Environnement - Pesticides : quelles alternatives pour un risque zéro ?
Sous la houlette de Nicole Bonnefoy (PS, Charente) et Sophie Primas (UMP, Yvelines), une mission commune d’information sénatoriale a planché six mois sur l'épineux sujet des pesticides et réalisé près d’une centaine d’auditions. Adopté à l’unanimité, le rapport de la mission, rendu public ce 23 octobre, formule quatre constats. "Le premier est que les dangers et les risques présentés par les pesticides sont sous-évalués. Le deuxième est la nécessité d’améliorer la procédure d’autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM) et son suivi dans le temps. Le troisième : l’insuffisance des équipements de protection individuelle (EPI) et l’absence de protection à la hauteur des risques. Enfin, malgré le signal fort donné en 2008 avec le plan Ecophyto 2018, son bilan est mitigé et il faut le revoir", liste Sophie Primas, présidente de la mission.
Tendre vers le zéro phyto
L’été dernier, le ministre de l’Agriculture a confirmé que l’objectif de réduction globale de 50% de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’horizon 2018 serait très difficile à atteindre. "En quatre ans, leur utilisation a au contraire augmenté", pointe Bernadette Bourzai, sénatrice de Corrèze, qui a participé à la mission. L’objectif de 2018 est par ailleurs quantitatif et n’intègre pas une variable essentielle, la fréquence des traitements. "Il est donc temps d’accélérer la mise en place d’outils adaptés sur le territoire et de cibler davantage les régions et secteurs les plus consommateurs de pesticides, c'est-à-dire la vigne et les cultures légumières. Il faut réintroduire plus d’agronomie dans les pratiques agricoles, il en va de la pérennité des sols", ajoute ainsi Bernadette Bourzai, qui est par ailleurs membre du conseil national d'orientation et de suivi de ce plan national. D’autant que les alternatives existent. "Mais elles sont parfois difficiles à mettre en oeuvre en France, où la réglementation fait obstacle", précise Gérard Le Cam, sénateur des Côtes-d’Armor. Point positif cependant, la mise en place pour les déchets des produits phytosanitaires des professionnels d’une filière de collecte efficace. "La France est le seul pays de l’Union européenne à l’avoir fait", reconnaît la mission. Elle félicite en outre les communes engagées dans une démarche "zéro phyto". Et cite, à l'appui, une étude de 2010 selon laquelle 60% des communes de plus de 50.000 habitants ont entamé cette démarche. "Il existe en effet des techniques comme le paillage combiné au désherbage manuel, pour les massifs de fleurs, qui permettent d'éviter les désherbants chimiques, souligne le rapport. D'autres collectivités pratiquent la gestion différenciée des espaces verts, bénéfique pour la biodiversité (avec par exemple des fauches tardives ou des fauches moins nombreuses sur les talus), qui permettent de réduire drastiquement l'utilisation de produits phytosanitaires." Autre utilisateur non agricole d'herbicides, la SNCF, qui a signalé aux sénateurs avoir diminué sa consommation par trois en trente ans et par deux ces vingt dernières années. Concernant les collectivités, la mission propose de les inciter "à ne plus utiliser de pesticides au terme des cinq prochaines années" et à promouvoir la généralisation des écoles, terrains de sport et jardins publics sans pesticides. Et pour mieux informer le public sur les dangers de ces pesticides, elle suggère de sensibliser les enfants dès leur plus jeune âge en créant des jardins de la biodiversité dans les écoles et d'apposer des panneaux signalant les espaces publics non traités.
Extension des AMM
Mais au coeur des préoccupations de la mission figure la procédure d'autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM). Selon les sénateurs, il faut étendre le rôle des AMM à travers un étiquetage plus lisible des produits, des matériels et des EPI utilisés. Tout en s'efforçant d'harmoniser les méthodes d'évaluation et de contrôle sur le plan européen, sans quoi les efforts dans l'Hexagone resteraient vains. Et redonner un rôle-clé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dans le choix des laboratoires qui sont chargés d'évaluer les risques des produits sur la santé. "L'Anses peut recruter plus d'experts, ce n'est pas un problème de budget mais de plafonnement des emplois qu'il semble possible de faire sauter", a indiqué Sophie Primas. Le plus urgent est, selon elle, de mutualiser les nombreuses données épidémiologiques "parfois très pointues mais très partielles. Or il faut qu'elles soient plus formelles et regroupées pour être utilisables".
Pour lutter contre les nombreux conflits d’intérêts qui perdurent dans le secteur, elle préconise de légiférer et "d’organiser l’effectivité du contrôle public sur l’innocuité des pesticides autorisés". Elle recommande aussi de développer la recherche sur les effets cocktails et de relancer le débat sur l’introduction possible dans le droit français du recours à l’action groupée sur le plan judiciaire. "Ce serait une solution préférable à l’inversion systématique de la charge de la preuve lorsque survient une pathologie connue pour être provoquée par des pesticides."
Enfin, l’accent est mis parmi les recommandations sur la recherche et la formation. Il est proposé d’orienter la recherche publique sur des cultures minoritaires et sensibles (la culture de la noisette par exemple), la recherche de nature privée étant réputée efficace sur les cultures de grande surface. Quant à la formation des agriculteurs – celle qui mène au certificat Certiphyto a concerné 135.000 d’entre eux en 2010 et 2011 –, son financement reste à pérenniser. "Les formations délivrées sont courtes et théoriques, elles mériteraient aussi plus de pratique", précise Sophie Primas. La mission sénatoriale demande aussi une meilleure organisation de la toxicovigilance. "Nous manquons en France d’entomologues, de toxicologues, d’experts agronomes. Ce sont pourtant des métiers nobles et qui permettent de nourrir cet important besoin d’expertise", conclut-elle.