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Projet de loi Climat et Résilience : le Sénat réécrit le volet alimentation à sa sauce

Le Sénat a bouclé, dans la nuit du 23 au 24 juin, le volet alimentation du titre V intitulé "Se nourrir" du projet de loi Climat et Résilience, examiné en priorité en séance publique à la demande du gouvernement, alors que le titre III "Se déplacer" était toujours en cours de discussion. Sur la question du menu végétarien hebdomadaire dans les cantines scolaires, la chambre haute a opté pour une prolongation de l’expérimentation, plutôt que pour sa généralisation comme le voulait les députés, avant de se livrer à une passe d’armes avec le gouvernement sur l’épineux sujet des engrais azotés.

TITRE V - SE NOURRIR

Soutenir une alimentation saine et durable pour tous peu émettrice de gaz à effet de serre (Chapitre Ier)

  • Menu végétarien (article 59)

Suivant la position de la rapporteure de la commission des affaires économiques, Anne-Catherine Loisier, le Sénat a préféré une prolongation de deux années supplémentaires de l'expérimentation en cours d'un repas hebdomadaire végétarien en restauration scolaire issue de la loi Egalim, plutôt qu'une généralisation, faute de retours suffisamment éclairants. La sénatrice Françoise Gatel (UC-Ille-et-Vilaine) s’est rangée derrière "la sagesse de la commission", considérant que l’on ne peut dire aux collectivités qu'une expérimentation est en cours "pour la généraliser au milieu du gué". D’autant que l'approche proposée lors de l’examen du projet de loi 4D sera toute autre, a relevé Dominique de Legge (LR-Ille-et-Vilaine) : "chacun plaidera pour plus de différenciation, de décentralisation, de liberté municipale". "Est-ce le rôle du Sénat, du Parlement, de décider du menu de nos cantines municipales ?", a-t-il interrogé. Une "fausse polémique" pas du goût des sénateurs de gauche et des écologistes. Joël Labbé (Ecologiste-Morbihan) a ainsi tenté d’argumenter pour maintenir la généralisation, tout en excluant, jusqu'en 2025, les petites structures servant moins de 200 couverts par jour. Il a de même plaidé en vain pour aller plus loin en proposant d'étendre l'expérimentation à la restauration collective privée. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, s’est quant à lui défendu d’une évaluation rédigée à la va-vite, considérant les retours "suffisants pour généraliser la mesure dans les cantines scolaires". Le gouvernement veut agir "autour de deux maîtres mots : le choix et la qualité", a-t-il réaffirmé, soulignant que "aujourd'hui, 60% de la viande consommée dans nos cantines est importée. (…) Faire le choix de la qualité, c'est faire le choix de la production locale - ce qui réduit aussi les émissions". 
Les quelques amendements adoptés n'auront pas fait bouger le curseur. Un amendement du groupe socialiste prévoit notamment que l’évaluation de l’expérimentation se penche "sur le taux d'approvisionnement en produits locaux ou français". "Il ne faudrait pas que l'augmentation de la consommation de protéines végétales débouche sur un accroissement de nos importations !", alerte le sénateur du Gers Franck Montaugé pour le soutenir. Le recensement des collectivités territoriales volontaires pour expérimenter une option végétarienne quotidienne sera assuré par la préfecture de région, plus adapté que l’échelon départemental, explique Patricia Schillinger (RDPI-Haut-Rhin), dont l'amendement a aussi été adopté. Pour éviter la création d’un organe de concertation ad hoc focalisé sur l’expérimentation d’une option végétarienne quotidienne, il est proposé de réaliser cette concertation au sein des comités régionaux pour l’alimentation créés par la loi Egalim, qui traitent d’ores et déjà de la déclinaison des politiques publiques en restauration collective.
L’article 59 bis qui prévoit d’interdire le recours à des denrées issues de cultures cellulaires ou tissulaires dans une grande partie de la restauration collective publique a été adopté sans modification.
La suppression de l’article 59 ter permettant la modulation de la tarification de la restauration scolaire en fonction du quotient familial - introduit à l’Assemblée contre l’avis du gouvernement - est confirmée.
La mise en place par l’article 59 quater d'une expérimentation visant à permettre la réservation de repas dans la restauration collective afin de lutter contre le gaspillage alimentaire est adopté sans modification. 

