Politique de cohésion : le Comité des régions montre les dents
Dans un avis corédigé par son président et le président de sa commission Coter, le Comité des régions vient une nouvelle fois défendre la politique de cohésion. S’il concède que la réforme de cette dernière est nécessaire, pour l’axer davantage sur les performances et la rapprocher du Semestre européen, il plaide pour la repolariser sur ses objectifs et principes historiques, s’opposant à une "congestion des priorités" et à la fragmentation des fonds. Plus encore, il montre les dents face à toute tentative de centralisation.
Si les craintes d’une absorption de la politique de la cohésion dans un portefeuille plus large sont désormais écartées, celles de son éventuelle centralisation demeurent (voir notre article du 24 juin). En témoigne l’audition musclée réservée au commissaire qui en sera dorénavant chargé, Raffaele Fitto, accusé d’avoir succombé à la tentation en Italie – ce dont il se défend. Aussi le Comité européen des régions (CdR) montre-t-il désormais les dents. Dans un avis-cadre adopté en séance plénière le 20 novembre dernier, ses rédacteurs – deux figures de l’institution : son président, Vasco Alves Cordeiro, et le président de la commission Coter, Emil Boc – indiquent clairement que le CdR "se tient prêt à explorer tout moyen juridique (…) pour bloquer toute tentative en ce sens".
Feu vert pour une politique davantage axée sur les performances, sous conditions
Les auteurs reconnaissent qu’une réforme de cette politique est nécessaire, mais pour "voir ses objectifs et principes renforcés plutôt que dilués". S’ils conçoivent ainsi "fort bien" que la politique de cohésion puisse être "davantage axée sur les performances" – à l’image, en théorie du moins, de la facilité pour la reprise et la résilience –, tout en soulignant que cette approche ne constitue nullement "une panacée", ils y posent toutefois plusieurs conditions. Avant tout, "que le modèle de gestion partagée, la gouvernance à plusieurs niveaux et le principe de partenariat restent les principes directeurs de cette politique". Mais aussi que ce nouveau modèle "apporte une simplification et une efficacité accrues" et offre aux autorités de gestion "un degré raisonnable d’autonomie".
Rapprochement avec le Semestre européen, sans trop serrer les liens
De même, si le Comité "reconnaît la logique qui sous-tend la poursuite de l’intégration de la politique de cohésion dans le Semestre européen", il recommande "une approche très prudente pour ce qui est de lier le financement de [cette politique] aux réformes structurelles" – tendance en vogue. "Vivement opposé (…) à l’approche ‘de la carotte et du bâton’ reliant politique de cohésion et gouvernance économique européenne", le Comité prévient que le pacte de stabilité et de croissance ne devra "en aucun cas restreindre l’accès aux fonds de la politique de cohésion".
Aider tout le monde, "y compris" les nécessiteux
Autres spectres que le Comité entend chasser, la transformation de la politique de cohésion "en instrument d’atténuation des crises" (également redoutée par la Cour des comptes européenne) d’une part, et en palliatif de l’action nationale d’autre part – le CdR pronant ici le rétablissement du principe d’additionnalité. Le Comité rappelle que la convergence économique et l’égalité des chances doivent rester au cœur de cette politique, en visant le développement de tous les territoires de l’Union. "Y compris ceux qui accusent actuellement un retard", alors qu’il est observé que la concentration croissante des activités économiques dans les régions métropolitaines et les grandes villes – phénomène également mentionné par le rapport Draghi, ici totalement ignoré –, "s’est souvent produite au détriment d’autres territoires" (pour autant, le CdR estime que "toutes les régions devraient continuer d’être éligibles à un financement").
"Pièges de développement", un concept à éclaircir
Pour preuve, les auteurs relèvent que le neuvième rapport sur la cohésion a mis "en lumière l’apparition, la persistance et, dans de nombreux cas, l’accroissement des inégalités régionales" et le fait qu’ "un nombre non négligeable de régions (…) tombent dans des ‘pièges de développement’" (notion apparue pour la première fois dans le huitième rapport). Un concept que la Commission est d’ailleurs invitée à éclaircir, "afin d’éviter le risque d’exploitation politique et de controverse", mais aussi "d’en évaluer soigneusement les implications sur le système actuel de classification des régions". Et d’indiquer que le rapport du "groupe de spécialistes de haut niveau" sur l’avenir de cette politique (voir notre article du 23 février) "démontre clairement que l’amélioration de la compétitivité globale de l’Europe (…) nécessite également que soit exploité [le potentiel] de ses régions les moins développées".
Qui trop embrasse…
Déplorant également "une dérive vers une 'congestion des priorités'", les auteurs mettent en garde contre la volonté de "répondre à un trop grande nombre de priorités dans une logique de plus en plus sectorielle", dont pourrait "résulter une confusion et une mise en œuvre inefficace des programmes". Favorable à une "rationalisation de l’architecture du prochain cadre financier pluriannuel", le CdR plaide à nouveau pour une harmonisation des règles entre les fonds et un cadre stratégique unique, jugeant au passage "essentiel que le Feader soit programmé et mis en œuvre au même niveau régional que les fonds structurels". "La fragmentation actuelle des instruments de financement reste un obstacle à l’efficacité des dépenses", est-il encore souligné. Le CdR plaide ainsi pour que le fonds pour une transition juste, dont le champ d’application devrait selon lui être élargi, vienne "compléter le Feder et le FSE". Et il s’oppose à la création de nouveaux fonds sectoriels, visant singulièrement le nouveau fonds pour la compétitivité.
Un budget global maintenu, l’accent mis sur la coopération
Côté budget, le CdR plaide là-encore pour revenir à l’essentiel, incarné selon lui par la "coopération territoriale européenne". Il demande que ce volet représente à l’avenir "au moins 8% du budget total" affecté à la politique de cohésion, et que le budget alloué au volet "coopération transfrontalière" soit "au moins doublé". Le tout avec un budget global très ambitieux, puisqu’"au moins équivalent en termes réels" à celui de l’actuelle programmation, inclus "le complément React-EU". Autre vœu (pieux ?) : que le futur élargissement "ne crée aucune perturbation financière" d’ici la fin de la période 2028-2034.