Polices municipales : la course à l’armement ?

Après la décision récente du maire de Bordeaux d’armer une partie de sa police municipale, le maire de Lyon a annoncé mercredi 11 décembre son intention d’augmenter le nombre de caméras de vidéoprotection dans sa ville. Une "course à l’armement" notamment justifiée par l’exacerbation de la violence à laquelle font face des policiers municipaux par ailleurs très courtisés. Mais dont certains peinent toutefois à voir leur régime indemnitaire revalorisé...

"La société est plus violente, il faut être d’une grande candeur pour l’ignorer", déclarait le 18 novembre dernier, à L’Express, le maire EELV de Bordeaux pour justifier sa décision d’armer une partie de sa police municipale. Une petite révolution, alors que Pierre Hurmic revendiquait encore en avril dernier ne pas être "un maire shérif" et estimait que "les missions de la police municipale ne requièrent pas d’être armées". 

"Les mains dans le cambouis"

"Aux manettes, on conjugue en permanence son éthique de conviction avec son éthique de responsabilité", argue également l’élu pour expliquer cette conversion soudaine et, de son propre aveu, tardive ("Mon opposition m’a reproché d’avoir trop tardé et ils ont raison, mais eux-mêmes ne l’ont jamais arbitré lorsqu’ils étaient au pouvoir", indiquait-il à L’Express). Et d’observer que "les premières victimes de l’insécurité (…) sont les personnes les plus vulnérables. Ce constat impose non pas de fuir, mais de prendre ses responsabilités". 

En 2021, Yann Bourseguin (PS), alors* élu chargé de la Tranquillité publique de la ville de Blois, avouait lui aussi à la presse locale avoir changé d’avis sur l’armement des policiers municipaux "en mettant les mains dans le cambouis". Et après y avoir longtemps été hostile, la municipalité blaisoise conduite par Marc Gricourt (PS) a fini par prendre, en juin dernier, la décision d'octroyer des pistolets à impulsion électrique et des lanceurs de balle de défense à ses policiers. "Il y a une réalité des violences, qui ne sont pas qu’un sentiment", écrivait l’élu le 1er octobre dernier au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, en faisant état de "trafics de stupéfiants qui se développent, des incivilités grandissantes, de la délinquance routière aussi" (bien avant Nahel, un refus d’obtempérer mortel avait mis la ville en ébullition en 2021).

La nature a horreur du vide

Dans ce courrier, l’élu blaisois déplorait surtout la "faiblesse des effectifs de la police nationale" qui, de ce fait, "n’entre plus dans certains quartiers, sauf urgence vitale", et dénonçait vertement "l’abandon de pans entiers de nos territoires aux délinquants". Des effectifs qui manquent un peu partout, notamment faute d’attractivité du métier, comme en témoigne la récente interpellation du ministre chargé de la sécurité du quotidien, par le député Christophe Marion (EPR), sur la perte, en deux ans, de 20% des effectifs du commissariat de police de sa circonscription. 

La nature ayant horreur du vide, les polices municipales voient, souvent dans cet ordre, leurs effectifs, leurs moyens et leur champ d’intervention sans cesse se renforcer, effaçant petit à petit la frontière entre deux écoles naguère bien délimitée. Si la tendance n’est pas nouvelle (voir notre article du 26 novembre 2019), tout semble fait pour la renforcer – à commencer par les "contrats de sécurité intégrée". Et les émeutes de l’an passé lui ont assurément donné des ailes (voir notre article du 31 juillet 2023).

Un parcours balisé… et en boucle ?

Ainsi de la ville de Bordeaux, qui après avoir renforcé les effectifs de sa "PM" (+35,5% depuis 2020), va déployer mi-2025 une "brigade d’appui et de sécurisation" pour "intervenir dans les secteurs les plus sensibles", et dont la cinquantaine d’agents sera donc dotée d’armes à feu. Un parcours également suivi par Blois : "Depuis 2018, j’ai non seulement augmenté l’effectif de notre police municipale mais aussi l’ensemble du réseau de vidéoprotection", avant de passer à l’armement, souligne le maire. Ou encore par celui de Lyon, qui souligne ce 11 décembre qu’"en quatre ans (…) les recrutements de policiers municipaux ont augmenté de 39% (…), sans oublier le renouvellement d’équipements et le déploiement de nouvelles caméras de vidéosurveillance". Dans un entretien accordé au Progrès, Grégory Doucet (ELLV) a d'ailleurs annoncé mercredi 11 décembre son intention d’augmenter le parc de caméras de vidéoprotection de la ville, après s’y être opposé, et s’être même fait tirer l’oreille par le ministre de l’Intérieur durant les émeutes (voir notre article du 20 juillet 2023). Le pas de l’armement avait, lui, déjà été franchi par Gérard Collomb.