  • Qualité alimentaire (article 60)

Sur la question des approvisionnements dans la restauration collective, la ligne a été fixée en commission. La priorité est de lutter contre les produits importés et non de restreindre aux labels les plus exigeants la liste des produits éligibles pour atteindre le seuil de 50% de produits durables ou de qualité requis par la loi Egalim. "La loi Climat n'est pas le lieu d'un débat sur la certification HVE [Haute valeur environnementale], même si celui-ci est légitime", s’est notamment expliqué Anne-Catherine Loisier. C’est donc contre l’avis de la rapporteure, qu’ont été adoptés deux amendements identiques LR et socialiste sanctuarisant "une part au moins égale, en valeur, à 30%" de produits sous signes officiels d'identification de la qualité et de l’origine (SIQO) : Label Rouge, indication géographique protégée (IGP), appellation d'origine protégée (AOP), spécialité traditionnelle garantie (STG)…Un des effets de bords de la loi Egalim est qu"une grande partie de la production standard française peut rentrer dans cet objectif à la place des produits locaux sous SIQO ou bio. C'est une bonne chose pour la production française, mais cela pénalise les produits sous SIQO, plus chers", précise Louis-Jean de Nicolaÿ (LR-Sarthe). "Pour compenser le surcoût des SIQO, ils [les gestionnaires] devront se reporter sur des produits importés", estime la rapporteure. "Trop d'objectifs tuent l'objectif. Mettons-nous à la place d'un gestionnaire de cantine. À trop détailler, il sera impossible de piloter", a également réagi le ministre.
Un amendement UC clarifie, avec le soutien de la commission, la comptabilisation des produits SIQO, pour permettre d’inclure des produits "issus de produits Label rouge/IGP" dont la présentation adaptée à la restauration collective (viande précuite ou prétranchée par exemple) n’est pas forcément prévue dans les cahiers des charges Label rouge.
Le texte fixe par ailleurs un objectif d'approvisionnement à 100% en viandes françaises durables des restaurants gérés par l'État, ses établissements publics et les entreprises publiques nationales, d’ici 2024, au terme d’amendements identiques LR et Indépendants défendus dans une "logique d’exemplarité de l’État". Un objectif jugé toutefois "peu réaliste" par le ministre.
Un amendement du groupe socialiste enrichit le contenu du bilan statistique annuel que le gouvernement devra remettre au Parlement à la part des produits de qualité issus des circuits courts et ceux d'origine française.
Un nouvel article 60 bis AA 
- défendu par la rapporteure - renforce les moyens d’action des présidents de conseils départementaux et régionaux en matière de restauration scolaire au travers de la convention qu’ils signent avec le chef d’établissement. Ainsi, les collectivités auront un pouvoir de décision sur les adjoints gestionnaires en charge de la restauration scolaire, s’est félicité Anne-Catherine Loisier, faisant remarquer qu'"il est incohérent de fixer des objectifs en matière d’approvisionnements aux collectivités territoriales, comme le fait l’article 60 en matière de commerce équitable, sans donner aux conseils départementaux et régionaux un réel pouvoir décisionnaire en la matière". Le ministre s’était engagé à examiner cette mesure dans le cadre du projet de loi 4D.
La démarche volontaire de valorisation d’un logo "Viande de France" dans les restaurants privilégiant un approvisionnement à 100% de viandes issues d'animaux nés, élevés, abattus en France portée par l’article 60 bis A inséré en commission au Sénat est adoptée sans modification. 

  • Chèque alimentation durable (article 60 bis)

