Projet de loi d’orientation des mobilités : l’Assemblée fige la programmation des investissements
L’Assemblée nationale a achevé le 14 juin, tard dans la nuit, la première lecture du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), réservant le vote solennel sur l’ensemble du texte au mardi 18 juin à 16 h. Auparavant, les députés ont longuement débattu en séance, les 13 et 14 juin, du volet programmatique des investissements de l’État dans les transports (titre 1er A), pour finalement le modifier à la marge. L’adoption du titre V de "simplification et mesures diverses" est donc venu clôturer un marathon démarré en séance le 3 juin, qui aura au total nécessité plus de 80 heures de débat et l’examen de 2.984 amendements. Localtis reviendra dans ses prochaines éditions sur les principaux amendements adoptés sur ce dernier titre consacré notamment à la sécurité des mobilités.
Désormais placé en tête du texte, après son passage au Sénat, le titre 1er A (ex-titre IV du projet de loi initial) assoit la programmation financière de l’État dans les infrastructures de transports à hauteur de 13,7 milliards d’euros sur les cinq prochaines années (art. 1er. A), toujours en-deçà des besoins identifiés pour réaliser le scénario 2 présenté par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) présidé par Philippe Duron. Un rapport y est annexé, qui décline cette stratégie en objectifs opérationnels et décrit les cinq programmes d’investissement prioritaires. Une chronique annuelle détaillée des dépenses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), chargée d’honorer ces engagements, en complète le tableau (art. 1er.B)
Le co-responsable du projet de loi, Damien Pichereau, a annoncé la couleur en amorçant la discussion sur le volet programmatique : "Le groupe La République en marche votera contre tout amendement visant à introduire une nouvelle fiscalité, car (…) il nous appartiendra de prendre de telles mesures dans les prochaines lois de finances." Pourtant, la crédibilité budgétaire de cette programmation, en particulier des recettes dédiées à l’Afitf, déjà questionnée au Sénat, n’a pas manqué de resurgir dans l’hémicycle. Pour y répondre, le projet de loi propose comme premières bases, sur proposition du Sénat, le principe de l’affectation à l’Afitf de la part de TICPE - taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques - prévue en 2015 en remplacement de l’écotaxe. En commission, l’Assemblée a acté une autre avancée en lui affectant également le surplus de recettes de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite "taxe Chirac". Mais le compte n’y est toujours pas. "Tout le monde considère que dans cette trajectoire financière, il manque au budget de l’Afitf entre 300 et 500 millions d’euros par an" - par rapport à la cible de 2.982 millions d’euros de dépenses pour 2020 -, épingle ainsi Bertrand Pancher (Libertés et territoires), relayant le mécontentement de Régions de France et des professionnels, comme le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Le fléchage d’une part supplémentaire de TICPE vers l’Afitf est également revenu comme un leitmotiv dans les amendements défendus en vain par la députée LR Valérie Lacroute. Le socialiste Christophe Bouillon envisageait quant à lui de lever un emprunt à moyen et long terme pour financer la programmation des infrastructures jusqu'en 2037.
La ministre des Transports, Élisabeth Borne, tout comme la rapporteure du titre, Bérangère Abba, ont systématiquement botté en touche, renvoyant la discussion au projet de loi de finances pour 2020, y compris sur la fiscalité du fret routier. Tous les amendements proposant redevances ou vignettes poids-lourds ont donc été écartés, dans l’attente d’arbitrages à l’échelle européenne. Sans plus de succès, la rapporteure pour avis de la commission des finances, Anne-Laure Cattelot, a proposé d’introduire un contrat d’objectifs et de performance permettant de définir de façon transparente les engagements opérationnels de l’Afitf, évoquant le "triangle amoureux entre le ministère des Transports, Bercy et le conseil d'administration de l’Agence".
Au final peu d’amendements substantiels ont franchi le cap de la discussion.
Programmation financière et rapport annexé - article 1er A
Pour l’article 1er A, seul un amendement LREM et LR a été adopté, dont l'objet est d'inscrire le déploiement des infrastructures d’avitaillement, en particulier en hydrogène et bioGNV, parmi les programmes d’investissement prioritaires, en cohérence avec les annonces gouvernementales, notamment celles de fin 2017 lors de la clôture des Assises nationales de la mobilité.
Aucun à l’article 1er B sur une quarantaine d’amendements déposés. Un seul à l’article 1er C pour y supprimer la référence à un débat en séance publique après la remise du rapport gouvernemental sur la programmation financière.
Le rapport annexé a quant à lui fait l’objet de quelques modifications, notamment via l’ajout d’un alinéa 25 - à l’initiative de la rapporteure Bérangère Abba - indiquant que la programmation des investissements donne toute sa place aux enjeux spécifiques en matière d’accessibilité des territoires de montagne, insulaires, ultra-marins et frontaliers, en leur accordant une attention particulière tant en matière d’entretien que de développement des infrastructures.
En matière d’ouvrages d’art et de ponts (alinéa 31), le texte conforte le rôle d’appui de l’État aux collectivités territoriales, en particulier grâce à l’Agence nationale de cohésion des territoires qui aura vocation à les accompagner en matière d’ingénierie.
En commission, les députés ont introduit le principe d’un rapport, qui doit être rendu d’ici le 30 juin 2020, et qui explorera les perspectives de développement des trains de nuit (alinéa 41). Un amendement LR y apporte une précision en indiquant que le réseau des trains de nuit doit être rebâti en tenant compte des situations d’enclavement des territoires les plus éloignés des grands axes de circulation. Députés LR et PCF ont déroulé leur plaidoyer pour démontrer l’intérêt des trains de nuit au regard de la lutte contre le changement climatique ou de leur légitimité du point de vue de l’aménagement du territoire.
