Projet de loi d'urgence pour Mayotte : le Sénat adopte à son tour le texte d’accélération de la reconstruction
Le Sénat a adopté, ce 4 février à l’unanimité, le projet de loi d'urgence pour Mayotte qui prévoit la mise en place d’un établissement public pour coordonner les travaux de reconstruction de l’archipel, après le passage du cyclone Chido, et, pour l’essentiel, des dispositions d'assouplissement des procédures d’urbanisme et règles de la commande publique, et des mesures sociales visant à accompagner l’économie mahoraise. Les sénateurs, qui ont oeuvré pour mieux associer les élus à la reconstruction de leur territoire, ont aussi rétabli la dispense d'autorisation d'urbanisme pour certaines constructions modulaires temporaires à usage d'urgence. À l’initiative du gouvernement, un prêt à taux zéro pour la reconstruction a également été créé à destination des ménages.
![Mayotte](/sites/default/files/styles/landscape_auto_crop/public/2025-02/Capture%20d%E2%80%99%C3%A9cran%202025-02-05%20143655.jpg?itok=sqvoQXhY)
© capture vidéo Sénat/ Manuel Valls
Le Sénat a achevé, ce 4 février, l’examen du projet de loi d'urgence pour Mayotte, transmis après son vote par l’Assemblée en première lecture le 22 janvier (lire notre article). Le texte adopté à l’unanimité par 344 voix représente un premier pas pour remettre sur pied l’archipel dévasté par le cyclone Chido, qui a causé la mort de 39 personnes. Le ministre d’État en charge des outre-mer, Manuel Valls, qui revient tout juste d'un déplacement à Mayotte, s’est engagé à présenter "avant deux mois", un projet de loi-programme "Mayotte Debout", "pour donner de nouvelles bases à son développement", le cyclone n’ayant "fait qu'exacerber des calamités préexistantes : infrastructures sous-développées, habitat illégal, immigration clandestine". C’est donc à travers ce second texte structurel, que seront notamment abordés l’accès à l’eau et la question migratoire. Sur ce volet, une proposition de loi défendue par Philippe Gosselin (Droite républicaine) visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte sera également discutée en séance à l’Assemblée ce jeudi 6 février.
En commission, le Sénat a remanié certaines dispositions (lire notre article du 29 janvier 2025), en rétablissant par exemple l’article 3 facilitant l'implantation de constructions temporaires d'urgence. La composition du conseil d'administration de l'établissement public qui sera en charge de coordonner la reconstruction (article 1er) a aussi été revue, pour mieux y associer les élus locaux. Malgré tout, de nombreux élus, en particulier mahorais, juge le texte insuffisant. "Nous ne pouvons que regretter, à ce stade, l’impasse du champ restreint de ce projet de loi, nous empêchant d’aller plus loin", a notamment relevé en séance la sénatrice mahoraise, Salama Ramia (RDPI), ajoutant que son groupe voterait évidemment cette loi d'urgence. Après l’examen par la Chambre Haute, députés et sénateurs sont désormais appelés à trouver un texte commun lors d'une commission mixte paritaire, qui devrait se tenir le 10 février.
Coordination de la reconstruction de Mayotte et reconstruction des écoles
À l’article 1er, les sénateurs ont réduit à un mois (au lieu de trois), le délai à compter de la publication de la loi, prévu pour élaborer et adopter l'ordonnance qui devra déterminer les règles d'organisation, de gouvernance et les missions de l’établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction. "Nous devons agir vite. La création d'un établissement public s'est tout de suite imposée ; mais les délais de ce texte nous amènent à l'été, avec un établissement opérationnel en septembre", a expliqué le sénateur mahorais, Saïd Omar Oili (SER) pour défendre son amendement, contre l’avis de la commission et du gouvernement. Un autre amendement, également adopté en séance, prévoit de confier des missions en matière d'équipements et d'infrastructures à l’établissement public.
Tout en conservant les apports de la commission sur l'équilibre territorial et sur la présence au sein du conseil d’administration du président de l’association des maires de Mayotte et des représentants des cinq EPCI, le gouvernement a souhaité revenir à une formulation plus souple (via l’ajout de l’adverbe "notamment") permettant de ne pas préempter la mission de préfiguration de l’établissement public conduite par le général Facon, qui pourraient conduire à retenir une autre formule de représentation des communes.
Plusieurs amendements en séance ont également permis d’élargir le comité technique rattaché au conseil d’administration -dont le rôle sera consultatif- aux opérateurs de réseaux et aux organisations représentatives du bâtiment.
Le rapport d'activité annuel par l'établissement public dédié à la reconstruction - prévu à l'article 1er bis - rendra compte également des mesures de soutien apportées dans le cadre des fonds européens mobilisés pour la reconstruction (amendement de Viviane Artigalas/SER) et de la mise à jour des données cadastrales (amendement de Salama Ramia).
