Présidence française du Conseil de l'Union européenne : l'heure du bilan
La France a cédé la présidence du Conseil de l'UE à la République tchèque, vendredi 1er juillet. Retour sur ces six mois particulièrement mouvementés avec l'irruption de la guerre en Ukraine qui, paradoxalement, a permis des avancées inespérées dans certains domaines. Pour ce qui est des collectivités en revanche, la moisson est bien maigre.
Ce jeudi à minuit, la France a passé le flambeau de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne à la République tchèque. Une présidence qui se présentait sous les auspices du triptyque "puissance, relance, appartenance" mais dont l’agenda, déjà bousculé par le calendrier électoral, a été bouleversé par l’irruption de la guerre en Ukraine le 24 février, remisant au second plan la plupart des autres sujets. Si beaucoup ont été surpris par cette guerre aux marges de l’Union européenne, le discours d’Emmanuel Macron devant le Comité des régions, où il était venu présenter ses priorités pour la présidence française (PFUE ou PFCUE), le 1er décembre 2021, laissait déjà planer le spectre de l’ours russe (voir notre article du 2 décembre 2021). Mais des collectivités il n’avait pas été question. Mauvais présage ? Force est de constater que le bilan sur ce point est assez maigre, malgré la mobilisation des associations d’élus, en particulier du Parlement rural qui avait réussi à raccrocher le thème de la ruralité à l’agenda de la PFCUE, avec son cycle de rencontres sous la bannière "Ruralisons l’Europe". Las, il ne sera pas parvenu à imposer l’idée d’un Agenda rural européen pourtant un temps soutenu par Paris (voir notamment notre article du 14 juin 2022). Il faudra donc s’en remettre au Pacte rural de la Commission européenne dont les contours restent flous et les enjeux lointains (avec 2040 comme ligne d’horizon). Autre rendez-vous manqué : la Conférence pour l’avenir de l’Europe, à peine effleurée lors du Conseil européen des 23 et 24 juin, comme l’a amèrement fait remarquer le tout nouveau président du Comité des régions, le Portugais Vasco Alves Cordeiro (voir notre article du 30 juin 2022).
Nuages sur la politique de cohésion
Pourtant, Emmanuel Macron avait tenu à clore personnellement ce grand événement qui avait mobilisé quelque 800 citoyens pendant un an. C’était le 9 mai, devant le Parlement européen, avec ce qu’il avait appelé le "Serment de Strasbourg". Treize pays lui avaient alors coupé l’herbe sous le pied en s’opposant à toute réforme des traités (voir notre article du 9 mai 2022), ce qu’imposerait par exemple le passage à la majorité pour l’ensemble des décisions européennes (l’unanimité n’étant déjà plus requise que pour les questions sociales, fiscales et de politique étrangère). C’est cette règle de l’unanimité qui a par exemple permis à la Hongrie de mettre son veto, mi-juin, à la transposition dans le droit européen de l'impôt minimum de 15% sur les bénéfices des multinationales soutenue par le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Pour Budapest, c’est un moyen de faire pression sur la Commission qui lui a bloqué 7,2 milliards de subventions du plan de relance européen en raison d’une lutte insuffisante contre la corruption.
Au moment où la nouvelle programmation de la politique de cohésion se met en place, des nuages s’amoncellent, comme la possibilité qui serait offerte aux États membres d’y puiser jusqu’à 12,5% des crédits (ce qui vaut aussi pour le fonds Feader) afin de financer le plan énergétique de la Commission RepowerEU. Ce dont les régions se sont émues auprès du président du Conseil, en vain (voir notre article du 1er juin 2022). D’ailleurs, on a appris jeudi que la France allait perdre plus de 2 milliards d’euros sur l’enveloppe de 39 milliards d’euros initialement prévue dans le plan de relance européen, en raison d’une réactualisation des calculs fondés sur le PIB réel des Etats membres. Un trou qu’il faudra compenser… éventuellement avec les fonds de cohésion (voir notre article du 30 juin 2022).
