Programme Leader : les GAL à leur tour appelés à simplifier leurs procédures
Une étude de deux chercheurs montpellierains met en lumière une tendance à la bureaucratisation des groupes d’action locale dans la mise en œuvre du programme Leader, les conduisant à s’éloigner "de la logique du développement local". Pour y remédier, ils invitent à revisiter le rôle des techniciens des GAL, à impliquer davantage les membres des comités de programmation… et à faire en sorte que ces deux publics collaborent plus étroitement.
Si Leader France a souvent dénoncé l’enchevêtrement et la surabondance de normes européennes, nationales et régionales qui pèsent sur les groupes d’action locale chargés de mettre en œuvre ce programme, une récente étude indépendante – que l’association a récemment publiée – montre que ces derniers ne sont parfois pas en reste en la matière. Non sans conséquence, puisque les auteurs de l’étude – deux enseignants de la Montpellier Business School – jugent qu’"au-delà du cadre organisationnel et des axes thématiques souvent privilégiés par l'Administration, ce sont les pratiques décisionnelles au niveau régional et local qui sont déterminantes pour le succès des initiatives de développement rural".
Bureaucratisation
Examinant les "pratiques de prise de décision au sein des GAL en France", dont ils soulignent qu’elles ne sont "pas réglementées dans une grande mesure", les deux auteurs constatent une "bureaucratisation accrue du programme", induite par la technostructure. Ils observent notamment que "souvent, la complexité des critères de sélection [des projets] ne cesse de croître, alors même qu’ils sont censés guider les membres du comité de programmation plutôt que de leur imposer des critères qu’ils ne comprennent pas toujours". Avec de multiples conséquences : non seulement "une certaine lourdeur dans le processus de décisions" et un "rôle du comité de programmation [qui] semble graduellement s’estomper", mais aussi le renforcement de "l’entre-soi des techniciens et leur isolement bureaucratique".
La gestion au détriment de l’animation
Là encore, non sans dommage : "Les procédures deviennent de plus en plus techniques et cela conduit progressivement les techniciens à s’éloigner de la logique du développement local […]. Le rôle classique d’un agent de développement [est] trop souvent délaissé par les techniciens Leader, trop occupés par des tâches administratives trop lourdes" est-il ainsi déploré. Pis, les auteurs pointent le fait que "dans de nombreux entretiens individuels, les animateurs pensent que ce n’est pas leur rôle d’initier des projets" – un constat d’autant plus mortifère qu’il est par ailleurs constaté que "les porteurs de projets candidatent principalement sur suggestion d’un technicien ou de membres du GAL".
La critique du poids de cette "technostructure" n’est pas nouvelle ; elle a encore été formulée il y a peu par la Cour des comptes européenne (voir notre article du 12 juillet 2022). Celle pointant "une tendance d’éloignement progressive de certains concepts fondamentaux du développement local" est plus redoutable, puisque la promotion de l’engagement local constitue l’un des principaux objectifs de Leader qui justifie en (grande) partie son mode d’intervention spécifique.
Impliquer davantage les acteurs locaux
Aussi les auteurs soulignent-ils "l’importance de recentrer le programme Leader sur les aspirations des territoires" et "d’impliquer davantage les acteurs locaux dans la définition des politiques et des projets". Et ce, d’autant qu’ils observent par ailleurs que "l’impact réel des financements est directement lié à la manière dont les fonds sont attribués et à l’implication des acteurs locaux dans la prise de décision". Non sans accréditer ainsi la valeur ajoutée du programme (voir notre article du 30 novembre 2023).
Concrètement, les auteurs recommandent aux GAL de tourner le dos à une "participation procédurale" – où les membres "sont là principalement pour voter sur les décisions préparées par [d]es techniciens" adaptant les projets de territoire aux normes administratives de Leader, "sans tenir compte des aspirations propres des territoires" –, pour lui préférer une "participation substantielle", dans laquelle "les idées et visions de développement sont concrétisées par les techniciens dans des propositions de projets", qu’ils doivent ensuite "traduire dans les normes de Leader". Ce que certains pratiquent déjà, l’étude mettant en avant la méthode du GAL Cœur du Jura, "où les membres participent activement à la révision des critères de sélection et à l’évaluation des projets".
Remotiver les troupes
Cette plus grande implication des membres des comités de programmation pourrait sans doute être un moyen de remotiver les troupes, alors que l’étude constate que "seul un tiers des GAL n’a jamais rencontré de problèmes pour atteindre le quorum lors des réunions du comité de programmation" et qu’un quart "rencontre des difficultés récurrentes à réunir le quorum". Un manque de motivation que peut également traduire le fait que "la pratique consistant à faire revenir un porteur de projet devant le comité de programmation existe, mais reste marginale" : peu importe le résultat, pourvu que la procédure ait été respectée, en somme.
Renforcer la formation pour favoriser la collaboration
Pour les auteurs de l’étude, ce "réinvestissement" nécessite un renforcement de la formation, tant des membres des comités de programmation que des techniciens – par ailleurs condamnés à se former sur le tas, "rares [étant] les formations qui préparent à occuper ces postes aux compétences particulières" –, notamment afin d’améliorer les interactions entre ces deux publics. Lesquelles ne sont pour l’heure pas toujours apaisées : "Il est arrivé que des élus accusent les techniciens de sur-application réglementaire comme principal obstacle. De la même manière, des techniciens reprochent aux politiques de ne pas respecter le cadre qu’ils se sont eux-mêmes fixé", est-il observé. Cette plus grande coordination permettrait peut-être de réduire le "turn-over important" des techniciens par ailleurs déploré, lequel est d’autant plus préjudiciable que l’étude met en avant "l’importance du rôle de l’animateur GAL" dans l’ensemble du processus.
Gare au saupoudrage
Sans exempter les GAL de leurs responsabilités, on relèvera au passage que les deux auteurs n’épargnent pas non plus les régions, en soulignant que certaines d’entre elles "imposent des justificatifs administratifs excessifs". Mais aussi en observant que "la volonté des autorités de gestion de couvrir tous leurs espaces ruraux avec des programmes" n’est pas sans conduire à un saupoudrage des moyens, avec une moyenne d’allocation de 2 millions d’euros par GAL. Avec pour autres conséquences, pointe l’étude, "une baisse de la qualité de sélection des programmes et peu d’incitations à avoir des pratiques plus vertueuses". De l’eau au moulin, fort contesté, de la région Aura, qui a fait le choix, pour l’actuelle programmation, de diviser par quatre le nombre de ses GAL (voir notre article du 13 octobre 2023).