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Environnement - Projet de loi Transition énergétique : en commission, les sénateurs revoient la copie des députés

Les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire du Sénat ont achevé le 17 juin l'examen en nouvelle lecture du projet de loi sur la transition énergétique. Sans surprise, les sénateurs ont rétabli un grand nombre de dispositions que les députés avaient supprimées lors de la nouvelle lecture du texte qui a suivi l'échec de la commission mixte paritaire.

Pour leur ultime examen du projet de loi sur la transition énergétique, les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire du Sénat se sont largement employées à réinscrire dans le texte des dispositions votées en première lecture et supprimées par les députés.
Sur les grands objectifs de la transition énergétique, les sénateurs ont d'abord rétabli "à terme" la baisse de 75 à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique, que l'Assemblée nationale veut fixer "à l'horizon 2025". Ils ont aussi maintenu – ce qu'ils n'avaient pas fait en première lecture - l'objectif de baisse de 20% de la consommation d'énergie en 2030, en y adjoignant un rythme annuel de 2,5% de baisse de l'intensité énergétique finale. Ils ont également adopté deux amendements identiques de sénateurs EELV et UDI pour fixer, pour la composante carbone de la fiscalité énergétique ou "contribution climat énergie", une cible de valeur de la tonne carbone de 56 euros en 2020 et de 100 euros en 2030. Un relèvement progressif que les sénateurs jugent "parfaitement cohérent" avec la trajectoire votée dans la loi de finances pour 2014 (7 euros la tonne pour 2014, 14,5 tonnes en 2015 et 22 euros en 2016, soit une multiplication par 3 en trois ans).

Assouplissements sur le volet bâtiment

Les sénateurs ont aussi largement amendé le volet bâtiment du texte, remettant en question un grand nombre de modifications apportées dernièrement par les députés. Ils ont ainsi renvoyé à 2030 au lieu de 2025 l'obligation de rénovation des bâtiments privés résidentiels les plus énergivores, c'est-à-dire consommant plus de 330 kWhep/m2/an (classe F et G). "Rénover ces logements d'ici 2025 suppose en pratique de rénover un million de logements chaque année pendant 10 ans. Ce rythme n'apparaît guère réaliste ni soutenable financièrement pour les ménages", ont fait valoir les sénateurs qui craignent que cela entraîne, par ricochet, une hausse du nombre de logements indécents et donc une réduction du parc locatif. Ils ont aussi supprimé l'article imposant une obligation supplémentaire de rénovation énergétique aux bâtiments privés résidentiels à compter de 2030 à l'occasion d'une mutation, sous réserve de la mise à disposition des outils financiers adéquats. "Cette disposition risque […] de pénaliser les personnes contraintes de vendre leur logement en raison par exemple d'un divorce, d'un licenciement, d'un décès, d'une mutation professionnelle ou encore d'un départ en maison de retraite, et qui ne pourront faire face au paiement de travaux préalablement à cette vente", selon l'exposé des motifs de l'amendement. "Sur le plan économique, cette mesure pourrait également engendrer des freins à la mutation, et dans certains endroits une hausse des prix, rendant plus difficile l'accès au logement pour les personnes modestes". En outre, "l'exigence d'une mise à disposition des outils financiers adéquats est particulièrement difficile à définir et pourrait être source de contentieux". Enfin, "il n'est pas pertinent de faire effectuer les travaux par le vendeur, qui sera enclin à faire les travaux a minima et sans vérifier leur qualité."
Selon l'article 4 du projet de loi, les nouvelles constructions de l'Etat, de ses établissements publics ou des collectivités territoriales doivent faire preuve d'exemplarité énergétique et environnementale et être, chaque fois que possible, à énergie positive et à haute performance environnementale. Les sénateurs ont adopté un amendement pour laisser de la "souplesse" aux acteurs en leur demandant dans un premier temps que ces nouvelles constructions répondent seulement à l'un des deux critères. Ils ont en outre supprimé l'alinéa 6 de l'article 4 prévoyant la possibilité pour l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics qui établissent un plan climat-air-énergie territorial de conclure des partenariats avec les universités pour mettre en œuvre des expérimentations et des innovations en matière d'économie, au motif que la conclusion de tels partenariats est déjà possible.
Les sénateurs ont de plus supprimé l'obligation d'un carnet numérique de suivi et d'entretien du logement pour le patrimoine immobilier déjà bâti alors que le texte prévoit de le rendre obligatoire pour les nouvelles constructions dont le permis de construire est déposé à compter du 1er janvier 2017, et dès 2025 pour les logements faisant l'objet d'une mutation. "A l'heure du numérique, cette mesure est opportune pour les nouveaux logements dont la totalité des informations, depuis la construction, pourra être numérisée. En revanche, ce carnet constitue une nouvelle contrainte administrative et n'est pas adapté pour les logements déjà construits", ont-ils justifié.
Un amendement de la sénatrice UDI du Nord Valérie Létard a par ailleurs rétabli l'obligation, pour les bailleurs sociaux, de réaliser des travaux de rénovation énergétique de leurs logements lorsque ceux-ci sont mis en vente. Ils doivent "répondre aux normes 'bâtiment basse consommation' ou assimilées, sauf dérogation accordée pour une réhabilitation permettant d'atteindre la classe énergétique D. Cette dérogation est accordée par le représentant de l'Etat dans le département, après avis conforme du maire de la commune concernée et du président de l'établissement public de coopération intercommunale ayant la gestion déléguée des aides à la pierre", selon l'exposé des motifs.
Les sénateurs ont aussi complété les missions des plateformes de la rénovation territoriale chargées de favoriser la mobilisation des professionnels et du secteur bancaire, d'animer un réseau de professionnels locaux et de mettre en place des actions facilitant leur montée en puissance. Un amendement précise qu'elles pourront également animer un réseau d'acteurs locaux et "ainsi associer à leurs actions les acteurs impliqués dans la lutte contre la précarité énergétique".

