Projet de loi d'orientation des mobilités : le Sénat entame l'examen du texte en séance
Le Sénat a débuté ce 19 mars l'examen en séance du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) sur lequel plus d'un millier d'amendements ont été déposés. La ministre des Transports a rappelé les objectifs du texte, conçu comme une "réponse structurelle" aux fractures sociales et territoriales mises en exergue par la crise des gilets jaunes. Les premiers amendements votés par les sénateurs ont porté sur le volet de programmation des investissements de l'État dans les systèmes de transport.
Le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) qui vient d'entamer son examen en première lecture en séance au Sénat, répond à "une triple exigence" a affirmé Élisabeth Borne en ouverture des débats le 19 mars. "Exigence d'efficacité pour notre système de transports menacé par des décennies de sous-investissement", "exigence d'égalité entre tous les citoyens pour que nul ne soit assigné à résidence", "exigence environnementale, celle de l'accélération d'une transition vers des mobilités plus sobres et plus propres", a détaillé la ministre des Transports.
"Le grand débat éclaire ces exigences d'une lumière particulière, a-t-elle poursuivi. Des colères, des attentes, des propositions se sont exprimées sur les ronds-points, sur les cahiers de doléances et dans les réunions du Grand Débat. Ce sont celles d'une France à deux vitesses, d'une France où il faut autant de temps pour rejoindre Bordeaux depuis Massas, à quarante kilomètres, que depuis Paris." "La crise des gilets jaunes a rappelé ce diagnostic de fracture territoriale, a-t-elle reconnu. Ce projet de loi entend y être une réponse structurelle. Il est le fruit d'un dialogue nourri depuis deux ans, engagé à l'occasion des Assises nationales de la mobilité."
Un dialogue jugé "indispensable" car "en matière de mobilité, ce n'est pas l'État l'échelon le plus pertinent, encore moins depuis Paris", a admis la ministre. En revanche, "c'est à l'État de lever les freins, de répondre à ses engagements financiers" et de "s'assurer qu'il y ait un interlocuteur à chaque niveau". "Il y a trop de zones blanches de la mobilité : sur 80 % du territoire, il n'y a pas d'autorité organisatrice dédiée à la mobilité, pour apporter une solution. Ce n'est plus acceptable, a ajouté la ministre. Les communautés de communes doivent pouvoir proposer des solutions de proximité, simples et adaptées aux besoins."
Petites lignes ferroviaires
Alors qu'en commission, le Sénat a proposé un délai de six mois pour préparer le transfert de compétences (lire notre article), Élisabeth Borne a dit qu'elle n'y était "pas opposée dès lors que les collectivités concernées sont d'accord" et que "les mesures contenues dans ce volet gouvernance ont toutes été concertées étroitement avec les collectivités et leurs associations". Affirmant que "le bon niveau de réponse est le bassin de mobilité", elle s'est également dite "favorable" à la mise en place de contrats opérationnels de mobilité et au renforcement de la concertation entre la région et les collectivités (lire notre article). Elle a par ailleurs indiqué que, sans attendre les conclusions de la mission confiée au préfet Philizot, le gouvernement avait déposé un amendement pour permettre aux régions qui le souhaitent de "gérer directement" les petites lignes ferroviaires.
La ministre a en outre confirmé travailler à un renforcement du "forfait mobilités durables" prévu par le texte, pour le rendre "plus systématique voire obligatoire" pour que les employeurs qui le souhaitent puissent encourager les déplacements domicile-travail à vélo ou en covoiturage. "De la même façon, la prime à la conversion doit être complétée", a-t-elle affirmé, se disant "favorable à des solutions de microcrédit ou de location longue durée".
