Pour faire face au défi démographique, le Comité des régions juge "primordial d’adopter une attitude positive" envers l’immigration

À côté des transitions numérique et écologique, le Comité européen des régions insiste une nouvelle fois, dans l'édition 2024 de son "rapport sur l’état des régions et des villes de l’UE", sur l’importance du défi démographique, auquel sont particulièrement confrontés les territoires ruraux. Pour y faire face, il juge essentiel d’adopter une politique migratoire "flexible et dynamique". Il attire également l’attention sur les potentielles répercussions du futur élargissement de l’UE, auquel il est favorable, sur la PAC (qu’il entend par ailleurs "régionaliser") et la politique de cohésion. Laquelle devrait selon lui, entre autres, se faire plus "sensible aux spécificités locales" et intégrer la transition juste.

Alors qu’en France, dans la foulée des déclarations du ministre de l’Intérieur, le débat fait rage sur le fait de savoir si l’immigration est ou non "une chance pour la France", le Comité européen des régions (CdR) a un avis très tranché en la matière : "Les changements démographiques, tels que la baisse des taux de natalité et le vieillissement de la population, nécessitent plus qu'une simple augmentation de [l’immigration]* : une politique migratoire flexible et dynamique est essentielle. Il est primordial d’adopter une attitude positive à l’égard de [l’im]migration." La position est exprimée dans l’édition 2024 de son rapport sur l’état des villes et des régions et de l’UE, publié ce 7 octobre, en ouverture de la 22e semaine de l’UE des villes et des régions.

Le défi démographique…

Le CdR voit notamment dans l’immigration une réponse au "piège de développement des talents" auquel sont prises de nombreuses régions de l’UE "en raison d’un manque de travailleurs qualifiés et de diplômés pour pallier les effets du vieillissement et de la diminution de la main-d’œuvre", et plus largement à la crise démographique qui affecte l’UE. Une fuite des cerveaux ("Brain Drain") et un déclin démographique qui frappent singulièrement les territoires ruraux de l’UE (France comprise), alors que, estime le CdR, "d’ici à 2033, 30 millions de personnes auront quitté l’Europe rurale par rapport à 1993". Des territoires qui cumulent les difficultés – entre autres affres, sont pointés la chute des exploitations agricoles et plus encore le déclin des "jeunes fermiers" –, lesquelles pourraient se traduire par un chiffre : le revenu moyen des ménages vivant dans les territoires ruraux "éloignés" est inférieur de 87,5% à celui des ménages vivant dans les aires urbaines, souligne le CdR.

… en plus des autres dans les territoires ruraux

Car, outre le défi démographique, nombre de ces territoires sont singulièrement confrontés : d’une part, aux défis de la transition numérique, alors que "9% des ménages ruraux ne sont desservis par aucun réseau fixe à large bande" (et alors que, selon le rapport Draghi, "l'innovation et ses avantages ont également tendance à s'agglomérer dans quelques zones métropolitaines") ; d’autre part, aux "conséquences socio-économiques de la transition vers une énergie propre", singulièrement ceux dont l’économie régionale dépend d’un seul secteur affecté par la transition verte, comme les industries à forte intensité énergétique ou les "régions automobiles". Le CdR plaide en conséquence pour intégrer dans la politique de cohésion le soutien à une transition industrielle et environnementale. Il renouvelle par ailleurs son vœu, exprimé l’an passé d’introduire, un "tableau de bord de la vulnérabilité territoriale" qui permettrait à cette politique – et plus largement au prochain budget pluriannuel – d’être "beaucoup plus sensible aux spécificités locales". Une politique de cohésion dont le CdR souhaite qu’elle se fasse par ailleurs "plus prospective et anticipatrice", en rappelant que le récent rapport Letta (voir notre article du 25 avril) a mis en avant "son rôle clef pour le marché unique".

Après sa "renationalisation", la régionalisation de la PAC ?

Dans la même logique, le CdR recommande que le "pacte vert 2.0" – exercice à haut risque alors que son devancier semble avoir nourri l’euroscepticisme dans les territoires ruraux – permette aux régions et villes de "concevoir et de gérer leurs propres parcours de transition", en fonction de leurs atouts et besoins, en renonçant à une approche prêt-à-porter "d’une même taille pour tout le monde". Il suggère de même une "véritable stratégie européenne incluant les villes et régions comme partenaires" – alors que "le déclin de l'influence économique de l'Europe dans le monde a également un impact" sur ces dernières –, en mettant notamment en avant la nécessité d’un "marché de l’énergie transfrontalier intégré" ainsi que d’une rationalisation des procédures régissant les "projets importants d’intérêt européen communs" (Piiec). Il demande encore le renforcement du rôle des régions dans la gouvernance de la politique agricole commune, "fondée sur des stratégies régionales pour la sécurité alimentaire et le développement rural". 

Le défi de l’élargissement

Reste à savoir ce qu’il adviendra de ces politiques "historiques" de l’UE dans le nouveau cadre financier pluriannuel – lequel, insiste le CdR, devra pleinement appliquer le principe consistant à "ne pas nuire à la cohésion". Et ce, alors que se profile, en outre, un nouvel élargissement de l’UE. Pour le CdR, qui y est favorable, ce dernier ne constitue rien de moins que l’un des "trois grands défis" auxquels les territoires ruraux vont devoir faire face à l’avenir. Conscient que "les régions, villes et municipalités utilisent les fonds de la PAC de et la politique de cohésion pour améliorer la disponibilité des services et infrastructures non agricoles dans les territoires ruraux", notamment via Leader – en précisant que "de bonnes conditions de vie et de travail dans les zones rurales sont une condition préalable à une agriculture durable dans l'UE" –, il concède que cet élargissement "pourrait avoir un effet négatif sur l’éligibilité de certaines régions bénéficiant aujourd’hui des fonds de la politique de cohésion et de la PAC". Sans compter "le risque de pratiques commerciales déloyales ou de dumping social", qui doit selon lui "être pris en compte, reconnu et appréhendé". Risque non négligeable, alors qu’une harmonisation des pratiques européennes est déjà régulièrement revendiquée par les agriculteurs français, au point que l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie avait même fait vœu de "combattre systématique les distorsions de concurrence au sein de l’UE" lors de la dernière présidence française de l’UE.

Paysage mondial (et local) turbulent

Autant de challenges qui seront d’autant plus malaisés à relever que "les régions et les villes ne sont pas à l'abri des défis de l'adaptation à un paysage mondial turbulent où les plaques tectoniques de la géopolitique semblent se déplacer quotidiennement de manière nouvelle et inattendue", est-il souligné, tout juste un an jour pour jour après les attentats perpétrés en Israël par le Hamas. Le CdR observe par ailleurs que "l'augmentation de la violence induite par la haine et des crimes contre des individus et des groupes, y compris des représentants élus aux niveaux local et régional, en particulier via les médias sociaux, sont des signes inquiétants d'une vague antidémocratique". Et de considérer, dans ce contexte, qu’"il est plus que jamais essentiel de dialoguer avec ceux qui ont perdu confiance dans les gouvernements et qui ne participent pas aux élections". Et, sans doute aussi, de prêter une oreille attentive à ceux qui y participent encore.

* Dans son rapport, le CdR n’emploie jamais le terme d’"immigration", mais seulement de "migration".