Concernant l'exercice temporaire par l'État de la compétence de construction des écoles publiques, l’article 2 modifié en commission de façon à ce que l’État ne puisse intervenir qu’à la demande des communes, a fait l’objet en séance d’une simple modification rédactionnelle.
Adapter les règles d’urbanisme et de construction
Contre l’avis de la commission et avec un avis de sagesse du gouvernement, le Sénat (amendement de Viviane Artigalas/SER) a réintroduit le relogement d’urgence temporaire à l’article 3 qui prévoit des dispenses d'autorisation d'urbanisme pour une durée de deux ans. Le texte ajoute en outre que le dossier d'information transmis au maire pour solliciter son accord préalable à l'implantation précise explicitement l'usage du projet de constructions temporaires et démontables.
La pertinence d'établir des constructions temporaires pour le relogement d'urgence des personnes dont l'habitation a été rendue impraticable par les intempéries a fait l'objet d'un vif débat à l’Assemblée, conduisant à la suppression de l’article. En commission, au Sénat, la rapporteure avait proposé de le rétablir dans une nouvelle rédaction, en le recentrant sur les usages de bureaux pour les services publics, de salles de classe et de logement temporaire des fonctionnaires locaux et venus en renfort pour la gestion de crise.
Toujours en séance, le gouvernement a rétabli le périmètre de l’ordonnance prévue par l’article 4 pour adapter les règles relatives aux constructions aux caractéristiques et contraintes du territoire mahorais. Le texte est donc revenu sur l’exclusion par l’Assemblée des règles relatives à l'accessibilité et au recours aux énergies renouvelables du champ de l’habilitation. Le Sénat a également adopté un autre amendement du gouvernement visant à supprimer l'exigence d'une autorisation d'urbanisme (prévue en commission) et à rétablir à l’article 4 bis celle d'un justificatif de domicile lors de l'achat de tôle par les particuliers pour empêcher la reconstruction des bidonvilles. Les amendements de suppression de cet article - défendus par les sénatrices de gauche Antoinette Guhl (Ecologiste), Evelyne Corbière Naminzo (CRCE) et Viviane Artigalas (SER) - ont tous été rejetés, donnant lieu à une véritable passe d’armes avec le gouvernement au sujet du bilan humain du cyclone.
L’article 5 relatif au champ d'application des dérogations aux procédures d'urbanisme prévues par les articles 6 à 9 du projet de loi a quant à lui été adopté sans modification.
Les articles 6 (autorisation de reconstruire à l’identique), 6 bis A, 6 bis et 6 ter (mesures de simplification de procédures pour la reconstruction des réseaux de téléphonie mobile et du réseau public d’électricité de Mayotte) ont fait l’objet de simples précisions rédactionnelles.
Face à l’urgence de la reconstruction, la commission a permis (article 7) que les réfections et reconstructions strictement à l’identique fassent l’objet d’une simple déclaration en mairie. En séance, la rapporteure a toutefois proposé de restreindre le champ des travaux de reconstruction pouvant bénéficier de cette procédure très simplifiée aux seuls travaux de réfection à l'identique qui font normalement l'objet d'une déclaration préalable. Pour accélérer les démarches de régularisation, le gouvernement a quant à lui introduit par amendement une information systématique du pétitionnaire sur les travaux de la commission d’urgence foncière (CUF), l’invitant à vérifier la validité du titre de propriété de la ou des parcelles objet de sa demande d’autorisation d’urbanisme dans le cadre de la reconstruction.
Le délai de notification de l'incomplétude du dossier de demande d'autorisation d'urbanisme au demandeur est rallongé à huit jours ouvrés pour tenir compte de la réalité du fonctionnement des services à Mayotte (amendement en séance de Salama Ramia).
Un nouvel article 7 bis - introduit par un amendement de la rapporteure en séance - permet à titre dérogatoire, et pour la durée de deux ans, de supprimer l’avis conforme de la CDPENAF (commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) au profit d’un avis simple, pour les opérations et travaux de reconstruction ou réfection à l’identique ou quasi à l’identique des bâtiments et autres infrastructures agricoles, dès lors que la modification de gabarit n’excède pas 5%.
L’article 8 (choix de recourir à la participation du public par voie électronique) a été adopté dans la version de la commission.
À l’article 9, le Sénat a adopté un amendement du gouvernement de façon à exclure la possibilité de commencer les travaux de démolition et de déblaiement ou l’installation des structures nécessaires à la conduite du chantier dès le dépôt de la demande d’autorisation ou de déclaration préalable lorsqu'ils concernent un immeuble inscrit au titre des monuments historiques (Mayotte en compte quatorze).
