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Décentralisation - Pour l'ARF, l'Etat fédéral n'est plus tabou

Les régions, décomplexées par la préparation du deuxième projet de loi sur la décentralisation, se sentent pousser des ailes et évoquent désormais ouvertement leur projet d'Etat fédéral...

On l'appelle parfois la "méthode Monnet". La politique des petits pas. Pour ceux qui se demandent ce sur quoi va déboucher le nouveau projet de loi sur la décentralisation, l'Association des régions de France (ARF) a sa réponse. C'est une "petite révolution qui semble se préparer, un véritable acte 3 de la décentralisation", a savouré Alain Rousset, le président de l'ARF, lors de ses vœux à la presse, le 29 janvier. Selon lui, une "vraie décentralisation" doit reposer sur trois impératifs : une efficacité de l'action publique, une économie dans la gestion des moyens publics et le contrôle de l'action publique. Or pour le président de l'ARF, l'efficacité passe avant tout par les régions. Le discours est bien huilé, celui sur les fameux doublons entre l'Etat et les régions, en particulier dans le domaine économique… D'habitude, il est assorti d'un couplet sur le jacobinisme mortifère. Mais à la question d'un journaliste qui lui demandait comment il réagissait à la tribune publiée par le président de la région Ile-de-France, Jean-Paul Huchon, dans Les Echos du 28 janvier, intitulée "Nous devons nous diriger vers un Etat fédéral", Alain Rousset a été on ne peut plus clair : "Positivement." "La France sera un Etat fédéral, comme l'Allemagne, l'Italie...", a-t-il lâché. Ce n'est pas rien, car c'est la première fois que le projet est annoncé officiellement. Comme si la conférence de presse de François Hollande, le 14 janvier, avait fait sauter un verrou, ouvrant la voie à l'Europe des régions. Discours loué dans sa tribune par Jean-Paul Huchon pour qui le président de la République a dit "sa confiance aux collectivités, et en particulier aux grandes agglomérations et aux régions, pour agir sur la dynamique de leur économie et résorber les fractures territoriales". "Dans un pays comme le nôtre, où l'Etat fit la nation et non la nation l'Etat, 'fédéral' est un peu un gros mot", y écrit-il.

"Illusion d'égalité"

Alain Rousset a renchéri sur ce terrain : l'Etat doit se concentrer sur ses missions régaliennes, la justice, la police… Il faut "aller au-delà des mots", a-t-il ajouté, "allons jusqu'au bout des blocs de compétences". Les régions s'occuperaient du cadre de vie (aménagement, transport, environnement) et du parcours de vie (éducation, formation, développement économique), précise Jean-Paul Huchon, dans sa tribune.
Mais créer un Etat fédéral requiert deux préalables pour les régions : un pouvoir réglementaire (c'est-à-dire rendre leurs schémas prescriptifs) et une autonomie fiscale. Ce chantier pourrait être amorcé avec les Assises de la fiscalité. Un groupe auquel participe le président de Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne a ainsi été chargé de mener une réflexion sur la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) qui a remplacé en partie la taxe professionnelle. Il devrait remettre ses conclusions d'ici trois mois. Alain Rousset en a profité pour qualifier la CVAE d'"usine à gaz" ayant failli braquer les régions "les unes contre les autres". Il s'en est à nouveau pris au paradoxe de la TIPP dont, mécaniquement, le produit diminue quand le ferroviaire se développe…
A qui s'inquiéterait d'un creusement des inégalités territoriales du fait de cette régionalisation, Alain Rousset rétorque qu'on vit aujourd'hui dans "une illusion d'égalité". "La décentralisation a sauvé les TER, les lycées professionnels, la plupart des PME et on vient dire qu'on remettrait en cause l'égalité républicaine ?", a-t-il ironisé.

