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Programme Leader : des porteurs de projets au bord de la crise de nerf

Alors que les crédits du programme de développement rural Leader ne sont toujours pas parvenus sur le terrain, les porteurs de projets commencent à trouver le temps long. Le risque de devoir restituer les crédits non consommés à temps est bien réel, même si l'Etat, les régions et les associations s'activent pour rattraper le retard...

Deux ans après la validation du programme de développement rural français et presque quatre ans après le lancement de la programmation 2014-2020, les 340 pays et parcs naturels régionaux constitués en GAL (groupes d’action locale) n’ont toujours pas vu la couleur des crédits qui leur étaient destinés. Soit une enveloppe de 687 millions d’euros du programme Leader, correspondant à 5% du Feader (fonds européen agricole pour le développement rural). Alors que l’enveloppe aurait dû quasiment doubler par rapport à la programmation précédente, la déception est grande dans ces territoires de projets qui pouvaient ainsi escompter entre 1 et 2 millions d’euros chacun. "C'est assez catastrophique, on est bientôt au quatrième trimestre 2017 et le programme n'a pas véritablement démarré. Il y a des retards, des blocages, sans compter le fameux logiciel Osiris pour lequel l'Etat et les régions se renvoient la faute", s’époumone l’animateur d'un GAL de Nouvelle-Aquitaine, qui regrette aussi la complexité du système. "Le programme est devenu d'une complexité kafkaïenne ce qui décourage les porteurs de projets qui ont tendance à se démobiliser." Plus grave, la dynamique de territoire, qui faisait l’originalité de Leader, pâtit de cette désorganisation. "Ce n'est plus du tout un outil de développement local pour les territoires, c'est devenu une grosse machine."
Depuis plusieurs mois, les régions (désormais gestionnaires du programme), l’Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays, ou encore la fédération des GAL Leader France, alertent le gouvernement sur les difficultés de mise en œuvre : des problèmes concernant l'outil de paiement des aides confié à l’Agence des services de paiement (ASP), une insuffisance de moyens pour instruire les dossiers, des questions autour du cofinancement de l'Etat (voir ci-dessous nos précédents articles)… Aujourd’hui, elles alertent sur un risque majeur : devoir restituer les fonds à Bruxelles s'ils ne sont pas dépensés à temps. "Lors de la précédente programmation, 1,2 milliard d'euros (de fonds européens) ont ainsi été restitués", rappelle ainsi Michael Restier, directeur de l'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP). Ce que dans le jargon de Bruxelles, on appelle les "dégagements d’office".

Turn-over, démissions…

Beaucoup de territoires de projets ont dû faire appel à des avances de trésorerie ou aux banques pour faire face au retard. "Certaines régions, comme la Nouvelle-Aquitaine ou l'Occitanie, ont mis en place un système d'avances", explique en effet Michael Restier. Même si "cela reste marginal", d'après Thibaut Guignard, président de Leader France. D’après lui, des dizaines de projets ne verront pas le jour. Et on n’est pas loin de la débandade. Démobilisation, turn-over, démissions, voire dépressions… "Les porteurs de projets ne comprennent pas le dysfonctionnement et ne travaillent pas dans de bonnes conditions", estime le directeur de l'ANPP. Le président de la Fédération des GAL constate lui aussi le départ de techniciens qui étaient sans aucune visibilité de leur mission. "On a constaté ces derniers mois beaucoup de mouvements au sein de l'ingénierie dédiée à Leader dans les GAL et on peut penser que les nouveaux animateurs/gestionnaires auront besoin de formations. Ce qui pourra retarder encore la mise en œuvre", prévient Thibaut Guignard, sans pouvoir donner de chiffres. Le maire de Ploeuc-L'Hermitage (Côtes-d’Armor), parvient cependant à garder l’optimisme : "Les GAL sont des structures dynamiques et réactives ; ils n'ont pas arrêté de travailler."
Sur le terrain, on a en effet le sens de la débrouille : concentrer les avances de trésoreries pour les plus gros à projets GAL, taper à la porte des collectivités pour les plus petits...

"C'est encore faisable"

Au niveau national, une démarche collective menée par Leader France en partenariat avec Régions de France et l'AMF (Association des maires de France) a permis d'obtenir des améliorations concrètes suite au comité Etat Région de novembre 2016. Une rencontre a par ailleurs été organisée entre l'ANPP et l'ASP en juillet 2017, durant laquelle l'agence a livré un calendrier de déploiement des logiciels permettant la gestion, le calcul et le paiement des aides. L'ASP devait aussi former les agents des régions jusqu’au mois d’octobre. Les agents des structures porteuses de projet devront ensuite être formés par les régions, avec un accompagnement possible par l'ASP. L'ANPP reste toutefois "vigilante sur le suivi et la mise en œuvre de ces mesures". "Nous n'engagerons les projets qu'en 2018, avec quatre ans de retard (sur le début théorique de la programmation en 2014, ndlr) et quelques loupés concernant des pays européens qui se sont finalement tournés vers d'autres partenaires que la France pour leurs projets de coopération, explique Michael Restier. Nous n'avons encore rien perdu, il nous reste trois ans, c'est encore faisable."
Pour Thibaut Guignard, les équipes sont en place depuis 2016 dans la majorité des cas, les projets sont prêts et dès que les derniers obstacles administratifs seront levés, les dynamiques vont se lancer rapidement. "En fin de programme, les enveloppes seront sûrement consommées et des milliers de projets auront été financés grâce à Leader", insiste-t-il. Mais encore faut-il que les territoires disposent bien des ressources nécessaires, notamment en ingénierie, pour mettre en œuvre les projets de coopération. Dans 90% des cas, les GAL sont portés par des pays. Alors, "quand on casse les pays comme en région Auvergne-Rhône-Alpes, cela met à mal le programme Leader", dénonce Michael Restier.