicaux se réuniront à partir du mois prochain pour mettre sur pied la nouvelle organisation. La nouvelle direction - dont le nom n'est pas encore connu - sera créée au printemps 2008 et les expérimentations lancées dans la foulée. Mais le chantier qui doit aboutir à la création d'un guichet unique pour les 35 millions de contribuables ne sera vraiment bouclé qu'à la fin du quinquennat.
Thomas Beurey / Projets publics