Régionaliser l'éducation

Se sentant pousser des ailes, les régions vont jusqu'à évoquer une régionalisation de l'éducation. Alain Rousset a mis les piètres résultats de la récente étude Pisa sur le dos d'un manque de décentralisation de l'éducation. Pour lui, l'avenir passe par "l'école inversée". Une théorie qui nous vient tout droit des Etats-Unis (en anglais : "flipped school"). Si le "robot lycéen" de la région Rhône-Alpes ne vous a pas rassuré, il faudra vous y faire. Dans le monde de l'école inversée, "le professeur ne fera plus le cours", nous dit Alain Rousset. Les élèves visionneront des cours préenregistrés, de chez eux ou dans les transports, grâce aux tablettes que la région leur aura achetées… Le président de l'Aquitaine a aussi effleuré l'idée d'universités fédérales et d'un recrutement des professeurs par les régions : "Je pense que cela arrivera", a-t-il dit, à rebours du débat qui agite aujourd'hui la Suède. Après avoir décentralisé l'éducation, on y parle aujourd'hui d'un retour dans le giron de l'Etat... précisément à cause des mauvais résultats obtenus dans l'enquête Pisa.
Interrogé sur l'ouverture à la concurrence du rail, Alain Rousset ne s'y est pas opposé. "Il appartient à l'Etat et au Parlement de dire si on ouvre à la concurrence et sur quel modèle", a-t-il déclaré (sur le sujet voir encadré ci-dessous).
La communication de Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l'Etat et de la Décentralisation, le même jour en Conseil des ministres, semble aller dans le sens des régions (voir ci-contre notre article du jour :"Marylise Lebranchu : une deuxième étape pour "poursuivre la rationalisation"). Jean-Paul Huchon a cependant appelé à être "extrêmement vigilant" vis-à-vis de la métropolisation. Selon lui, la loi à venir va être "pour les régions". Et d'assurer : "Nous sommes les seuls garants de la solidarité."

Michel Tendil 

Plusieurs régions intéressées par la libéralisation des TER, selon l'opérateur Arriva
Les régions sont-elles prêtes à expérimenter une mise en concurrence des TER de la SNCF avant même la libéralisation du secteur ? A en croire l'opérateur britannique Arriva, filiale de la Deutsche Bahn, la réponse est oui. "Nous avons eu des contacts avec cinq régions aux profils très différents", a indiqué Keith Bastow, responsable du développement pour Arriva en France, dans un entretien au site d'information spécialisé Mobilicités le 28 janvier. "Certaines régions regardent avec un grand intérêt nos propositions. De là à dire si des décisions seront prises avant les régionales de 2015, c'est un peu tôt pour l'affirmer", a-t-il ajouté, sans préciser de quelles régions il s'agit.
Selon Keith Bastow, "le sujet qui revient à chaque fois dans nos discussions, c'est le manque de transparence (de la SNCF). Ma réponse est simple : si vous voulez plus de transparence, si vous voulez comparer, ouvrez votre marché".
Arriva a récemment fait part de son souhait de venir concurrencer les TER de la SNCF en France dès 2016, en mettant en place des projets pilotes sur les lignes régionales ouverts aux opérateurs qui le souhaitent. "Dans notre étude, nous proposons un calendrier qui liste les différentes étapes. Il faut compter environ deux ans entre le moment où une région s'engage et la mise en oeuvre réelle du changement d'opérateur", a précisé le représentant d'Arriva.
Dans la foulée de l'opérateur britannique, le Français Transdev avait, lui aussi, prôné une "ouverture à la concurrence de manière expérimentée avant 2019". La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) a également demandé la mise en oeuvre de ces expérimentations d'ici 2016, "sous forme de délégation de service public". "Outre la diminution des coûts, les nouveaux entrants devront apporter des démarches innovantes en matière d'organisation du transport et de services par exemple", a-t-elle plaidé.
La Commission européenne entend rendre obligatoire la mise en concurence des lignes intérieures de voyageurs en 2019 dans tous les Etats membres. En France, le ministère des Transports avait indiqué ne pas souhaiter anticiper sur le calendrier prévu. A.L.