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Emploi - PIA : le rapport du comité d'évaluation à mi-parcours pointe ses forces et ses faiblesses

Le comité d'experts indépendants constitué par France Stratégie considère qu'à mi-parcours, le Programme d'investissements d'avenir (PIA) a produit des effets positifs, à la fois quantitatifs et qualitatifs. Tout en pointant des "dérives", il confirme l'utilité d'un PIA 3, à condition que certaines de ses recommandations soient suivies d'effets : arrêter toute opération de "substitution budgétaire", concentrer les moyens sur les actions efficaces, recalibrer certaines initiatives, etc.

"Le Programme d'investissements d'avenir (PIA) est une initiative qui a produit des effets positifs, à la fois quantitatifs et qualitatifs." C'est l'un des constats que fait le comité d'experts indépendants constitué par France Stratégie et présidé par Philippe Maystadt, ancien ministre des Finances de la Belgique et ancien président de la Banque européenne d'investissement (BEI), dans son rapport sur les effets à mi-parcours du PIA, rendu public le 29 mars 2016. Lancé en 2010 sous le nom de Grand Emprunt, le PIA consiste depuis l'origine à promouvoir des projets d'excellence, innovants et sous la forme de coopération dans l'enseignement supérieur, les biotechnologies, l'énergie, la ville de demain, le véhicule du futur, le numérique, etc. Doté de 47 milliards d'euros, il est piloté par le Commissariat général à l'investissement (CGI). Au nombre des effets positifs, le comité d'experts note que "le principe d'excellence a généralement prévalu". Le recours à des jurys indépendants a permis "l'émergence de projets ignorés dans les procédures traditionnelles". De plus, la culture de l'évaluation a progressé, le PIA ayant "bousculé des structures trop confortablement installées dans leurs certitudes".
D'autre part, l'effort d'investissement dans la recherche est "significatif". Le PIA "monte constamment en puissance" dans ce domaine. La diversité des financements permet de s'adapter au mieux à la nature des projets. La pluriannualité budgétaire donne une vision à moyen terme et une plus grande visibilité pour les acteurs. Les experts notent en outre que "le suivi financier par le CGI est robuste, l'allocation du budget par action est transparente, avec des mises à jour régulières des montants engagés, contractualisés et décaissés". En résumé, "le PIA est une méthode originale de modernisation de l'action publique qui, bien pilotée, pourrait s'appliquer à d'autres domaines (éducation, santé) où la réforme par voie législative ou réglementaire se heurte à de fortes résistances mais où par incitation, elle pourrait faire bouger les lignes".

Des faiblesses "importantes"

Le PIA s'est parfois "éloigné de ses objectifs initiaux". Quelques actions ne s'inscrivent pas dans une logique "transformante". Par exemple, "une partie de l'action Ville de demain a inclus, dans une première phase, le financement d'infrastructures de transport sans contrainte particulière d'innovation ou d'exemplarité". De plus, le comité considère que "14% de l'enveloppe globale correspondant à 35% des moyens décaissés en six ans constituent de la substitution budgétaire ou des projets qui n'auraient pas dû relever du PIA (financement de l'A350, refinancement d'Oseo, réacteur de quatrième génération…)". Les experts considèrent cependant que le PIA "a servi largement les objectifs pour lesquels il a été conçu : contribuer à augmenter la croissance potentielle du pays et préserver l'investissement de l'Etat en période de fortes contraintes budgétaires".
D'autre part, "l'effet de levier vis-à-vis des financements privés n'est pas toujours perceptible". S'il est important pour les instituts de recherche technologique (IRT), il reste "nettement insuffisant dans plusieurs autres cas". Les principes du PIA ont aussi parfois été écartés "pour satisfaire des demandes locales, politiques ou syndicales". Le comité se demande également "si l'action Partenariats régionaux d'innovation, très appréciée par les PME bénéficiaires et les régions et sans doute appelée à être prolongée et renforcée, doit faire partie du PIA". En effet, "les objectifs, la procédure de sélection et les modalités de pilotage sont différents de ceux du PIA, même si Bpifrance procède à une instruction et si le CGI conserve un droit de veto".
Concernant l'effet d'entraînement, le comité note que "le PIA n'a pas conduit à un accroissement de l'effort d'investissement public du pays, mais plus probablement à un moindre fléchissement que dans les pays voisins". Sur une enveloppe globale de 45 milliards d'euros et 6 ans après son lancement, seuls 14 milliards ont été décaissés. Ce sont donc en moyenne 2,3 milliards d'euros par an d'investissement attribuables au PIA sur la période, soit environ 2% de l'investissement public en France. "L'accélération est cependant indéniable puisque les décaissements se montent à 4 milliards en 2014 et 2015 contre 900 millions en 2010 et 2011." Dans le domaine de l'enseignement supérieur, le PIA a suscité un dynamisme universitaire en région (Bordeaux, Strasbourg et Aix-Marseille) mais, "il n'a pas encore réussi à faire émerger des universités de recherche de rang mondial en région parisienne". D'autre part, il a conduit "à complexifier le paysage institutionnel dans certains domaines". C'est notamment le cas pour le transfert de technologie, les aides à l'innovation, l'enseignement supérieur ou certains fonds de participation qui viennent en concurrence de ceux de Bpifrance. Ce constat s'explique notamment "par une inflation des actions (79 contre 17 prévues dans le rapport Juppé-Rocard de 2009)".