Un amendement du groupe écologiste vient compléter le rapport sur les modalités de déploiement du chèque alimentation durable pour s’assurer qu’il réponde "aux besoins des usagers, tout en favorisant une production agricole locale, écologique et de qualité, et la construction d'une démocratie alimentaire". Pour cela, il propose que le rapport étudie la mise en place d’un comité de suivi et d’évaluation, associant l’ensemble des acteurs et en particulier les usagers. L'amendement prévoit également via ce rapport, un travail sur les modalités de distribution des produits liés à ce chèque, en particulier dans les zones où les points de distribution sont absents ou insuffisants. Et notamment, les mécanismes de soutien à l’agriculture urbaine, l’installation de marchés ou magasins de producteurs, épiceries solidaires, groupements d’achats, Amap solidaires dans les quartiers défavorisés, par exemple via un fonds dédié. Enfin, il prévoit que le rapport étudie des mécanismes d’accompagnement concernant la sensibilisation et le partage d’informations sur l’alimentation et l’agriculture durable.
Un nouvel article 60 ter A
- introduit par un amendement du groupe communiste avec l’avis favorable de la commission et un avis de sagesse du gouvernement - précise, dans les objectifs de la politique d’aide alimentaire, la nécessaire prise en compte, dans la mesure du possible, de critères de qualité des denrées alimentaires. Après l’éclatement du scandale de faux steaks hachés distribués dans le cadre du fonds européen d'aide aux plus démunis (Fead) un rapport du sénateur communiste Fabien Gay avait conclu à la nécessité d'imposer des critères de qualité dans les appels d'offres, le tout en répondant, dans l'enveloppe contrainte du Fead, aux nécessités de quantité.

  • L’objectif de doublement de la surface agricole utile de légumineuses en France d'ici 2030 posé à l’article 60 ter a été adopté sans modification de fond.
     
  • Consécration des paiements pour services environnementaux en agriculture (article 60 quater A nouveau)

Un nouvel article - porté par le groupe socialiste avec avis favorable de la commission et du gouvernement - introduit dans les objectifs cadres de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation définie à l'article L.1 du code rural et de la pêche, le développement des paiements pour services environnementaux (PSE), valorisant les externalités positives de l'agriculture, c'est-à-dire les effets positifs sur les écosystèmes pouvant être engendrés par des modes de production ou des pratiques agricoles adaptés. "Il nous faut sortir de la seule logique de compensation des surcoûts ou des manques à gagner qui domine actuellement dans les politiques agricoles, pour encourager, en les rémunérant dans la durée, les éléments de biodiversité et les pratiques qui permettent d'améliorer la santé et l'efficacité agronomique, climatique et environnementale des écosystèmes", explique Franck Montaugé pour soutenir son amendement. Dans les six mois de la promulgation de la loi, un rapport au Parlement dressera un état des lieux précis de la mise en oeuvre des PSE, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre du plan Biodiversité (art. 60 quater B nouveau). Sur la base de ces constats, une trajectoire en vue de la massification des PSE sur l'ensemble du territoire national sera définie. 

  • Développement des haies (article 60 quater C nouveau)

Un article additionnel fixe, parmi les objectifs de la politique en faveur de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche maritime auxquels l’État se doit de veiller, un objectif de maintien des prairies permanentes, ainsi qu'un objectif de préservation, et, le cas échéant, de développement des haies et alignements d'arbres intraparcellaires, à adapter en fonction des territoires (amendement du groupe écologiste).
Cet objectif devra ainsi être décliné par la stratégie nationale pour l'alimentation, la souveraineté alimentaire, la nutrition et le climat prévue à l'article 61. 

  • Souveraineté alimentaire (article 60 quater)

Pour parvenir à la souveraineté alimentaire de la France gravée dans les priorités de la politique agricole par les travaux de la commission des affaires économiques au Sénat, le texte ajoute l’impératif de préserver les agriculteurs de la concurrence déloyale de produits importés issus de systèmes de production ne respectant pas les normes imposées par la règlementation européenne (amendement LR, indépendants, socialistes avec avis de sagesse de la commission et du gouvernement).

  • Stratégie nationale pour l’alimentation, la souveraineté alimentaire, la nutrition et le climat (article 61)

Les sénateurs ancrent dans le cadre de cette stratégie le dispositif "label bas carbone" de certification de projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de séquestration carbone dans le secteur agricole.
Le volet environnemental et sanitaire du programme national pour l'alimentation (PNA) et le programme national relatif à la nutrition et à la santé du programme national pour la sauvegarde et la reconquête de la souveraineté alimentaire sur lesquels vient s’appuyer cette stratégie est également consolidé. Si la relocalisation de l'alimentation et la souveraineté alimentaire sont très présentes dans la rédaction de l’article issu de la commission, l’amendement des écologistes propose d’y mentionner plus clairement les objectifs de réduction des impacts environnementaux de l’alimentation, en particulier sa contribution à la qualité de l’air, de l’eau et à la protection de la biodiversité. Il s’agit aussi de faire du PNA un outil pour la création de débouchés pour les légumineuses, notamment dans un objectif de développement de la consommation de viande locale et de qualité. 