La référence explicite aux péages urbains et positifs (alinéa 60) est supprimée, ce qui qui n’exclut pas pour autant, selon la rapporteure, l’accompagnement de l’État aux différents projets diversifiés des collectivités, "comme, par exemple, les actions de promotion du covoiturage". Concernant les péages urbains, "aucune collectivité ne s’est montrée demandeuse d’un tel outil, qu’il semble en conséquence inutile de faire figurer dans le texte", relève-t-elle. Quant à la terminologie "péages positifs" -qui consistent à encourager le report modal ou le covoiturage pour limiter la congestion- elle "peut être trompeuse car la mesure ne concerne que des volontaires et n’a rien d’un péage".
Les députés ont aussi supprimé l’alinéa 66 visant à conserver les emprises des voies ferroviaires désaffectées dans le domaine public de façon à assurer leur disponibilité pour recevoir de futurs modes de transport. Pour la rapporteure, "l’avenir des emprises ferroviaires inutilisées doit continuer d’être étudié au cas par cas, en lien avec les collectivités territoriales concernées", afin de leur permettre par exemple, de réaliser des opérations d’aménagement ou des voies vertes.
Même suppression de l’alinéa 81 du rapport annexé, dont la version issue du Sénat, prévoit la réalisation, à terme, des projets d’infrastructures prévus par le scénario 3 du COI. Or, pour la rapporteure, cette référence au scénario 3 "ôte toute logique à la priorisation des investissements retenue par le gouvernement dans le cadre du scénario 2".
Les députés ont par ailleurs adopté un l'amendement de Véronique Riotton (LREM) mentionnant que le phasage des accès au tunnel du Lyon-Turin est établi "d'ici 2023", sans présager de la date de début des travaux effectifs qui sera retenue. Les sénateurs ont en effet enrichi le texte d’un alinéa 78, en demandant à l’État de préparer un phasage des travaux des voies d’accès, sans toutefois l’assortir d’un calendrier. "Nous ne souhaitons pas faire figurer des projets précis, encore moins des dates, dans le corps de la loi, mais il est vrai que le tunnel Lyon-Turin fait exception, puisqu'il est absent du rapport du COI. C’est effectivement à cette date que l’on doit avoir un phasage des accès", a justifié la ministre avant de s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée. Côté pistes de financement, la ministre s’est voulue plus précise : "nous avons vérifié auprès de la Commission européenne qu’il est possible, dans le cadre fixé par la directive Eurovignette, d’appliquer des surpéages, limités à 50 %, pour le franchissement des zones de montagne". Par deux amendements Loïc Prud’homme (LFI) et Delphine Batho (non inscrite) ont argumenté pour l’abandon de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, soutenus avec conviction par le député François-Michel Lambert (Libertés et territoires), qui voit dans cette infrastructure "un éléphant blanc (…) qui aura plu à beaucoup, qui aura enrichi quelques-uns, mais qui n’apportera de réponse à personne".
Création de sociétés dédiées pour les grands projets d’infrastructures - article 1er DA
Un article additionnel habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer des sociétés de projets, sur le modèle de la société du Grand Paris, le cas échéant sur la base de ressources locales, afin d’accélérer la réalisation de certaines infrastructures. Cet amendement, annoncé par le gouvernement dès l’examen en commission, était en gestation, dans le rapport annexé, qui dans son dernier alinéa, prévoit que "l’État accompagne la mise en œuvre de sociétés de financements permettant l’identification de ressources territoriales nouvelles et de financements innovants". Cette création "ne doit pas induire un prélèvement supplémentaire sur la programmation définie par le COI, mais elle peut nous permettre d’accélérer un certain nombre de projets, si telle est bien l’attente des collectivités locales et si nous parvenons à réaliser un montage financier reposant sur des ressources locales", a insisté Elisabeth Borne. Elle répond notamment à des demandes formulées dans plusieurs amendements, "relativement aux lignes Bordeaux-Toulouse, Montpellier-Perpignan et à d’autres projets défendus par des collectivités, tels que l’Anneau des sciences à Lyon et, peut-être, la troisième ligne du métro toulousain, sans oublier tous les enjeux de mobilité qui se posent dans la métropole d’Aix-Marseille". Des sociétés de ce genre peuvent en effet assumer une dette de long terme et être financées par des taxes locales affectées. Ce dispositif aura vocation à être réservé aux projets dont les montants de travaux dépassent un milliard d’euros.
Bilans Loti sur les projets d’infrastructures - article 1er EA
A l’initiative de Delphine Batho, un article additionnel se fonde sur un retour d’expérience à propos des "bilans LOTI" – loi n°82?1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs –, autrement dit les bilans ex-post sur les projets d’infrastructure, qui accusent de fréquents retards, en proposant leur réalisation par une tierce personne à la charge du maître d’ouvrage.
Rapport sur la fiscalité de l’aérien - article 1er F
Tous les amendements sur la mise en place d’une contribution du secteur aérien - sous la forme par exemple, d’une taxe sur le kérosène ou d’une taxe sur les billets d’avion - ont été rejetés. La ministre s’y est dit favorable mais là encore à l’échelle européenne. Damien Pichereau a suggéré que tout le monde y travaille d’ici l’examen du projet de loi de finances. La rapporteure a pris des engagements quant à la poursuite d’une réflexion via une demande au gouvernement de produire un rapport d'ici le 31 décembre 2019 sur la fiscalité du transport aérien. Un sous-amendement de Christophe Bouillon (socialiste), en ramène la date de remise au 1er octobre 2019, c’est-à-dire au moment même de la discussion du projet de loi de finances.