Recommandations pour un PIA 3

Le contexte économique a changé et la "première priorité" n'est plus d'"accélérer" la sortie de crise, comme l'avait énoncé le rapport Juppé-Rocard. Le comité d'experts estime que, dans la perspective d'un PIA 3 annoncé par le président de la République pour un montant de dix milliards d'euros, "certaines actions qui étaient justifiées par l'urgence conjoncturelle doivent céder le pas à des réformes plus structurelles s'inscrivant dans une perspective de long terme". A cet égard, les exigences à la base du rapport Juppé-Rocard "restent plus que jamais d'actualité" : "Former ceux qui déplaceront les frontières de la connaissance, investir dans la recherche, valoriser les résultats de la recherche, soutenir les PME innovantes, relever le défi écologique." La contrainte budgétaire restant forte, le comité d'experts conseille d'utiliser les moyens affectés au PIA 3 "de la manière la plus efficiente possible".
Ils recommandent notamment de "ne pas disperser les moyens dans de nouvelles actions de court terme, notamment en refusant désormais toute opération de 'substitution budgétaire' et en concentrant les moyens sur les actions qui ont fait leurs preuves". Il faut aussi "limiter les actions à celles qui répondent à une défaillance de marché avérée et qui entrent véritablement dans les objectifs du PIA". Les actions qui font "double emploi" avec d'autres financements disponibles ne doivent pas être poursuivies. Le comité recommande en particulier de ne pas reconduire l'action "développement des réseaux à très haut débit" dotée de un milliard d'euros et pour laquelle "seulement 94 millions ont été décaissés au 31 décembre 2015". Il conseille de poursuivre le soutien aux sociétés d'accélération du transfert de technologie (Satt) avec les moyens disponibles (moins de la moitié avait été décaissée au 31 décembre 2015) mais "en lançant un plan en vue d'en accroître l'efficacité : resserrer les liens entre les Satt et les grands organismes publics de recherche ou les universités fusionnées comme Strasbourg ou Bordeaux, développer les relations avec d'autres acteurs de l'écosystème d'innovation, en particulier les IRT et les instituts hospitalo-universitaires (IHU), améliorer leurs pratiques internes, notamment le fonctionnement des conseils d'administration et la gestion des risques, renforcer leur capacité à trouver des financements au-delà du seul PIA, rendre leurs offres technologiques plus accessibles pour les entreprises, notamment par la mise en place d'une plateforme commune des Satt".

Concentrer les moyens nouveaux

Le comité d'experts recommande en outre de "réduire la multiplicité des dispositifs en regroupant plusieurs actions qui se recouvrent largement". Ce regroupement apparaît "indispensable en ce qui concerne les projets industriels pour lesquels le trop grand nombre d'actions poursuivant pratiquement le même objectif nuit à la lisibilité du PIA et permet à des entreprises de s'adresser à plusieurs guichets du PIA pour le même projet". Il faut "concentrer les moyens nouveaux sur le renforcement d'actions qui remplissent clairement les critères du PIA et qui ont déjà démontré leur capacité 'transformante'". Il est également nécessaire de "refonder les actions qui n'ont pas encore fait leurs preuves mais dont les objectifs demeurent pertinents comme pour les Initiatives d'excellence (Idex) en Ile-de-France".
Enfin, le comité préconise de "rationaliser les structures et clarifier le rôle des ministères, des opérateurs et du CGI". Il s'interroge en particulier sur le nombre peut-être "trop élevé" d'opérateurs et le risque de conflits d'intérêt. Les critères d'évaluation des opérateurs ne sont pas toujours non plus "très clairs". Le comité note également que « plusieurs projets ont connu des délais d'instruction, d'engagement ou de contractualisation excessifs, même si le CGI s'est efforcé de réduire ces délais, avec des résultats visibles (délai total moyen de trois mois).
En ce qui concerne l'évaluation, le comité recommande de recruter un expert au sein du CGI qui serait chargé, avec l'aide de personnalités extérieures qualifiées, de "développer la doctrine du CGI en matière d'évaluation et d'organiser une concertation entre le CGI et l'ensemble des opérateurs pour arrêter le cadre général en matière d'évaluation et d'analyse d'impact, en particulier en vue d'identifier les priorités et de généraliser les bonnes pratiques". Ce point semble "manifestement attendu" par plusieurs opérateurs.