PIC : les régions ont presque toutes signé leur pacte
À l’occasion de son déplacement à Mayotte, la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin, a signé le 23 avril 2019 le pacte régional d’investissement dans les compétences (Pric), en présence du haut-commissaire aux compétences, Jean-Marie Marx. Seize régions sur les dix-huit se seront engagées d’ici fin mai dans cette déclinaison régionale du plan d'investissement dans les compétences doté de 15 milliards d'euros. Ne manqueront à l’appel qu’Auvergne-Rhône-Alpes et Paca.
Ça y est. Quasiment tous les pactes régionaux d’investissement dans les compétences (Pric) sont sur leur lancée, après la phase d’amorçage de 2018. Le pacte de la Réunion a été signé le 18 avril 2019 peu avant celui de Mayotte, le 23 avril, en présence d’Annick Girardin, ministre des Outre-Mer, et de Jean-Marie Marx, haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi. La Corse, qui recevra une enveloppe de 28 millions d’euros pour la période 2019-2022, n’a pas encore signé son pacte pour des raisons de "difficultés d’agenda", mais c’est une question de jours assure-t-on au ministère du Travail. La Guyane a déjà signé "par échange de parapheur". La Martinique et la Guadeloupe le feront dans les deux semaines qui arrivent. Bref, d’ici fin mai, 16 des 18 régions auront paraphé leur pacte… Il ne manquera donc qu’Auvergne-Rhône-Alpes et Paca, les deux régions qui n’avaient déjà pas passé de "convention d’amorçage" en 2018…
Deux régions ne signeront pas
Pour ces deux régions récalcitrantes, la situation n’est pas la même, même si au départ les discussions ont achoppé sur l'année de référence (2017) des budgets régionaux consacrés à la formation, retenue par le gouvernement. Le Pric oblige au maintien de ce niveau d’investissement, et ce sur une période de quatre ans. Aucune dérogation à cette règle n’étant possible pour des raisons d’équité entre les régions. L’État n’a ainsi pas souhaité contracter avec Auvergne-Rhône-Alpes dont les dépenses de formation sont en diminution constante depuis 2016 (avec une nouvelle baisse programmée de 25 millions en 2019) et a signé directement avec Pôle emploi, le 15 avril dernier, en présence de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui a dénoncé à cette occasion la décision de la région de "supprimer massivement 60 % des entrées en formation pour les demandeurs d’emploi". Mais la région, elle, se dit depuis le début en désaccord avec la philosophie-même du plan d’investissement dans les compétences (PIC) : "Le gouvernement pense que financer plus permet de former plus. Nous pensons que financer mieux permet de former mieux", s’est défendue dans un communiqué Stéphanie Pernod-Beaudon, vice-présidente de la région en charge de la formation professionnelle et de l’apprentissage. "Pour répondre aux difficultés des entreprises à recruter, la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est engagée depuis 2016 dans un ambitieux plan de soutien et de financement de formations qui conduisent effectivement à un emploi et qui répondent donc aux besoins des entreprises."
C’est donc à Pôle emploi que va incomber la gestion du dispositif pour la région, et l’enveloppe de 652 millions d’euros sur quatre ans allouée par l’État.
Pour la région Paca, c’est également Pôle emploi qui sera le relais de l’État pour le pilotage du Pric et la gestion des 534 millions d’euros prévus. L’échec de la signature n’a pas été d’ordre politique, les discussions avec la région ont été "constructives", précise à Localtis le ministère du Travail. L’impossibilité de signer l’accord vient de ce que la région n’a pas pu s’engager à maintenir le budget formation au niveau de 2017. Toutefois État et région n’écartent pas la possibilité de réaliser des actions ensemble au coup par coup. Le conseil régional souhaiterait par exemple implanter une école de la deuxième chance dans chacun des six départements.
