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Environnement - Pour mieux valoriser la forêt, le Cese fait feu de tout bois

Meilleure mobilisation des ressources disponibles, soutien aux investissements forestiers, dynamisation de la filière de transformation, renforcement des moyens de l'ONF, amélioration de la gouvernance... dans un avis voté ce 10 octobre, le Conseil économique, social et environnemental avance huit grandes pistes de valorisation de la forêt française.

Troisième pays le plus boisé de l'Union européenne avec plus de 25 millions d'hectares (16 en métropole et 9 outre-mer, principalement en Guyane), la France ne parvient pas à tirer correctement parti de cet "or vert" qui génère aujourd'hui un chiffre d'affaires annuel de 60 milliards d'euros et représente encore près de 450.000 emplois. Tout en rappelant le rôle essentiel de la forêt pour la préservation de la biodiversité et la grande diversité d'activités qui lui sont liées (économiques, touristiques, cynégétiques, sportives, scientifiques…), le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a voté ce 10 octobre un avis qui alerte les pouvoirs publics sur les difficultés de la filière forestière et propose des pistes pour mieux valoriser la forêt française.
Malgré tout son potentiel, la forêt accuse en effet un déficit de sa balance commerciale de 6 milliards d'euros, soit le deuxième poste pour la France après l'énergie, relève Marie de l'Estoile, sylviculteur dans l'Eure et rapporteure du projet d'avis au nom de la section de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation du Cese. En outre, les forêts privées, qui représentent 75% de la superficie forestière en métropole, souffrent d'un très grand morcellement – les trois quarts des quelque 3,5 millions de propriétaires possèdent moins de 4 hectares – et sont donc bien souvent sous-exploitées. De plus, les bois français, majoritairement issus de feuillus, ne correspondent pas toujours aux besoins actuels du marché. Les scieries, qui sont pourtant des maillons stratégiques de la filière de transformation du bois, connaissent un fort déclin. Faute d'investissements de modernisation suffisants, notamment dans les entreprises artisanales, elles souffrent d'un déficit de compétitivité au niveau européen. Résultat : on importe de plus en plus de bois transformés, qui génèrent la plus forte valeur ajoutée.

Un fort climat d'incertitudes

La situation est d'autant plus préoccupante que la filière, insuffisamment structurée, va devoir faire face à de profonds changements. "Le développement du recours au bois, notamment pour la production d'énergie et dans le secteur de la construction, va exiger d'augmenter la production, souligne le Cese. Il s'agit d'abord de mobiliser durablement les bois disponibles et de veiller au renouvellement des parcelles exploitées. Des conflits d'usage découlant de l'augmentation de la demande et de la montée en puissance de nouveaux types d'usage comme le bois-énergie ne sont pas à exclure dans un avenir proche". A ces tensions sur la demande s'ajoutent les incertitudes liées au changement climatique qui compliquent le travail des forestiers lorsqu'ils doivent choisir les essences et les modes de gestions sylvicoles propres à répondre dans plusieurs décennies aux attentes fluctuantes des consommateurs.
"Pour autant, rendre la forêt française plus productive ne doit pas se faire au détriment de ses autres missions écologiques, sociales et environnementales, insiste Marie de l'Estoile. C'est donc en ce sens qu'il faut faire évoluer l'ensemble de ses modalités de gestion et d'exploitation".
Le Cese formule pour cela huit grandes orientations déclinées en une trentaine de propositions concrètes. La première de ces orientations consiste à "pérenniser la forêt et la gérer de manière durable". Dans cette optique, le Cese propose notamment aux propriétaires de se regrouper au sein d'organisations de producteurs et de généraliser les documents de gestion durable qui ne sont obligatoires aujourd'hui que pour les forêts de plus de 25 hectares, en les adaptant pour les plus petites propriétés. Pour pallier la disparition depuis 2008 du Fonds forestier national, il réclame aussi la création du Fonds de mobilisation de la forêt, prévu par le Grenelle de l'environnement, afin de soutenir les investissements permettant d'augmenter la production forestière et de mettre en œuvre un autre engagement du Grenelle concernant le financement des pratiques sylvicoles à faible impact écologique. Pour dynamiser la filière bois et favoriser l'usage des bois locaux, il préconise notamment de soutenir les scieries artisanales en les encourageant à mutualiser les équipements les plus onéreux tels que les unités de séchage, par exemple. Il estime en outre nécessaire de réaffirmer une hiérarchie claire entre les différents modes de valorisation – bois d'œuvre, bois matériau, bois énergie – et ce afin de pouvoir identifier de manière optimale les ressources disponibles au niveau de chaque territoire. Pour soutenir les PME à même de transformer les bois locaux, le Cese préconise de déployer au niveau des grands massifs des stratégies de développement de filières régionales intégrées car selon lui, "les aides et autres formes de soutien public seraient plus efficaces si elles portaient sur des projets concertés associant l'ensemble des acteurs de l'amont à l'aval, plutôt que sur des actions à caractère ponctuel, limitées à une entreprise". Autre mesure jugée urgente : qualifier et normer les bois français pour développer leur utilisation dans la construction – actuellement, faute de bois normés, 80% des maisons à ossature bois sont réalisées avec des bois importés, a rappelé Marie de l'Estoile. La réglementation des marchés publics pourrait aussi être adaptée pour faire de la provenance des bois un critère de sélection.