Transports : des précisions attendues dans le futur décret sur les bus "propres"

Sur le volet transports, les sénateurs sont aussi revenus sur plusieurs points en apportant des précisions ou des modifications plus substantielles. A l'article 9, qui concerne le renouvellement du parc de bus des services de transport public - obligation de recourir à 50% de bus "propres" à partir du 1er janvier 2020 (2018 pour la RATP) puis en totalité cinq ans plus tard, il est prévu qu'un décret définisse les critères de ces autobus. Ils devront intégrer "la date d'acquisition" de ceux-ci, a prévu un amendement sénatorial et ce afin de donner "de la visibilité aux autorités organisatrices de transports et aux opérateurs dans le cadre de la passation des marchés de renouvellement de leur parc, qui s'échelonnent souvent sur plusieurs années".
Les sénateurs ont aussi supprimé la demande de rapport demandé par l'Assemblée nationale au gouvernement pour plancher sur les mesures à prendre par les pouvoirs publics en cas de pic de pollution. Ils ont aussi supprimé à nouveau l'obligation, pour les entreprises de plus de 100 salariés, de réaliser un plan de mobilité et rétabli en parallèle la possibilité, pour le préfet, en cas de pic de pollution, d'"imposer à certaines entreprises de plus de 250 salariés de mettre en œuvre" un tel plan de mobilité.
Dans le rapport que devra remettre le gouvernement au Parlement sur la réservation de certaines voies à la circulation de véhicules "propres" ou en covoiturage, les sénateurs ont en outre rétabli l'étude de "l'opportunité d'autoriser la circulation des transports en commun sur les bandes d'arrêt d'urgence aux heures de pointe au regard des exigences de sécurité nécessaires".