Versement mobilité à 0,3% : "prématuré", tranche la ministre
Aux sénateurs inquiets d'une absence de financement du volet programmation, la ministre a assuré que "pour l'exercice 2019 l'État est bien au rendez-vous". "Pour 2020 et les années suivantes, la question du financement reste en débat. Nous aurons à dégager 500 millions d'euros supplémentaires par an à partir de l'an prochain". Élisabeth Borne a jugé "légitime" d'attendre les conclusions du Grand Débat "pour trancher la nature de cette ressource". "Cette programmation, c'est une forte augmentation des investissements de l'État avec 13,4 milliards sur cinq ans", a rappelé la ministre. "C'est le contraire d'une liste de grands projets", elle "consacre la priorité donnée au transport du quotidien". Concernant les moyens dévolus aux collectivités, elle a jugé "prématuré" le versement mobilité à 0,3% introduit en commission pour les autorités organisatrices qui n'organisent pas des services réguliers de transport collectif. Il s'agit selon elle d'un "prélèvement complexe à mettre en œuvre" alors que "d'autres options sont possibles", notamment la contribution foncière des entreprises (CFE). "De même, nous devons continuer à travailler sur les mécanismes de solidarité pour les collectivités les plus fragiles, a ajouté la ministre. Mais je veux l'exprimer clairement devant vous : pas de prise de compétence sans ressources adaptées. Dans les deux cas, il y a donc un engagement du gouvernement à trouver des réponses qui auront leur place dans la réforme de la fiscalité locale."
Avant l'examen des articles du projet de loi, sur lequel plus d'un millier d'amendements ont été déposés, le Sénat a repoussé une motion du groupe CRCE (à majorité communiste) visant à rejeter d'emblée le texte, sa présidente Éliane Assassi reprochant justement au gouvernement de ne pas respecter ses engagements d'attendre la fin du grand débat pour débattre de ce projet de loi. "Légiférer aujourd'hui, c'est faire peu de cas du Grand Débat national, faire peu de cas de la colère exprimée par les Français", a convenu Patrick Chaize (LR), appelant cependant à examiner le texte, parce que "dans le contexte politique actuel, il ne serait pas opportun de laisser l'exécutif poursuivre son dialogue avec une opinion déboussolée".
Programmation des transports : ajout de nouveaux objectifs
Les premiers amendements adoptés ont porté sur le volet de programmation des investissements de l'État dans les systèmes de transport pour la période 2019-2037 que les sénateurs, lors de l'examen en commission, ont placé en tête du texte. Ils ont fait valoir que les zones rurales enclavées doivent elles aussi pouvoir bénéficier d’une offre de mobilité permettant de circuler en leur sein dans des conditions satisfaisantes. Parmi "les déplacements du quotidien", ils ont proposé que les habitants des zones les plus enclavées puissent bénéficier de conditions satisfaisantes d’accès aux services publics. Ils ont inscrit la sécurité des réseaux routiers les plus accidentogènes parmi les objectifs de la stratégie et de la programmation financière et opérationnelle des investissements de l’État dans les transports. Ils ont complété l’objectif d’amélioration des liaisons entre les territoires ruraux et les pôles urbains par celui d’amélioration des liaisons entre les pôles urbains, en particulier entre les communautés urbaines. Avec le soutien d'Élisabeth Borne, ils ont aussi adopté un amendement inscrivant la diminution des émissions de gaz à effet de serre parmi les objectifs poursuivis par la programmation des transports. Ils ont également inscrit parmi les objectifs de cette programmation l’amélioration de la mobilité quotidienne à l’intérieur des massifs en fluidifiant le trafic routier, notamment dans les territoires transfrontaliers. Le développement du transport fluvial a également été mentionné comme priorité. Le déploiement de véhicules de transport des marchandises à faibles émissions a aussi été mis en exergue.
Transports par câbles, trains de nuit, gares d'interconnexion
Un amendement vise en outre à inciter les régions à favoriser des modes de transport par câbles intra urbains ou en en vallée (funiculaires, ascenseurs…) mais aussi le développement de liaisons tram/train inter urbaines. Un autre entend favoriser l'offre de trains de nuit. Les sénateurs ont aussi introduit dans le texte l’objectif de construction de gares d’interconnexion, notamment entre TER et TGV, pour décongestionner les grandes gares de centre-ville, assurer des correspondances avec d’autres lignes et optimiser l'aménagement du territoire en mettant fin aux gares TGV isolées. Ils ont aussi voté un amendement pour préserver les lignes de train désaffectées en milieu rural ainsi que leurs emprises. Les sénateurs se sont aussi prononcés pour le soutien à la filière hydrogène dans les mobilités et pour inscrire les infrastructures végétalisées parmi les priorités des programmes d'investissement figurant dans le rapport annexé au projet de loi.
L'examen des articles du projet de loi est prévu jusqu'au 28 mars. Le Sénat se prononcera sur l'ensemble du texte le 2 avril, puis le texte ira à l'Assemblée nationale, avant une adoption définitive prévue en juillet.