Supprimé à l’Assemblée, l’article 10 qui habilitait le gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles de l'expropriation au territoire mahorais, caractérisé par des difficultés pour identifier les propriétaires fonciers, n’a pas été rétabli au Sénat. "Il n'a jamais été question d'exproprier à tour de bras, encore moins sans indemnisation ! J'ai été maire et je suis un homme de dialogue, respectueux du travail des élus et du sentiment des populations. Cet article a été mal compris et le recours à l'ordonnance n'a pas aidé, précisément, au rétablissement de cette confiance. Je fais donc le choix de ne pas le rétablir. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen du second projet de loi, sur la base d'un dispositif en dur", s’est expliqué Manuel Valls.
Dérogations temporaires en matière de commande publique
Sur le volet dérogations aux règles de la commande publique prévues par les articles 11 à 14, le Sénat a voté la suppression de l’article 12 de dérogation au principe d'allotissement des marchés publics, (amendements identiques de Pierre-Alain Roiron /SER et Corbière Naminzo/CRCE), contre l’avis de la commission et du gouvernement.
À l’article 13, qui prévoit la création d'une nouvelle possibilité de recours au marché de conception-réalisation pour la reconstruction et la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par le cyclone, même lorsque les conditions prévues par le droit commun ne sont pas remplies, le texte maintien la distinction entre maîtrise d’œuvre et opérateurs économiques chargés des travaux. "L’absence de distinction et d’identification de la mission de maîtrise d’œuvre dans le cadre d’un marché global conduirait à priver l’architecte de toute marge de manœuvre et d’expertise indépendante vis-à-vis de l’opérateur économique. Cette situation comporte le risque de passer d’une relation de co-traitance entre l’architecte à l’entreprise, à une relation dégradée, sans garanties de prises en compte de l’expertise des architectes, et en particulier des architectes mahorais", souligne l’amendement du gouvernement. Manuel Valls a rappelé que Mayotte compte une trentaine d’architectes inscrits à l’Ordre, dont vingt sont formés à la gestion de crise.
Introduit en commission, l’article 13 bis AA prévoit un dispositif permettant aux acheteurs de réserver, à titre facultatif, jusqu'à 30% du montant estimé de certains marchés passés pour reconstruire Mayotte aux micro-entreprises, PME et artisans locaux ("small business act"). Son extension aux associations de l'économie sociale et solidaire a été actée en séance (amendement de Salama Ramia).
Faciliter les dons à destination de Mayotte
À l’article 15, la commission a souscrit à l’élargissement du champ des associations pouvant recevoir des subventions de la part des collectivités territoriales et de leurs groupements. Dans un objectif du contrôle de la bonne utilisation des deniers publics, le texte prévoit en outre que les associations et fondations reconnues d’utilité publique ayant ainsi bénéficié de subventions, devront présenter un rapport d’activité, au plus tard le 1er mars 2026, retraçant les actions d'intérêt général conduites (amendement en séance de Salama Ramia).
Mesures sociales
L’article 17 permet la suspension des délais de recouvrement forcé des créances fiscales, entre le 14 décembre 2024 et le 31 mars 2025, la suspension pouvant être prolongée par décret jusqu'au 31 décembre 2025. La suspension du recouvrement bénéficiera également aux redevables de créances douanières, au terme d’un amendement du gouvernement adopté en séance. Un autre (article 17 bis A) permet l'extension de la suspension des délais de réclamation en cas de trop perçu aux créances douanières.
Un nouvel article 17 bis AA introduit par un amendement du gouvernement instaure un prêt à taux zéro pour le financement de travaux de reconstruction ou de réhabilitation des logements à Mayotte, accessible aux propriétaires même non assurées, et dans la limite de 50.000 euros par logement sur vingt ans (trente ans pour les publics les plus fragiles), avec différé de remboursement de cinq ans maximum. Le prêt sera garanti par l'État et sa durée limitée dans le temps pour les prêts demandés jusqu'au 31 décembre 2027. Manuel Valls s’est engagé "à ce qu'il soit distribué le plus rapidement possible" via les banques et Action Logement. "Beaucoup de Mahorais ont déjà des crédits. Cela soulève le problème du cumul de crédits, même si le taux est à 0%", a relevé Salama Ramia, épinglant "l'exemple d'une mesure totalement déconnectée".
L’article 17 ter, introduit en commission, permet une exonération de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pendant deux ans concernant les déchets à Mayotte jusqu'au 31 décembre 2026. Un amendement de la rapporteure adopté cette fois en séance étend le champ d’intervention de l’exonération de TGAP, à tous les déchets présents à Mayotte, y compris s’ils sont traités en dehors du territoire mahorais.
À l’article 18 de suspension de l'obligation de paiement des cotisations et contributions sociales patronales, ainsi que de leur recouvrement forcé, le Sénat a adopté un amendement du gouvernement de réécriture des dispositions relatives au plan d’apurement.
L'article 19 (rend les travailleurs indépendants non agricoles mahorais éligibles aux prestations du Conseil de la protection sanitaire et sociale des indépendants), l'article 22 (majoration des taux de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle) et l'article 23 (prolongation de la validité des demandes de logement social) ont été adoptés conformes par le Sénat.