La signature du pacte devrait intervenir dans la première semaine de mai. Comme pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’enveloppe est comparable à ce que l’État a engagé dans les autres régions ; il n’est pas question de stigmatiser les régions non signataires.
S’adapter aux spécificités des régions
Les Pric sont les déclinaisons régionales du PIC, doté d’une enveloppe de 15 milliards d’euros sur cinq ans. Plus de la moitié de cette somme est dévolue aux Pric (le reste servira notamment à financer des appels à projets nationaux). Ce grand plan de formation des plus fragiles voulu par le président de la République ambitionne de former et d’accompagner vers l’emploi un million de chômeurs faiblement qualifiés, un million de jeunes décrocheurs et de contribuer à la transformation des compétences notamment liée à la transition écologique et à la transition numérique. L’un des objectifs est de mieux orienter les programmes de formation vers les besoins en compétences des entreprises, grâce à "une analyse en temps réel" de la situation. Avec, en filigrane, ce paradoxe que les gouvernements successifs ne sont pas parvenus à résoudre : alors que la France compte 6,6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi (catégories A, B, C), "entre 200.000 et 330.000 projets de recrutement sont abandonnés chaque année, faute de candidats", rappelle le ministère du Travail. Autre défi : anticiper le risque d’automatisation de nombreux métiers, souvent peu qualifiés.
Le besoin de régionaliser le PIC et donc d’"agir au plus près des territoires", répond au constat établi par la Dares en 2017 de disparités territoriales dans la répartition des postes à pourvoir dans les années à venir : 790.000 par an sur la période 2018-2022. Selon les régions, ces postes à pourvoir représentent entre 14% (Hauts-de-France, Grand Est, Île-de-France et Bourgogne-Franche-Comté) à 18 % (Occitanie) de l’emploi à horizon 2022. Si le top cinq des métiers (aide-soignant, aide à domicile, enseignant, vendeur, agent d’entretien) se retrouve régulièrement d’une région à l’autre, de sensibles variations apparaissent. Exemple avec le cas des aides à domicile (160.000 postes à pourvoir d’ici à 2022) : les postes à pourvoir d’ici à 2022 représentent 40% de l’emploi total de ce métier en Île-de-France contre 25% en Corse.
Les disparités se font aussi sentir par secteur d’activité : dans l’informatique, les 50.000 postes à pourvoir prévus au niveau national vont représenter 29% des actifs du secteur en Pays de Loire, contre 5% en Centre Val-de-Loire.
Des dotations de l’État calculées sur mesure
Les dotations de l’État interviennent en complément de ce que chaque région investit, généralement pour un peu moins de la moitié du budget global alloué à la formation. Mais là où le plan "500.000 formations" apportait à chaque région une enveloppe équivalente à ce qu’elle investissait déjà, le Pric a prévu d’ajuster le taux de participation de l’État aux besoins spécifiques de chaque région. Ainsi, en métropole, la dotation s’échelonne de 64 euros par habitant en Bretagne à 124 euros pour les Hauts-de-France. Elle atteint 296 euros sur l’île de la Réunion. C’est le taux de chômage qui induit en grande partie cette variabilité. Dans les outre-mer, il peut atteindre 26% (à Mayotte), 40% pour les jeunes, et 8% des dotations de l’État sont fléchées vers ces régions, qui représentent 3% de la population nationale. Des disparités de traitement qui se veulent répondre aux nécessités.
Autre exemple, l’Île-de-France voit la part de l’État dans le budget global monter à 58%, là où les autres régions continentales bénéficient d’un taux de participation de 38 à 48%. C’est ici le département de la Seine-Saint-Denis qui fournit l’explication, avec un taux de chômage à 11,4% (contre 8,6% au niveau national), et un taux de pauvreté à 28,6% (contre 14,7%). Pour la Corse, la part de l’État dans le budget global est de 68%, et 65% pour la Réunion.
