PLF et PLFSS : François Bayrou engage doublement la responsabilité du gouvernement

François Bayrou a engagé à deux reprises ce lundi 3 février après-midi la responsabilité de son gouvernement par l'article 49.3 de la Constitution – d'une part sur le projet de loi de finances (PLF), d'autre part sur la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). De quoi permettre l'adoption sans vote de ces deux textes, en sachant toutefois que deux motions de censure ont d'emblée été déposées. Retour sur cette double séquence à l'Assemblée. Et, concernant le PLF, sur les dispositions relatives aux finances locales inscrites dans la version finale du texte.

En montant à la tribune de l'Assemblée nationale, le Premier ministre a d'emblée parlé de "semaine de vérité et de responsabilité". D'abord sur le PLF, sur lequel les parlementaires réunis en commission mixte paritaire (CMP) sont parvenus à un accord vendredi (voir notre article). "Aucun pays ne peut vivre sans budget" et sans budget, "l'image de la France sera affectée", "l'action publique" sera entravée, "la production sera bloquée" (agriculture, BTP…) et des milliers de foyers fiscaux verront leurs prélèvements augmenter, a-t-il argumenté. "Nous avons travaillé avec toutes les forces politiques" avec "bonne foi et bonne volonté" sur ce PLF qui aurait ainsi "trois géniteurs" – le gouvernement Barnier, l'actuel gouvernement et le Parlement.  "Est-ce un budget parfait ? Non, c'est un équilibre", a poursuivi François Bayrou, listant diverses avancées, telles que le fait que les collectivités locales bénéficieront de "342 milliards d'euros" (sur les dispositions touchant aux finances locales, voir ci-dessous).

"Si vous en décidez ainsi, puisque la décision est entre vos mains, dans les dix jours, la France (...) aura son budget, aura ses budgets, ce qui sera un signal de responsabilité, de stabilité", a-t-il lancé aux députés avant d'engager la responsabilité du gouvernement, en vertu de l'article 49.3 de la Constitution, "sur le texte issu de la commission mixte paritaire, complété d'amendements techniques et de rédaction" (lien ici vers cette version complétée). La présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a alors suspendu la séance, rappelant que le PLF serait considéré comme adopté, sauf dépôt d'une motion de censure dans les 24 heures, la conférence des présidents devant alors décider de la date du vote sur cette motion (ce devrait être mercredi). Une motion a en fait été déposée dans la foulée, signée par 91 députés LFI et Écologistes.

"Je voterai la motion de censure", avait prévenu Éric Coquerel, le président LFI de la commission des finances de l'Assemblée, qui s'était exprimé avant François Bayrou. Selon lui, la loi spéciale adoptée en décembre (voir notre article) permet bien au pays de "fonctionner". Le député a d'ailleurs fustigé les circulaires d'application de cette loi spéciale, qui en ont donné "une traduction volontairement anxiogène" et réductrice. "Rien n'obligeait de bloquer" divers crédits, tels que ceux du Pass culture ou du service civique, a-t-il illustré. Et Éric Coquerel d'accuser le gouvernement de "chantage", d'agitation de "peurs pour faire en sorte d'adopter un mauvais budget".

PLFSS : le gouvernement met en avant les efforts en faveur du grand âge

Deuxième séquence : le Premier ministre a peu après de nouveau engagé la responsabilité de son gouvernement sur la première partie du PLFSS, celui-là même qui avait provoqué en décembre la chute du gouvernement Barnier. Plus précisément, le recours au 49.3 porte sur "l’article liminaire et la première partie du PLFSS, dans leur version adaptée par le Sénat et modifiée par les amendements déposés par le gouvernement". Une version, a précisé Yaël Braun-Pivet, qui sera "insérée en annexe du compte-rendu de cette séance". On rappellera qu'un PLFSS est composé de trois parties (et non de deux comme le PLF) : "dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général de la sécurité sociale pour l’exercice 2024", "dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général de la sécurité sociale pour l’exercice 2025" et "dispositions relatives aux dépenses pour l’exercice 2025". Deux autres recours au 49.3 sont donc possibles pour les parties suivantes.

