Quatre associations contestent la légalité du quatrième plan Écophyto devant le Conseil d'État
Les quatre associations environnementales qui ont déposé un recours en excès de pouvoir auprès du Conseil d'État contre la stratégie Écophyto 2030 estiment que ce quatrième plan est "illégal" et "acte un abandon de l'objectif de 50% de réduction de l'utilisation des pesticides. Par ailleurs, l'ONG Générations futures a annoncé qu'elle demandait "l'interdiction immédiate" du flufénacet, un herbicide encore très utilisé, mis en cause dans la pollution de l'eau.
Notre affaire à tous, Générations futures, Biodiversité sous nos pieds et l'Association pour la protection des animaux sauvages ont annoncé ce 13 novembre déposer un recours en excès de pouvoir auprès du Conseil d'État contre le plan Écophyto 2030, qu'elles jugent "illégal". Les quatre associations de défense de l'environnement considèrent que la stratégie, présentée par le gouvernement en mai dernier (lire notre article), "acte un abandon de l'objectif de 50% de réduction de l'utilisation des pesticides" d'ici 2030, poursuivi lors du premier plan Écophyto de 2008. Si ces 50% figurent encore dans le ce quatrième plan, "les différences sont en réalité notables", pointent-elles, car l'indicateur a changé. Le HRI1 (l'indicateur européen de risque harmonisé) a en effet remplacé le Nodu (nombre de doses unités), pourtant "plus adapté au contexte national" selon les associations. Calculé en hectares, le Nodu divise les quantités de substances actives vendues par leur dose de référence alors que le HRI1 est un indice obtenu en multipliant les volumes de substances actives vendues par des "coefficients" censés refléter la dangerosité des divers pesticides, et qui ne tient pas compte des doses d'application.
Contradiction avec un jugement du tribunal administratif de Paris
Autre modification, la période de référence. C'est désormais la moyenne des années 2011-2013 qui est retenue, contre 2015-2017 auparavant, tandis que l'échéance d'atteinte de l'objectif est de nouveau reportée à 2030. "Un changement d'indicateur et de période de référence, revient en réalité à un changement d'objectif : cela signe concrètement un abandon de l'objectif de 50% de réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques prévus dans les plans Écophyto précédents", ont plaidé les représentants des ONG environnementales. Selon eux, la stratégie Écophyto 2030 a été adoptée "en contradiction flagrante avec les injonctions du jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2023 demandant de respecter les objectifs de réduction des pesticides prévus par les plans Écophyto". De plus, soulignent-ils, elle ne comporte pas de mesures appropriées de nature à protéger des eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques", comme l'avait requis le tribunal administratif. Les ONG pointent aussi le fait que la stratégie Écophyto 2030 n'a fait l'objet "ni d'une évaluation environnementale par le gouvernement ni d'une procédure de participation du public".
"Pas d'interdiction sans solution" : un principe "illégal", selon les associations
Le plan prévoit par ailleurs 250 millions d'euros pour la recherche de solutions alternatives, comme les produits de biocontrôle, et l'accompagnement des agriculteurs dans le changement de pratiques, reprenant les demandes des agriculteurs : "pas d'interdiction sans solution." Un principe jugé illégal par les associations requérantes, qui arguent que "l'absence de solution ne saurait être un motif suffisant pour renoncer à l'interdiction d'un produit qui porterait atteinte à la santé ou l'environnement."
À l'heure où la mobilisation agricole reprend en France, sur fond de trésoreries exsangues et de craintes d'une signature de l'accord de libre-échange par l'Union européenne avec le Mercosur, les associations estiment qu'"abandonner les réglementations environnementales ne résoudra en rien les problèmes des agriculteurs".
› Générations futures demande l'interdiction immédiate d'un herbicide contenant des "polluants éternels"L'association Générations futures a annoncé ce 12 novembre avoir demandé l'interdiction immédiate de produits à base de flufénacet, herbicide considéré comme "polluant éternel" et mis en cause dans la pollution de l'eau. Neuvième herbicide le plus utilisé en France selon l'ONG, le flufénacet a fait l'objet d'une évaluation fin septembre par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Celle-ci conclut notamment, d'après l'association, qu'il s'agit d'un perturbateur endocrinien et que son usage conduit à des pollutions des eaux au TFA (acide trifluoroacétique). Cette molécule très persistante est issue de la dégradation de certains "polluants éternels", les PFAS, substances présentes dans des pesticides, des gaz réfrigérants, des revêtements anti-adhésifs de poêles, des mousses anti-incendie ou des cosmétiques, et particulièrement dans les rejets des usines qui les produisent. Les risques de contamination des eaux souterraines liés au TFA sont "connus", "évalués et disponibles dans le dossier depuis 2017", "ça fait plus de sept ans que la France est au courant", a déclaré lors d'une conférence de presse en ligne Pauline Cervan, toxicologue de Générations futures. En outre, a-t-elle dit, le TFA n'est "pas encore inclus dans le contrôle de l'eau potable en France", mais va "finir par l'être de façon assez certaine". Pauline Cervan a souligné qu'ainsi "une grande partie de l'eau potable deviendrait non conforme". "Il est indispensable d'agir dès maintenant", a-t-elle insisté. S'appuyant sur les conclusions de l'EFSA, Générations futures indique avoir signé avec de nombreuses autres associations un courrier pour demander à la Commission européenne d'"interdire au plus vite le flufénacet en Europe". L'association a aussi indiqué qu'elle avait envoyé le 5 novembre aux ministères de l'Agriculture, de la Santé, de la Transition écologique et à l'Anses (Agence de sécurité sanitaire de l'alimentation) un courrier demandant le retrait immédiat des autorisations de mise sur le marché et permis de commerce des produits de base de flufénacet sur le territoire français. Quatre-vingts produits sont concernés, selon l'ONG. Faute de réponse ou de réponse positive d'ici au 5 janvier, l'association aurait deux mois pour saisir la justice administrative, a précisé maître François Lafforgue, l'un des avocats de l'association. Le flufénacet est une "substance qui est candidate à la substitution" par une alternative "avec une fin d'approbation par l'Union européenne à juin 2025, et étant donné son caractère perturbateur endocrinien, elle ne devrait pas être réapprouvée", a signalé le ministère de la Transition écologique. "Nous serons vigilants à suivre les décisions de l'Anses en la matière. Notre position est toujours la même lorsqu'un produit phytosanitaire est prouvé comme ayant un impact sanitaire avéré, nous sommes pour l'interdiction de son utilisation", a ajouté le ministère. Le lobby des pesticides Phyteis affirme de son côté, dans un message transmis à l'AFP, qu'interdire cette substance active "poserait question dans la mesure où il s'agit de l'un des derniers herbicides autorisés en France et en Europe et où son bannissement mettrait les céréaliers français, faute d'alternative, en grande difficulté face à une chute drastique de leur rendement et face aux importations de la concurrence internationale qui continuerait de recourir à cette substance". AFP |