Archives

Le grand plan d'investissement face à l'enjeu des inégalités territoriales

Le grand plan d'investissement va-t-il profiter à tous ou accélérer les fractures territoiriales ? La question taraude les députés qui auditionnaient Jean Pisani-Ferry, le 28 septembre. Pour ce dernier, il faudra construire des "canaux de diffusion des zones de prospérité vers des zones à l'écart"...

Pas plus que les différents programmes d'investissement d'avenir, le grand plan d'investissement dévoilé le 25 septembre par le Premier ministre n'a une fonction d'aménagement du territoire. Il a même une tout autre nature puisque, comme l'a martelé son concepteur, l'économiste Jean Pisani-Ferry devant la commission des affaires économiques, le 28 septembre, il repose sur "une complémentarité très puissante entre les réformes et les investissements".
Mais comment les dix milliards d'euros dédiés aux collectivités (et le milliard pour l'Outre-mer) vont-ils être alloués ? La question taraude les élus. Lundi, le Premier ministre a promis qu'il s'agissait "de faire en sorte que l'ensemble des territoires bénéficient de ces investissements". Jean Pisani-Ferry avait précisé qu'il n'était pas dans "une logique de guichet" mais dans une "logique de suivi"… En clair, les collectivités devront afficher des résultats un peu sur le mode de la "conditionnalité" chère à Bruxelles. Chaque année, les crédits pourront être remis en jeu s'ils sont mal utilisés. 

La reprise risque "d'accentuer le divorce"

Devant les députés, l'ancien responsable du programme économique du candidat Emmanuel Macron a rappelé que les collectivités seraient naturellement impliquées dans nombre des chapitres de ce plan : la rénovation thermique des bâtiments publics, les transports (notamment le ferroviaire), la formation professionnelle dont sont responsables les régions, les aides à la mobilité, les équipements numériques ou encore les services publics… Seulement, comme le reconnaît aussi Jean Pisani-Ferry, la question de l'équilibre territorial se pose d'autant plus que "la reprise va d'abord bénéficier aux territoires qui ont le plus de ressources , le plus de compétences, le plus d'entreprises". Elle risque donc "d'accentuer le divorce entre une France qui se sent aller mieux avec la croissance et une France qui va se sentir à l'écart de la croissance". La réponse à cette fracture repose "en partie dans le dispositif de redistribution" et dans le fait de construire "ces canaux de diffusion des zones de prospérité vers des zones à l'écart". Car selon Jean Pisani-Ferry, il y a bien aujourd'hui "une géographie de la prospérité qui est problématique en France". L'ancien commissaire général de France stratégie est bien placé pour le savoir lui qui, en octobre dernier, était déjà venu commenter devant les députés une étude sur les "dynamiques et inégalités territoriales" dans les dix ans à venir. "L'investissement public est-il capable d'assurer un développement de tous les territoires en déclin, ou doit-il s'orienter vers les métropoles, notamment pour en faciliter l'accès ?", s'interrogeait France stratégie. La réponse était dans la question et le lointain descendant du commissariat au plan invitait à "concentrer l'investissement sur les métropoles, mais aussi à soutenir les territoires risquant le plus de décrocher définitivement, tout en investissant moins dans les territoires intermédiaires".

"On sent bien la patte de l'Etat centralisateur et technocrate"

Quand il est question dans ce plan de consolider les universités de rang mondial ou d'aides à la mobilité, on comprend dès lors les craintes de certains territoires d'être tenus à l'écart des grands investissements. "On annonce des coupes drastiques soit l'année prochaine soit l'année d'après dans les budgets des collectivités. C'est l'investissement des collectivités auquel on va substituer de l'investissement de l'Etat. On sent bien la patte de l'Etat centralisateur et technocrate. Mais cela se fera au détriment des collectivités", s'est inquiété Fabien Di Filippo (LR, Moselle) qui attend au contraire des investissements "proches de la vie quotidienne des gens".
"Comment va-t-on s'y retrouver dans nos territoires en termes de proximité, en termes de services publics, en termes de santé, en termes d'éducation, en termes d'infrastructures ? (…) Il y a de grandes attentes de la part de nos concitoyens notamment dans la ruralité", a-t-il souligné. C'est en effet ce que montre une enquête de l'Ifop sur "la perception des fractures territoriales et le rôle des collectivités locales", publiée le 24 septembre. Ainsi, 60% des ruraux ont "un sentiment très net de souffrir de l'inaction des pouvoirs publics", contre 39% des urbains, selon cette enquête commandée par les députés LR. Il apparaît aussi que "plus les Français s'éloignent des centres-ville, plus ils ressentent des difficultés d'accès à l'emploi, aux soins, aux services publics ou à des commerces de proximité"…
Pourtant, d'autres députés préfèrent voir dans ces investissements une source d'opportunités pour les territoires ruraux. Ce plan est même "très intéressant pour ces territoires qui se situent entre les métropoles", juge Danièle Hérin, députée LREM de l'Aude, "deuxième département le plus pauvre" de France. "Je suis persuadée que ce type d'opérations pourrait relancer l'économie dans ces territoires-là."