Fonds social pour le climat
Bien sûr, ces six mois de présidence française ne se résument pas à ces échecs. Beaucoup de dossiers, et non des moindres, ont pu avancer, avec une accélération lors de la toute dernière semaine. En effet, les Vingt-Sept sont parvenus à une position commune, mardi, sur le paquet "Ajustement à l’objectif 55" de la Commission européenne (Fit for 55), qui vise à réduire de 55 % les émissions de CO2 d'ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990) avec, notamment la réforme du système d'échange de quotas d'émission de l'UE (Seqe), le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et le futur Fonds social pour le climat, destiné à soutenir les ménages, les micro-entreprises et les usagers des transports qui vont être touchés par ces grandes transformations à venir. Ce fonds a fait l’objet d’âpres discussions, les pays du Nord ayant tenté de le réduire à peau de chagrin. Il sera finalement doté de 59 milliards d’euros - moins que les 72 milliards d’euros envisagés initialement par la Commission - et sera abondé par 20% des recettes du Seqe avec un complément issu des recettes de ventes de quotas. "Le fonds sera constitué sur la période 2027-2032, coïncidant avec l'entrée en vigueur du Seqe pour les secteurs du bâtiment et du transport routier, avec éligibilité rétroactive des dépenses au 1er janvier 2026", précise le ministère de la Transition écologique. Les automobilistes retiendront surtout de ce paquet la fin des ventes de véhicules thermiques neufs (voiture ou camionnettes) à compter de 2035, même si une clause de revoyure est prévue pour 2026. Le Parlement n’a adopté que trois des cinq textes du corpus (voir notre article du 22 juin 2022). L’ensemble devra encore être conforté dans le cadre de trilogues (négociations finales entre le Conseil, le Parlement et la Commission).
Clauses miroirs... ou miroir aux alouettes
Autre priorité mise en avant par la PFCUE : le numérique. Là aussi le contrat est rempli avec le Digital Market Acts (DMA) censé mieux encadrer l’activité économique des grandes plateformes et le Digital Services Act (DSA) visant pour sa part à mieux contrôler les contenus illicites. La France a obtenu des avancées sur la réciprocité de l’accès aux marchés publics dans le commerce international, les salaires minimums adéquats, la "boussole stratégique" (feuille de route européenne en matière de sécurité et de défense)… Mais cette volonté d’autonomie stratégique est déjà contredite dans les faits par l’annonce de l’Otan, mardi, de porter ses forces à haut niveau de réaction à 300.000 hommes en Europe, sans demander son avis à l’UE. Ce qui n’a pas empêché la présidence française de clamer, dans son bilan, que la souveraineté européenne "n’est pas qu’un slogan" mais "un impératif". Lors du Conseil des 23 et 24 juin 2022, les États membres ont pu discuter de la proposition française de "communauté politique européenne" qui, selon les explications du président français, consiste à fournir un nouveau cadre de coopération sur la géopolitique, la défense, l’énergie, les infrastructures, la circulation des personnes… Une façon de se rapprocher de pays comme l'Ukraine et la Moldavie dont le processus d'adhésion risque d'être très long.
Paris nourrissait enfin de fortes ambitions en matière commerciale et agricole. Là encore, la guerre en Ukraine a changé la donne, en faisant surgir des menaces sur la souveraineté alimentaire. La France a pu avancer sur la question de la réciprocité des normes autour d’un "momentum politique" mi-février. "Tous les États membres ont reconnu qu’il fallait renforcer la cohérence entre le Pacte vert, la politique agricole commune et la politique commerciale de l’Union, dans le respect des règles de l’OMC", souligne-t-on dans l’entourage du nouveau ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Le principe de "clauses miroirs" est acté (un rapport de la Commission européen sur l’application des standards européens aux produits importés confirme la possibilité d'aller dans ce sens). Il reste à lui donner corps. Ce n'est pas le chemin pris par l’accord commercial conclu avec la Nouvelle-Zélande le 30 juin.