  • Projets alimentaires territoriaux (article 61 bis)

Les dispositions relatives aux projets alimentaires territoriaux (PAT) largement retravaillée en commission en lien avec les propositions du récent rapport du groupe de travail "Alimentation durable et locale" ont été adoptées sans modification. Les sénateurs ont notamment repoussé un amendement des écologistes proposant la généralisation des PAT sur l’ensemble du territoire en 2025. "Conformément aux recommandations du groupe de travail sur l'alimentation durable et locale, nous prévoyons un PAT par département d'ici au 1er janvier 2023, ce qui semble raisonnable et réaliste. (…) Laissons-la main aux élus locaux, qui sont enthousiastes, sans imposer trop de contraintes", a estimé le rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Pascal Martin. "Les appels à projets fonctionnent bien et nous espérons atteindre l'objectif d'un PAT par département", a également souligné le ministre, réaffirmant son attachement à cette démarche "qui fonctionne très bien sur les territoires".

L’article 61 ter introduit en commission au Sénat donnant aux collectivités territoriales la possibilité de se faire communiquer des données de nature technique, économique ou socio-économique relatives à la production, à l'importation, à la transformation, à la commercialisation et à la consommation de produits alimentaires est adopté sans modification de fond. 

Développer l’agroécologie (chapitre II) 

  • Réduction des engrais azotés (article 62)

Afin d’atteindre l'objectif de réduction de 13% des émissions d'ammoniac en 2030 par rapport à 2005 et l'objectif de réduction de 15% des émissions de protoxyde d’azote en 2030 par rapport à 2015, le gouvernement envisage de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux, si la trajectoire de réduction n’est pas respectée pendant deux années consécutives. Un dispositif "à la portée normative discutable" qui ne satisfait pas la majorité sénatoriale. Pour la rapporteure, Anne-Catherine Loisier, "l’ultimatum punitif constitue un mauvais message. Nous prônons une écologie positive fondée sur l'adhésion et la responsabilisation". Le Sénat a renversé en commission la logique coercitive du gouvernement pour proposer la mise en place d'un plan "Eco-Azot" rassemblant des mesures d'accompagnement des agriculteurs afin de réduire l'usage d'engrais azotés. Ce n’est qu’en cas d’échec de ce plan, qu’une redevance serait envisagée mais uniquement au niveau européen. Aux yeux de l’écologiste Joël Labbé, le plan Eco-Azot proposé par la commission semble "plus ambitieux", quand bien même, il ne représente "pas une garantie de réussite", qu'un article "relativement vide qui ne fait qu'envisager la création d'une redevance". "Le Sénat vous propose une voie de sortie par le haut, alors que le dispositif de l'Assemblée nationale ne contente personne", a appuyé l’autre rapporteur Pascal Martin tandis que le ministre a tenté en vain de rétablir la rédaction votée à l’Assemblée. 

  • Encadrement de l'utilisation des engrais de synthèse pour les personnes publiques (article 62 bis)

Le Sénat a davantage précisé en séance l'interdiction introduite en commission de l'utilisation, hors agriculture, d'engrais azotés pour l'entretien des espaces relevant du domaine public et privé des collectivités territoriales et de l’État, au plus tard le 1er janvier 2024.
Tout en conservant le principe d’une interdiction, les sénateurs l’ont subordonné à une évaluation préalable et prévu un délai d’adaptation suffisant pour permettre aux acteurs de s’y conformer, au plus tard le 1er janvier 2027, au terme d’un amendement LR. De plus, il est prévu d’en exonérer, dans un premier temps, les équipements sportifs, y compris les hippodromes et terrains d'entraînement de chevaux de courses. Leurs propriétaires seraient accompagnés vers les bonnes pratiques environnementales de fertilisation via l'élaboration concertée d'une feuille de route au plus tard en 2025 sous l'égide des ministres des Sports et de l’Environnement. L’interdiction ne s’appliquera pas aux engrais utilisables en agriculture biologique, précise un amendement du groupe écologiste, sous-amendé par le Républicain Louis-Jean de Nicolaÿ pour prévoir une dérogation supplémentaires pour les propriétés privées accueillant du public et présentant un intérêt patrimonial ou historique.