Projet de loi Justice : les sénateurs rejettent l'idée de spécialiser les tribunaux de grande instance
Les sénateurs ont terminé le 17 octobre 2018 l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice. S'ils ont validé la fusion des tribunaux d'instance et de grande instance, ils ont toutefois rejeté l'idée d'une spécialisation des tribunaux de grande instance. Le vote doit intervenir le 23 octobre 2018.
Le 23 octobre 2018, les sénateurs se prononceront sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice dont ils ont terminé l'examen du texte le 17 octobre. Annoncée en mars 2018, la réforme prévoit une réorganisation des instances de juridiction, avec notamment la fusion des tribunaux d'instance et de grande instance et la constitution de pôles spécialisés dans les départements qui comportent plusieurs tribunaux de grande instance. Un processus vécu avec beaucoup d'inquiétudes par les sénateurs qui craignent la disparition de lieux de justice, la dévitalisation des petits tribunaux et, plus largement, l'éloignement des justiciables de la justice. Le mauvais souvenir de la réforme de la carte judiciaire de l'ancienne ministre Rachida Dati, conduite il y a dix ans, est encore présent dans les esprits…
"Je souhaite maintenir l'ensemble des lieux de justice, partout où ils se trouvent aujourd'hui, je souhaite maintenir l'ensemble des tribunaux mais je souhaite également pouvoir évoluer en partant de projets territoriaux construits avec les acteurs locaux de la justice", a pourtant affirmé Nicole Belloubet, ministre de la Justice, lors de l'examen de l'article 53 qui porte cette réorganisation de la carte judiciaire.
Des tribunaux de première instance
L'idée de fusionner les tribunaux d'instance avec les tribunaux de grande instance a été validée par les sénateurs, qui ont toutefois souhaité donner le nom de "tribunaux de première instance" à la structure issue de la fusion, comme l'avait proposé la commission des lois. Le gouvernement dans son projet initial avait conservé le terme "grande instance". "La dénomination de tribunal de première instance serait plus pertinente puisque TGI et TI n'existeraient plus", a précisé François-Noël Buffet, sénateur du Rhône et rapporteur.
Par ailleurs, dans le cadre du texte, ces structures peuvent comprendre à l'extérieur de leur siège une ou plusieurs chambres pour permettre d'adapter utilement l'organisation judiciaire aux besoins locaux. Encore une fois, le gouvernement n'a pas réussi à imposer l'intitulé de ces chambres auprès des sénateurs : il souhaitait initialement les nommer "tribunaux d'instance", puis finalement, dans le cadre d'un amendement (n°185), "tribunaux de proximité". Mais les sénateurs ont préféré retenir le terme de "chambres détachées" pour éviter toute confusion avec le passé. "La dénomination de tribunal de proximité a été supprimée il y a quelques années et la réintroduire serait source de confusion puisque ce n'est plus un tribunal", a encore souligné François-Noël Buffet.
Pas de spécialisation pour les tribunaux de grande instance
Le gouvernement n'a pas réussi non plus à imposer au Sénat sa vision de la spécialisation, l'amendement (n°185), visant à rétablir la version initiale du texte modifiée par la commission des lois, n'ayant pas été adopté. La disposition gouvernementale prévoyait que les chefs de cour puissent proposer de spécialiser des tribunaux de grande instance dans les contentieux techniques de faible volume en matière civile ou pénale, créant des blocs de compétences. La liste de ces matières devant être fixée par décret en Conseil d'État. "Les TGI - qui seront tous maintenus - doivent pouvoir dialoguer pour se spécialiser sur telle ou telle compétence technique. Mon projet a évolué car j'ai entendu les craintes des professionnels issus des territoires. Aussi ai-je introduit les notions de volumétrie et de technicité des matières, le volume des affaires spécialisées ne devant pas excéder 10% des contentieux gérés dans un tribunal. Mais si un tribunal perd 10% de son contentieux, il en recevra 10% venus d'ailleurs", a précisé Nicole Belloubet pour défendre l'amendement gouvernemental. Mais les sénateurs n'ont pas suivi ce choix et ont rejeté l'amendement. "Ce serait difficile à appliquer pour de petites juridictions et risquerait de créer des conflits de compétence", a affirmé François-Noël Buffet.
Il en va de même pour l'expérimentation prévue par le gouvernement dans deux régions comprenant plusieurs cours d'appel pour une durée de trois ans. Il s'agissait à travers cette expérimentation de conférer à des chefs de cour d'appel des fonctions d'animation et de coordination pour plusieurs cours d'appel et de spécialiser des cours d'appel dans certains contentieux civils dans un souci de cohérence et d'efficacité. La commission des lois a supprimé le dispositif et le gouvernement n'a pas réussi à le réintroduire en séance publique, son amendement (n°187) a été rejeté. "L'objectif ici est manifestement de rapprocher les cours d'appel pour, à terme, en supprimer certaines. Même si la démarche est faite subtilement, nous ne sommes pas dupes. Nous voterons contre cet amendement qui préfigure la suppression de cours d'appel", a insisté Jacques Bigot, sénateur du Bas-Rhin.
En revanche, les sénateurs ont adopté l'expérimentation, pendant trois ans, d'un tribunal criminel de département dont l'objectif est d'obtenir un jugement des affaires civiles plus rapide. À travers cette expérimentation, dans un certain nombre de départements, les personnes poursuivies pour des crimes punis de quinze ou vingt ans de prison (comme les affaires de viols) seront jugées en premier ressort par un tribunal criminel départemental, composé uniquement de magistrats. En cas d'appel, cependant, l'affaire passera aux assises.
Référence : projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.