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Agriculture urbaine - Quand l'agriculture "sert à tenir la ville"

De Nantes à New York, un colloque organisé par SAF-agriculteurs de France et l'association Orée, lundi 8 avril, a permis de faire le point sur les enjeux de l'agriculture urbaine.

C'est un travail de dentellière. Depuis quelques années, Nantes Métropole a entrepris de recenser toutes les friches agricoles sur son territoire dans l'espoir de les voir exploitées. Le territoire, qui regroupe 24 communes pour 600.000 habitants, compte encore 244 exploitations employant 14.000 personnes. Mais comme ailleurs, il connaît une disparition du nombre d'exploitants : -28% entre 2004 et 2012. Seulement, la surface agricole utile a été maintenue et n'a subi qu'une érosion de 3,5% sur la même période, grâce, notamment à des groupements d'agricultures sous forme de Gaec (groupements agricoles d'exploitation en commun).
Aujourd'hui, les élus voudraient dénicher tout ce qui est exploitable. Il y a quatre ans, un diagnostic a ainsi permis de déceler pas moins de 5.200 hectares inutilisés dont 1.500 occupés par des chevaux de particuliers. L'objectif est alors de parvenir à défricher 500 hectares d'ici à 2014. Après maints efforts, le compte y est. Une cinquantaine de sites couvrant une surface de 550 hectares sont en train d'être réaménagés en sites d'élevages et de maraîchage, 200 hectares sont déjà en activité. "Il a fallu aller vers les propriétaires et essayer de les convaincre, beaucoup attendaient depuis de nombreuses années dans l'espoir que leur terrain devienne urbanisable", a témoigné Dominique Barreau, chef de projet Agriculture urbaine de Nantes Métropole, lors d'un colloque sur l'agriculture urbaine organisé conjointement par SAF-agriculteurs de France et l'association Orée (Entreprises, territoire et environnement), le 8 avril, à Paris. Pour parvenir à ses fins, l'agglomération a versé pas moins de 500.000 euros de subventions en dix ans : aides à l'installation (allant jusqu'à 20.000 euros par exploitation) et soutien au défrichage.
"Aujourd'hui, les élus cherchent avant tout à convaincre, mais ils n'excluent pas à l'avenir de recourir à des dispositifs plus forts tels que la remise en valeur des terres incultes", a poursuivi Dominique Barreau.

Contenir l'étalement urbain

En France, à l'image de Nantes Métropole, l'agriculture urbaine apparaît comme un moyen de contenir l'étalement urbain. Comme le dit Serge Bonnefoy, le secrétaire technique de Terres en villes, "l'agriculture sert à tenir la ville". C'est le cas du Sdrif de la région parisienne et de sa ceinture verte de 2.350 ha (les "pénétrantes agricoles"), de la "Ville-Archipel" de Rennes (voir ci-contre notre article du 29 mars 2013), de Lyon, Toulouse... Preuve de cette prise de conscience : aujourd'hui, 27 agglomérations sont membres du réseau Terres en villes qui travaille à une meilleure organisation entre territoires urbains et périurbains. Quatre devraient le rejoindre cette année. Selon Serge Bonnefoy, l'une des villes les plus avancées dans ce domaine est Montpellier qui, à travers son Scot, a réussi à "inverser le regard pour faire la ville à partir de la matrice verte...". Mais l'équilibre trouvé au prix de maints efforts est fragile comme en témoignent le projet d'EuropaCity, un gigantesque complexe commercial de 80 hectares porté par Auchan à Gonesse, dans le cadre du Grand Paris, ou encore le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes...
Pour Michel Dubois, le directeur du département Agriculture de l'Institut polytechnique LaSalle Beauvais, "la ville-campagne est une artificialisation dont les coûts énergétiques et environnementaux sont démesurés". Selon lui, l'agriculture de ville implique un changement de... culture. Aujourd'hui, 70% de la production française est écoulée dans les grandes surfaces. C'est 20% de plus qu'en Espagne. Serge Bonnefoy a rappelé que l'agriculture de l'agglomération grenobloise, souvent citée en exemple, ne couvre que "3% de la production alimentaire nécessaire aux Grenoblois". "On part de très loin par rapport à des villes comme Barcelone ou Turin, on est encore au niveau de la niche de marché intelligent, pas beaucoup plus, c'est une affaire de deux voire trois générations." Changer d'échelle impliquerait, selon lui, que les collectivités se servent de la commande publique pour mener une véritable stratégie territoriale et réorganiser la logistique afin de permettre l'approvisionnement des villes...

Cohésion sociale

L'agriculture urbaine répond à des "enjeux partagés", a également expliqué Serge Bonnefoy (attractivité, biodiversité, circuits courts, sécurité alimentaire, gouvernance alimentaire de la ville, économie territoriale...). Mais aussi à des "enjeux émergents" : identité locale, agriculture urbaine ou cohésion sociale...
La cohésion sociale est notamment l'élément mis en avant par New York qui, avec ses 700 "fermes urbaines" mérite plus que jamais son sobriquet de Big Apple. Au total : 20 hectares répartis sur les toits, les cours d'école, les jardins publics... Mais ici, l'agriculture urbaine répond moins à un désir de verdure des citadins qu'à un enjeu social et de santé publique. "Le moteur de l'agriculture urbaine est la crise financière de 2008-2009 qui a accru l'insécurité alimentaire", a expliqué Nevin Cohen, professeur à l'université de New York. Une insécurité qui, selon lui, touche 15% de la population. Or "nombre de ces fermes sont dirigées par des femmes noires et latinos, ce qui représente des opportunités de leadership pour la santé et la sécurité de ces groupes".
Des enjeux qu'on voit apparaître à Nantes Métropole. "Nous avons commencé à nous rapprocher de la politique de la ville, de la santé, mais cela ne fait que quelques mois qu'on travaille sur ces questions-là", a indiqué Dominique Barreau.