François Bayrou a rappelé que le PLFSS avait donné lieu à une CMP conclusive en novembre dernier (voir notre article), avant que ne sonne la censure. Puis que le nouveau gouvernement a là aussi travaillé avec l'ensemble des groupes pour apporter un certain nombre d'"améliorations". Il a entre autres cité la "hausse des budgets des hôpitaux" (+3,8%), le champ "autonomie et dépendance" (avec pour les Ehpad "une prévision de 6.500 personnels soignants en plus et 300 millions d'euros supplémentaires") ou encore la santé mentale.

La ministre Catherine Vautrin avait auparavant elle aussi passé en revue plusieurs grands volets : "l'accès aux soins" (hôpital, soins palliatifs, "attractivité des métiers de la santé", santé mentale…), "le vieillissement" ("50.000 solutions d'accompagnement", fusion des sections soins et dépendance, triplement du fonds d'urgence en faveur des Ehpad pour le porter à 300 millions d'euros, aide à domicile…), le service public de la petite enfance… Tout comme François Bayrou, elle a en outre insisté sur la nécessité de passer désormais à "une logique pluriannuelle". Et a indiqué vouloir "porter dans les prochaines semaines un plan de transition démographique".

Frédéric Valletoux, rapporteur Horizons de la commission des affaires sociales, a relevé le "caractère inédit" du fait de devoir s'exprimer sur "un texte issu des travaux du Sénat sous le précédent gouvernement" (sachant que le texte a été rejeté par cette même commission des affaires sociales jeudi dernier - voir notre article). Il y voit un texte "en demi-teinte" mais désormais "débarrassé de ses principaux irritants", tels que la hausse du ticket modérateur ou "les 7 heures de travail rémunéré". Appelant à des "réformes structurelles", notamment sur "le grand âge", celui qui fut ministre délégué à la santé du gouvernement Attal invite à "préparer d'ores et déjà le PLFSS pour 2026".

Sur le PLFSS aussi, une motion de censure signée par 92 députés a immédiatement été déposée. Que ce soit pour le PLF ou le PLFSS, les motions ont toutefois peu de chances d'être adoptées après la décision du Parti socialiste de ne pas s'y associer. Le bureau national du PS a en effet tranché. "Le projet de loi de finances pour 2025 demeure un budget de droite", a affirmé le groupe PS dans un communiqué, invoquant l'"esprit de responsabilité" et "l'intérêt du pays". Selon le groupe PS, l'ensemble des 66 députés suivront la décision du bureau national, et cette position vaudra pour le budget de l'État comme celui de la sécurité sociale. Si le PS a "arraché des concessions" sur le PLF elles "restent largement insuffisantes", avait reconnu dimanche le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud. "Mais nous savons aussi que ce pays a besoin d'un budget et nous entendons les inquiétudes, les craintes des entreprises, des collectivités ou des associations", avait-il ajouté. Le RN, dont les voix seraient également nécessaires pour aboutir à une censure, devait trancher ce lundi, mais a reporté sa réunion à mercredi en début d'après-midi.

Claire Mallet

PLF 2025 : des modifications sur les finances locales dans le texte de compromis

Disparition des restrictions concernant le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, confirmation du gel de la TVA en 2025, validation du "dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités" (1 milliard d'euros mis en réserve au lieu de 3 milliards prévus initialement)… De premières informations avaient été communiquées dès l'issue, le 31 janvier, de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2025. La publication, ce 3 février en milieu de journée, du texte de compromis acté par les députés et les sénateurs permet d'en savoir plus. Notamment sur le fait que la dotation globale de fonctionnement ne doit augmenter que de 150 millions d'euros cette année (contre 290 millions dans la copie sénatoriale). Tour d'horizon des arbitrages rendus par les parlementaires sur quelques-uns des sujets à enjeux pour les finances locales.

