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Social - QPC sur les dépenses sociales : les raisons de la position du Conseil constitutionnel

Dans trois décisions similaires du 30 juin 2011 (voir notre article ci-contre du même jour), le Conseil constitutionnel a donc jugé conformes à la Constitution les modalités de fixation des concours de l'Etat au financement, par les départements, de plusieurs prestations sociales. Les trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) visaient respectivement l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et le bloc constitué par le RMI, le revenu minimum d'activité (RMA) et le revenu de solidarité active (RSA). Les trois décisions - jointes en une seule - reposent toutefois sur un même raisonnement juridique et concluent à un rejet des arguments avancés par les départements. La conformité est toutefois assortie de deux réserves concernant l'APA et la PCH.

Pas de différence entre RMI et RSA

Les recours des départements s'appuyaient sur la violation supposée, par l'Etat, de l'article 72-2 de la Constitution. Celui-ci prévoit en effet que "tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi". Face à ces arguments, le Conseil constitutionnel a commencé par écarter la question relative au RMI et au RMA. Il a en effet déjà jugé conforme à la Constitution la compensation, par l'Etat, de ces deux prestations, dans une décision du 18 décembre 2003 (rendue dans le cadre d'un recours parlementaire, la QPC n'existant pas à l'époque). Sur les autres prestations, le Conseil s'est en revanche prononcé au fond. Son argumentation - qui distingue transfert de compétences et création ou extension de compétences - repose sur plusieurs arguments. A propos du RSA, le Conseil considère qu'il constitue le prolongement du RMI (le RSA activité étant pris en charge par l'Etat et ne concernant pas les départements). L'allocation de parent isolée (API), fusionnée dans le RSA socle, a pour sa part été compensée lors de la création de la prestation. Le raisonnement est le même pour la PCH, qui constitue une extension de compétence, dans la mesure où elle a remplacé - avec un contenu toutefois assez différent - l'allocation compensatrice pour tierce personne. Le Conseil considère en effet que "cette extension de compétences s'est accompagnée de la mise en place d'un concours de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie au financement des charges exposées par les départements au titre de l'allocation de compensation du handicap". Le raisonnement est bien sûr le même pour l'APA, qui obéit à une logique similaire.

Deux réserves sur l'AP et la PCH

Le Conseil constitutionnel a toutefois assorti sa décision de deux réserves concernant à la fois l'APA et la PCH, mais qui ne consoleront que très modérément les départements au regard de leur demande initiale. La première réserve concerne les charges nettes résultant, pour un département, de la différence entre les dépenses exposées au titre l'APA ou la PCH et le concours de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Ce ratio ne peut être supérieur à un pourcentage fixé par décret. La réserve émise par le Conseil consiste donc à rappeler "qu'il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce pourcentage à un niveau qui permette, compte tenu de l'ensemble des ressources des départements, que la libre administration des collectivités territoriales ne soit pas entravée". Reste à définir le niveau à partir duquel cette libre administration est entravée... La seconde réserve est encore moins précise, mais pourrait servir de base à un éventuel recours ultérieur. Elle consiste à considérer "qu'en outre, si l'augmentation des charges nettes faisait obstacle à la réalisation de la garantie prévue par l'article L.14-10-6 du code de l'action sociale et des familles, il appartiendrait aux pouvoirs publics de prendre les mesures correctrices appropriées".

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Conseil constitutionnel, décisions QPC N°2011-143, 2011-144 et 2011-142/145 du 30 juin 2011.

 

Les réactions ne se sont pas fait attendre, jeudi en fin de journée, dès l'annonce de la décision du Conseil constitutionnel. Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France, a ainsi d'emblée parlé d'une décision "injuste" qui "met en cause les ressorts de notre démocratie territoriale". Il s'interroge aussi sur "la question du statut du Conseil constitutionnel dont les décisions peuvent potentiellement engager pour l'Etat des dépenses équivalentes à plusieurs milliards d'euros". Seule petite satisfaction : le fait que le Conseil renvoie "au législateur le soin de prendre des mesures correctrices appropriées si l'augmentation des charges nettes d'APA". Claudy Lebreton assure qu'il ne compte pas "en rester là" et commencera par réunir le bureau de l'ADF d'ici la mi-juillet pour évoquer " les suites à donner à cette décision". Il n'exclut pas un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme en prenant appui sur la Charte de l'autonomie locale ratifiée par la France en 2007 (21 ans après l'avoir signée…), un document européen qui énonce des règles en matière d'indépendance politique, administrative et financière des collectivités locales.
"Nous craignions une telle décision mais nous étions loin d'imaginer un tel décalage entre l'analyse du Conseil d'Etat confirmant nos requêtes (…) et la conception restrictive dont fait preuve le Conseil Constitutionnel dans son avis lorsque, attestant de la réalité des charges transférées, il estime néanmoins que cela n'entrave pas les principes constitutionnels", a pour sa part réagi Michel Dinet, le président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, depuis longtemps en première ligne sur ce dossier. Pour lui, la véritable question de fond reste entière : " Est-ce bien, oui ou non, la solidarité nationale qui doit apporter à chacun les ressources suffisantes pour vivre, a minima pour survivre dignement ? Est-ce aux territoires ou au niveau national de financer l'un égal accès de chacun aux allocations individuelles de solidarité ? ".
D'autres élus, à l'instar de Claude Batrolone (Seine-Saint-Denis) ou de la présidente du groupe majoritaire de l'ADF, Marie-Françoise Perol-Dumont, ont clairement parlé de décision "politique".
Du côté du gouvernement en revanche, logiquement, on se dit satisfait. Pour le ministre chargé des Collectivités, le Conseil, en rejetant les QPC, confirme "que l'Etat avait constamment respecté ses obligations constitutionnelles" et "met un terme à la campagne de contestation permanente orchestrée depuis plus de deux ans par les présidents de certains conseils généraux à l'encontre de la position de l'Etat." Philippe Richert rappelle par ailleurs deux mesures déjà décidées en faveur des départements (fonds de 500 millions au titre du RMI-RSA et fonds de 150 millions en faveur des départements en difficulté) ainsi que le débat national devant mener à une réforme de la dépendance.
 

C.M.