Pour des politiques concertées par massif

Selon le Cese, la valorisation de la forêt devrait également passer par une meilleure prise en compte des aspects sociaux de la filière, en pérennisant les emplois existants, et en favorisant le recrutement d'une main d'oeuvre qualifiée. Le Conseil propose aussi de mener des campagnes d'information, à commencer par le milieu scolaire, pour mieux faire connaître les enjeux de la forêt auprès du grand public, d'intensifier les efforts de recherche et d'innovation et de mettre en oeuvre des actions spécifiques en faveur des forêts ultramarines. Il insiste également sur la nécessité de renforcer les missions de service public et les moyens de l'Office national des forêts (ONF) – voir notre encadré ci-dessous – "pour une gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques". Non seulement les moyens humains et financiers de l'Office doivent être mis à niveau des missions de service public exercées mais la gouvernance et la concertation territoriales doivent être renforcées, notamment pour la gestion des forêts communales, de même que le dialogue social, afin d'améliorer les conditions de travail des agents et de prévenir les risques psycho sociaux. Enfin, il propose de renforcer la gouvernance de la filière aussi bien au niveau national que régional. Il demande ainsi la création d'un ministère délégué dédié à la forêt, rattaché au ministère de l'Agriculture, "pour conduire une politique cohérente indispensable pour la filière" et un rapprochement - puis, à terme, une fusion - entre les deux interprofessions amont et aval. Il faudrait aussi engager une réflexion pour renforcer et dynamiser la gouvernance locale de la filière, insiste-t-il. "Le rôle des collectivités territoriales, notamment des régions, auxquelles les lois de décentralisation ont accordé des responsabilités importantes en matière de développement économique doit être accru", souligne-t-il. Il se dit favorable à la mise en œuvre de politiques concertées par massif et juge utile d'engager une réflexion sur l'intérêt de la création d'agences de massif, à l'instar des agences de l'eau qui oeuvrent au niveau des bassins. 

 Anne Lenormand

Réforme de l'ONF : les communes se mobilisent en faveur des agents forestiers

A l'aube de la cinquantaine, l'Office national des forêts (ONF) se cherche une seconde jeunesse. Affaibli par un mauvais climat social, l'opérateur se réorganise en misant sur la maîtrise des coûts. Ce mammouth de près de 10.000 employés, en majorité des fonctionnaires, a choisi d'alléger ses effectifs de 1,5% par an. Pour faire passer la pilule, le contrat d'objectifs Etat-ONF 2012-2016 prévoit d'intéresser les agents aux économies réalisées par le biais d'une indemnité. Malgré cela, la grogne sociale se poursuit. Pour protester contre les coupes claires appliquées aux effectifs, les syndicats ne sont pas les seuls à se manifester. Les communes forestières aussi veillent au grain. Selon le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel (Snupfen Solidaires), plus de 2.200 communes ont pris une délibération en vue de soutenir les personnels de l'ONF dans leur lutte pour la défense du régime forestier. Elles sont en plus grand nombre dans certaines régions - en Alsace, en Bourgogne, en Champagne-Ardenne, en Franche Comté, en Lorraine et en Poitou-Charentes.

Morgan Boëdec / Victoires Editions