Dans un environnement ultra-concurrentiel où les forces vives font défaut, les moyens deviennent de plus en plus une condition sine qua non des effectifs. "Garnir la ceinture des policiers municipaux est un moyen de les attirer, et de les conserver", confirme auprès de Localtis Ludovic Durand, secrétaire général de FO Police municipale. Le mouvement est profond. Tout récemment, la ville d’Amiens a décidé de doter tous ses policiers municipaux présents sur le terrain d’un pistolet à impulsion électrique, alors que seules les patrouilles de soirée et de nuit en étaient jusqu’ici équipées.

Course à l’armement

Une "course à l’armement" dont la ville de Nice, auto-revendiquée "meilleure police de France", a sans doute pris la tête : "Dans un contexte où les policiers municipaux doivent faire face à des situations de plus en plus dangereuses pour leur intégrité physique, telles que des incendies de poubelles ou encore des violences urbaines", le maire de Nice ne manque pas une occasion de vanter son attachement "à tester des matériels innovants pour leur permettre d’évoluer en toute sécurité". Après avoir indiqué en octobre que la ville allait "investir dans des stopsticks", dispositif d’arrêt des véhicules destiné à faire face aux refus d’obtempérer, la mairie organisait ainsi le mois dernier une "démonstration d’extincteurs automatiques nouvelle génération". Une course que toutes les collectivités – et l’État lui-même ! – ne sont toutefois pas en mesure de suivre. 

Et même bien outillées, les collectivités peinent à trouver des forces vives. En témoigne l’exemple de la ville d’Amiens, qui entend disposer d’une nouvelle brigade de "gardes urbains" au printemps prochain, mais concède que sa mise en œuvre dépendra "du succès de recrutements nouveaux". La ville ne ménage pourtant pas sa peine pour mettre en avant ses agents. Elle organise ainsi régulièrement une opération "Un café avec un policier " afin que ses administrés puissent découvrir et échanger avec les différents représentants de sa police municipale (policiers, ASVP, brigade verte…).

La fiche de paye d’abord !

Reste que tous ces éléments ne sauraient "remplacer la fiche de paye", insiste Ludovic Durand. Or, en l’espèce, le bât blesse. Le nouveau régime indemnitaire (voir notre article du 28 juin) voulu par Dominique Faure, et qui doit être adopté d’ici le 1er janvier, peine à être mis en œuvre. "Nombre d’élus locaux ne jouent pas le jeu. La charte d’engagement signée par l’Association des maires de France et France urbaine n’est pas respectée", s’insurge le syndicaliste. Singulièrement dans son viseur, le maire de Lyon, "qui nous a toujours expliqué que le jour où le cadre légal le permettrait, il revaloriserait fortement les rémunérations des policiers municipaux. Or maintenant qu’il le peut, il ne tient pas ses promesses". Sur le réseau Linkedin, Grégory Doucet vante pourtant ce 11 décembre "l’enveloppe supplémentaire dédiée au régime indemnitaire des policiers" qui sera soumise au vote, demain, en conseil municipal : "En clair : 83 % des agents seront mieux payés, avec un gain moyen de 500 euros net par an", vante-t-il. Un calcul que conteste vertement Bertrand Debeaux, secrétaire du syndicat FO de la police municipale lyonnaise, auprès de Localtis. "Pour une grande partie des agents de terrain, le gain sera nul ou quasi nul avec le nouveau système mis en place par la municipalité. On est très loin du gain maximum possible – de l’ordre de 350 euros mensuels –, tel qu’il a d’ailleurs été voté à Lille, Marseille, Paris ou Nice". Et le policier de souligner qu’ "à 5 minutes de chez moi, en allant à Saint-Genis-Laval, qui a aussi voté le maximum, je gagnerais 219 euros de plus par mois". À défaut pour l’heure de voter avec ses pieds, le syndicaliste organise un rassemblement devant l’hôtel de ville au moment du vote. Et promet de durcir le mouvement.

 

* Il a renoncé à ses fonctions deux mois après le siège des locaux de la police municipale durant les émeutes de juillet 2023, au cours duquel il s’est vu mourir : "Cinq minutes de plus, on n’était plus là."

 

 

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