DOTATIONS ET PÉRÉQUATION

À l'article 29, le texte établi par la CMP prévoit une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 150 millions d'euros, soit un montant inférieur à ce que prévoyait le Sénat (+ 290 millions). 

Le fonds vert est rehaussé de 430 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 500 millions d'euros en crédits de paiement (CP) par rapport aux montants inscrits dans le texte adopté en première lecture au Sénat. Les nouveaux montants sont respectivement de 1,145 milliard d'euros en AE et de 1,037 milliard en CP (art. 42, état B).

La CMP n'a pas reconduit en 2025 le fonds de sauvegarde qui avait soutenu en 2024 les départements les plus en difficulté (art. 61 terdecies supprimé). Elle n'a pas non plus validé le renforcement du mécanisme de solidarité concernant les DMTO perçus par les départements (qui avait été voulu par les sénateurs).

En revanche, la CMP entérine la volonté qui était celle du Sénat d'élargir les compétences de la commission consultative chargée d'examiner les dossiers candidats aux attributions de dotation d'équipement des territoires ruraux (art. 61 octies). La commission serait consultée pour les projets dont le montant dépasse 50.000 euros (contre 100.000 euros aujourd'hui).

FISCALITÉ LOCALE

Les départements seront autorisés à relever le taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) qui s'appliquent aux transactions immobilières jusqu'à 5% (contre un plafond de 4,5% aujourd'hui), et ce "pour les actes passés et les conventions conclues entre le 1er avril 2025 et le 31 mars 2028" (art. 31 nonies). Soit avec un décalage d'un mois par rapport à ce que prévoyait les sénateurs en première lecture. Les départements auront la faculté d'accorder une réduction ou une exonération de la taxe pour la première acquisition d'une résidence principale.

La CMP a validé le principe d'une hausse du plafond de la taxe municipale sur les déchets réceptionnés dans une installation de stockage des déchets ménagers (article 31 undecies) - mais en le limitant à 2 euros la tonne (contre 3 euros dans la copie des sénateurs).

Les parlementaires ont autorisé les régions de métropole (hors Île-de-France, mais Corse comprise) à lever le versement mobilité pour financer les dépenses régionales en matière de transport (que ce soit en investissement ou en fonctionnement), et ce dans la limite de 0,15% des salaires des entreprises d'au moins 11 salariés (art. 31 duodecies). Le texte adopté en première lecture par le Sénat fixait ce plafond à 0,2%.

Les autorités organisatrices de la mobilité (hors Île-de-France Mobilité) se voient affecter 50 millions d'euros du produit des enchères de quotas carbone (art. 31 sexdecies). Le principe était défendu par le Sénat, qui toutefois prévoyait une affectation de 250 millions d'euros.

En revanche, la CMP n'a pas validé la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité concernées par un projet de service express métropolitain (Serm) de relever de 0,2% le taux plafond du VM pour les entreprises d'au moins 51 salariés (art. 31 terdecies supprimé). L'amendement déposé par Philippe Tabarot - lorsqu'il était encore sénateur - que la Haute Assemblée avait adopté en première lecture, n'a pas été retenu finalement.

De même, la suppression du plafond du tarif de la taxe régionale sur les certificats d’immatriculation des véhicules (actuellement fixé à 60 euros) n'a pas été retenue par la CMP (art. 31 quaterdecies supprimé). Toutefois, les régions pourront, sur délibération, réduire à 50% l'exonération de taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules "dont la source d’énergie est exclusivement l’électricité, l’hydrogène ou une combinaison des deux". Aujourd'hui, les véhicules répondant à ces critères sont exonérés à 100%.

Par ailleurs, les parlementaires sont revenus sur la disposition sénatoriale (art. 31 ter) qui mettait fin à la liaison des taux de taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) et de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et donc laissant aux communes et intercommunalités à fiscalité propre plus de liberté dans leur fixation.

Thomas Beurey / Projets publics pour Localtis