Pas d’élargissement sans réforme de la PAC, plaide le Comité économique et social européen

Dans un avis exploratoire, le Comité économique et social européen se montre favorable au futur élargissement de l’Union, tout en soulignant qu’il implique de réformer la politique agricole commune d’une part, et de conduire préalablement des réformes foncières chez les pays candidats d’autre part afin de conjurer le spectre de l’accaparement des terres et de la disparition des petites et moyennes exploitations. Une réforme qui impliquera également que certains États membres mettent davantage au pot.

Pas d’élargissement de l’UE sans réforme de la PAC et sans réforme foncière chez les pays candidats. Ainsi est résumée la teneur de l’avis exploratoire sur l’élargissement et le secteur agroalimentaire de l’UE que la Commission européenne avait demandé au Comité économique et social européen (Cese) et que ce dernier a adopté en séance plénière le 10 juillet dernier.

Un élargissement approuvé

Pour le Cese, les précédents élargissements "dessinent un parcours jalonné de réussites". C’est selon lui le cas avec l’élargissement de 2004 – "Les nouveaux États membres ont enrichi la diversité de l’agriculture dans l’Union européenne et, sur les vingt dernières années, les pays concernés ont triplé la valeur de leur production agricole" –, même s’il observe que "les zones rurales en situation de faiblesse ont tiré de ce processus un profit bien moindre que les agglomérations". Et le prochain ne devrait selon l’institution pas déparer, puisqu’il devrait constituer "un gain net" pour l’UE. 

"En comparaison des exportations de biens industriels et de services de tout type vers les marchés qui se seront nouvellement ouverts, c’est sous un jour bien modeste qu’apparaîtront non seulement les importations de céréales ukrainiennes, telles que redoutées aujourd’hui, mais aussi la charge budgétaire résultant du gonflement des fonds structurels et fonds d’investissement", estime-t-il ainsi. 

Mais aussi au regard du seul volet agricole, notamment parce que l’extension de la surface agricole de l’UE d’un tiers (d’un quart rien qu’avec l’Ukraine) que l’élargissement induirait offrirait à cette dernière "des possibilités de conforter plus avant son autonomie stratégique et de réduire encore l’empreinte environnementale du secteur", notamment via "le captage du carbone et la production biologique". En l’espèce, avec un sérieux bémol, le Cese observant qu’avec la guerre, l’Ukraine "pourrait s’avérer incapable de parvenir à respecter les normes environnementales de l’UE à moyen terme, en raison de la pollution de l’eau, de l’air et des sols qui l’affectent et d’un manque de moyens de productions adéquats".

Le Cese estime encore que "de solides arguments économiques plaident en faveur de telles extensions, dans la mesure où les pays candidats offrent aux produits agricoles européens des marchés supplémentaires". Et ce même si "les productions ukrainiennes entreront en concurrence avec celles qu’assurent actuellement les agriculteurs de l’Union". À dire vrai, c’est déjà le cas – contraignant naguère l’UE à mettre en place un "mécanisme de sauvegarde renforcé" (v. notre article du 2 février). Ce dont le Cese convient : "Le processus d’intégration a déjà commencé, dès lors que l’Union européenne a ouvert ses marchés aux produits agricoles des pays candidats, créant ainsi, au détriment de ses États membres, de possibles handicaps."

Mais nécessité de réformer la PAC et ses contributions…

Souhaitable, ce nouvel élargissement – "qui diffère de tous les précédents en ce qu’il se produira dans une situation exceptionnelle, qui résulte des circonstances géopolitiques actuelles" – ne devrait cependant pas être réalisé sans condition. Pour le Cese, les pays candidats ne pourront ainsi "adhérer sans une augmentation du budget de la PAC". Une direction qui lui semble néanmoins escarpée : "Dès lors que l’Union devra assumer d’autres tâches, dont certaines seront inédites, il ne sera pas possible de maintenir à son niveau actuel la part de son budget qui est affectée à la politique agricole commune." En conséquence, le Cese d’avertir : "Les États membres qui sont actuellement des contributeurs nets [liste qui pourrait s’allonger…] doivent être prêts à verser à l’Union européenne une part plus importante de leur PIB lors de la nouvelle période financière." Rejoignant ici les "prédictions" de Victor Orban (v. notre article du 14 mai).

Mais au-delà de ces contributions, le Cese plaide pour "remanier plus avant la PAC", notamment "pour en finir avec un financement uniforme par hectare", lequel "ne reflète pas la réalité écologique, ni ne fournit un soutien équitable d’un point de vue social". Non sans rejoindre le Comité européen des régions (v. notre article du 21 juin), il propose de "substituer progressivement à l’actuelle aide de base au revenu, fondée sur les surfaces, des incitants financiers récompensant les services rendus dans le domaine environnemental, ainsi que des paiements dégressifs, des plafonnements obligatoires ou des majorations pour les premiers hectares". Une PAC qui serait toutefois à deux vitesses, puisque "les petites et moyennes exploitations familiales devraient avoir la possibilité d’opter pour le maintien d’une aide au revenu fondée sur les paiements à la surface et sur les unités de travail à la ferme". L’objectif étant, pour le Cese, de "maintenir la structure que l’agriculture présente actuellement dans l’Union européenne, laquelle compte aujourd’hui une proportion élevée de fermes familiales (94,8% en 2020) et d’exploitations de petite taille (dans 76% des cas, elles gèrent moins de dix hectares)" – pour peu que l’on trouve des repreneurs aux exploitants partant en retraite… (v. notre article du 29 février).

… et de réformes foncières préalables chez les candidats

Redoutant "l’exacerbation de la spéculation foncière et les phénomènes d’accaparement des terres", le Cese recommande que des réformes foncières soient pleinement appliquées chez les candidats avant leur adhésion. Il insiste sur "les risques qu’une adhésion précipitée recèle pour les agriculteurs des pays candidats […], non seulement pour leur secteur agricole mais aussi leurs zones rurales considérées dans leur ensemble", et plus largement chez les membres de l’UE, puisqu’il juge également que l’élargissement "pourrait aboutir à la disparition des exploitations agricoles familiales, que ce soit dans le périmètre actuel de l’Union européenne ou dans les pays qui y adhéreront dans le futur". 

Pour l’heure, les situations sont très disparates. Si "les pays candidats du sud-est de l’Europe se caractérisent par le faible volume et l’atomisation de leurs productions, et la taille moyenne des exploitations s’y échelonne de 1,2 à 6,2 hectare", et si 80% des fermes ukrainiennes "présentent une superficie inférieure à 120 hectares et écoulent leur production sur le marché domestique" (mais ne couvrent que 25% de la surface agricole), le rapport met en relief "l’existence de très grandes exploitations, en prise directe sur le marché mondial : celles de 15.000 à 50.000 hectares sont monnaie courante dans le pays, et la surface moyenne exploitée y atteint environ 96 hectares, contre 17 hectares dans l’Union européenne". Et d’agiter le fait que "les oligarques et les grandes firmes agroalimentaires exercent à présent le contrôle sur plus de 28% de la surface cultivable ukrainienne", reprenant ici les travaux de l’Oakland Institute (v. notre article du 23 février 2024), fondé et dirigé par Anuradha Mittal.

 

 

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