Déchets et économie circulaire : modifications en vrac

De nombreuses modifications ont également été apportées au volet économie circulaire du texte. Alors que l'article 19 pose que la création de nouvelles installations de tri mécano-biologique (TMB) d'ordures ménagères résiduelles "doit être évitée", un amendement de Gérard Miquel (PS, Lot) prévoit de ne cibler que les installations de TMB dédiées à l'extraction de la fraction organique. Il juge en effet "excessif de condamner les installations TMB ayant une autre vocation : tri des résidus secs en vue de la préparation de CSR [combustibles solides de récupération], stabilisation des résidus organiques encore présents après tri à la source". Les sénateurs ont aussi rétabli l'étude d'impact préalable à la généralisation du tri à la source des biodéchets, qu'ils avaient déjà réclamée. La demande faite à l'Ademe d'un rapport trisannuel sur les CSR a elle aussi été supprimée.
Un amendement de Gérard Miquel a également supprimé l'interdiction de certains ustensiles jetables de cuisine pour la table et son remplacement par la mise en place obligatoire d'un tri à la source à partir du 1er janvier 2018. En revanche, les sénateurs ont rétabli "l'exemption de l'interdiction" des sacs de caisse à usage unique "pour les sacs biodégradables et compostables en compostage domestique". Ils ont inclus le papier d'hygiène dans le périmètre de la filière papier. Ce gisement, en hausse significative, représente 34 kg/habitant/an.
Ils ont réinscrit dans la loi le fait que seules les publications d'information politique, générale et professionnelle pourront s'acquitter en nature de la contribution due au titre de la filière REP papiers alors que l'Assemblée nationale avait choisi de définir par décret quelle catégorie de la presse papier serait soumise à cette obligation. Ils ont supprimé la demande de rapport au gouvernement pour inclure la maroquinerie dans la filière REP textile.
L'article 21 bis sur la planification locale en matière de prévention et de gestion des déchets a été supprimé, "dans la mesure où ce dispositif est en cours de réécriture dans le cadre de projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République", ont justifié les sénateurs. Plusieurs amendements prévoient que le rapport gouvernemental devant identifier les produits qui, ne faisant pas l'objet d'un dispositif REP, présentent un potentiel de réemploi concerne également ceux présentant un potentiel de recyclage.

Energies renouvelables

Sur le volet simplification du texte, plusieurs amendements fixant de nouveau à au moins 1.000 mètres la distance d'implantation d'une éolienne par rapport à une construction ont été rejetés par la commission des affaires économiques du Sénat. En revanche, les sénateurs ont adopté un amendement de Ronan Dantec (EELV, Loire-Atlantique), prévoyant que la distance d'éloignement sera "appréciée au regard" de l'étude d'impact, et non plus "fixée par arrêté préfectoral", comme l'avait prévu l'Assemblée nationale.
Hervé Maurey (UDI, Eure), président de la commission aménagement du territoire, a rétabli le fait que le volet éolien des schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) ne soit pas adopté "si trois cinquièmes des établissements publics de coopération intercommunale de la région représentant la moitié de la population totale s'y opposent dans la période prévue pour leur consultation". Les sénateurs ont aussi refait passer à 30%, au lieu des 20% fixés par l'Assemblée nationale, le taux du produit d'Ifer (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux) dédié aux communes et ils ont rétabli l'affectation de l'Ifer "pour deux tiers à la commune d'implantation de l'installation et pour un tiers aux autres communes situées à moins de 500 mètres de l'installation". Ils ont en outre supprimé l'harmonisation des délais de recours contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) en raison "des risques importants de carence démocratique" que comportait la mesure.

Relèvement du plafond de la capacité nucléaire

Jean-François Husson (Les Républicains-LR, Meurthe-et-Moselle), président de la commission des finances, a réintroduit l'objectif de plafonnement du niveau de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) à 22,5 euros par mégawattheure pour 2016, ainsi qu'un plafond global fixé à 7,7 milliards d'euros, dédié exclusivement au financement des énergies renouvelables. Le rapporteur de la commission des affaires économiques, Ladislas Poniatowski (LR-Eure) a rehaussé à 64,85 GW le plafond de la capacité nucléaire autorisée, au lieu des 63,2 GW prévus par le projet de loi, afin de ne pas avoir à fermer de réacteur en cas de mise en service du réacteur EPR de Flamanville. Enfin, le Conseil constitutionnel ayant "considéré conforme à la Constitution l'interdiction de procéder, dans une résidence principale, à l'interruption de la fourniture d'eau pour non-paiement des factures et ce tout au long de l'année", les sénateurs ont supprimé l'article 60 bis A qui prévoyait une réduction du débit d'eau pour les mauvais payeurs solvables, qui avait été voté par l'Assemblée nationale.
Le texte doit être examiné en séance publique les 9, 10, 15, 16 et 17 juillet prochains.