Si l’on considère les budgets globaux, État plus région, ce sont les Haut-de-France, la Normandie et l’Occitanie qui affichent les plus forts ratios, respectivement 258, 256 et 238 euros par habitant, avec des participations de l’État de 48%, 40% et 41%.
Un caractère pluriannuel apprécié
Les régions semblent tout particulièrement apprécier le caractère pluriannuel de ces pactes. "C’est le changement majeur. Avant, on était dans une logique de stop-and-go, des objectifs purement quantitatifs", commente David Margueritte, vice-président de la région Normandie en charge de la formation et de l’apprentissage (par ailleurs président de la commission emploi, formation professionnelle et apprentissage de Régions de France). "Le temps n’était pas donné pour poser un vrai diagnostic ; un plan prévu sur quatre ans permet de chercher des solutions innovantes qui remontent de l’expérience de terrain, de faire de l’accompagnement, 'de créer du parcours'."
Outre l’effort budgétaire, c’est ce point qui explique selon l'élu la large adhésion des régions aux pactes régionaux. Le Pric normand, signé le 21 mars, repose sur un total de 844 millions d’euros pour la période, dont 507 de la collectivité et 337 de l’État.
Même constat en région Bourgogne-Franche-Comté, première région à avoir signé, le 20 décembre 2018. Franck Charlier, conseiller régional membre de la commission apprentissage et formation professionnelle, insiste lui aussi sur la plus-value que constitue le long terme : "Le côté pluriannuel permet de travailler sur la cohérence des itinéraires" et de "lever les freins avant d’entrer en formation." Le Pric reçoit 251 millions d’euros de l’État (s’ajoutant aux 333 millions d’euros de la région).
Logiques de parcours de formation
Plusieurs tendances se dégagent des ces pactes régionaux. Si les régions s’engagent dans des objectifs quantitatifs, les crédits de l’État n’en dépendent pas et c’est plutôt la qualité des formations qui est visée. Les Pric s’inscrivent dans des logiques de "parcours" plus longs, qualifiants et adaptés aux besoins des entreprises et à chaque bassin d’emploi. Ils cherchent ainsi à lever les freins à l’entrée en formation, que ce soit la mobilité, les problèmes de garde d’enfants, de maîtrise de certains fondamentaux (expression écrite, outil informatique), la rémunération des stagiaires… L’accent est souvent mis sur le déploiement des actions en situation de travail (Afest), une nouvelle modalité de formation en entreprise inscrite dans la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Un lien direct avec l’entreprise qui a l’avantage d’offrir des perspectives de recrutement.
Les régions ont souvent cherché à renforcer la rémunération des stagiaires pour rendre les formations plus attractives, en particulier sur les métiers en tension. Le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a voté, le 29 mars, un budget de quinze millions d’euros pour financer les "à-côtés de la formation" et améliorer le pouvoir d’achat des stagiaires. Le forfait déplacement a été relevé à cent euros (multiplié par trois, il avait été fixé en 1989), la rémunération mensuelle minimale a été doublée voire triplée : elle passe ainsi à 450 euros mensuels pour les jeunes primo-accédants à l’emploi (les 16-17 ans). Pour les chômeurs qui ont exercé une activité plus de six mois, la rémunération mensuelle passe de 652 à 863 euros, soit une hausse de 32%... Le conseil régional a aussi prévu un coup de pouce de 200 euros pour l’entrée en formation, afin de couvrir certains frais supplémentaires (comme une garde d’enfant).
La Normandie, elle, veut mobiliser les réseaux de travailleurs sociaux ou les secrétaires de mairie, qui sont souvent les conseillers de premier niveau des chômeurs éloignés du marché du travail.
La question de la fracture numérique est aussi une préoccupation partagée par l’ensemble des régions.
Malgré ce satisfecit, les régions manifestent une crainte : que les appels d’offres nationaux du PIC viennent concurrencer leurs propres projets. Elles mettent en garde contre les erreurs du "plan 500.000" du précédent gouvernement.