Partage des données entre acteurs publics et privés, un modèle à inventer
Pour piloter leurs politiques publiques, les collectivités aspirent à accéder à des données d’intérêt territorial produites par des acteurs privés. Un sujet au cœur du projet Be-Good restitué en mars 2022 au cours d’une série de webinaires. Si la plus-value du partage de données est démontrée, il reste à en définir les modalités pour concilier intérêt général et logiques commerciales.
Le partage de données entre acteurs publics et privés pour améliorer les politiques territoriales est au cœur de nombreux projets, avec plusieurs expérimentations en cours à Rennes (plateforme Rudi), Dijon ou Angers. L’originalité du projet Be-Good (Building an Ecosystem to Generate Opportunities in Open Data), présenté dans le cadre d’une série de six webinaires tout au long du mois de mars 2022 (ici la chaîne vidéo du projet) est de se baser sur des cas d’usage très concrets et de disposer d’un recul de cinq ans. En pratique, huit structures européennes parmi lesquelles le département du Loiret et la métropole d’Orléans ont travaillé sur les questions de mobilité, de risques et de sécurité routière.
Les conditions de circulation en temps réel
"C’est en 2016 qu’a émergé le besoin de partager des données sur l’état des routes, alors que d’importantes inondations affectaient notre département", raconte Christian Braux, vice-président du conseil départemental du Loiret. Le département s’est en effet révélé bien incapable d’aider les usagers à trouver leur chemin faute d’informations fiables sur les routes praticables car les données étaient dispersées entre une multitude d’acteurs. C’est ainsi qu’est né le projet "continuité de circulation des biens et des personnes en temps réel", l’un des trois cas d’usage de Be-Good. Cinq ans après, le projet a débouché sur la création de deux applications, ViaPro et ViaFacile. La première permet aux agents de la voirie de remonter des données sur l’état de la voirie, l’autre d’informer le grand public sur les conditions de circulation en temps réel. Sa particularité est d’agréger les données issues de la collectivité avec celles d’Info-radar 45 (informations sur le trafic routier) et celles des utilisateurs de Waze.
Construire un trajet en fonction de ses centres d’intérêt
Le second projet portait sur la collecte de toutes les données susceptibles de favoriser les déplacements doux, et notamment l’information contextuelle (patrimoine, environnement, points d’intérêt…) à même de construire des parcours orientés nature, calme, tourisme ou terroir. "Ce projet a débouché sur une application et un algorithme qui peuvent être réutilisés par d’autres territoires", a précisé Nadine Poisson en charge de la ville intelligente à Orléans métropole. Conçu par une autre start-up locale, le chatbot Foxtrot est en effet un logiciel open source comme l’imposait le cahier des charges du projet européen. En outre, le projet a servi d’accélérateur à l’ouverture des données de la métropole "en montrant à quoi sert concrètement l’open data".
Cartographie des zones accidentogènes
Le troisième axe, Safer Road, entendait pour sa part cartographier les zones accidentogènes du réseau routier du Loiret et créer un algorithme aidant à prioriser les investissements routiers. "Nous sommes partis du postulat que les lieux accumulant des dommages matériels pouvaient un jour déboucher sur un accident corporel", explique Sandrine Gérard, directeur des services aux territoires du département du Loiret. Les seules données disponibles en open data portent cependant sur les accidents corporels. C’est pourquoi la collectivité s’est tournée vers la gendarmerie, les services de secours, un assureur (données des constats), deux fournisseurs de GPS (Coyote et Waze) et les "assisteurs" qui prennent en charge les véhicules en panne. Ces données ont été compilées, retraitées – avec notamment des doublons à éliminer et des données nominatives à anonymiser – pour dessiner une cartographie des segments de voies les plus accidentogènes du département.
Intérêts conciliables ?
Ces cinq ans d'expérimentation ont mis en valeur l'intérêt et les limites du partage de données avec des acteurs privés. Sur Safer Road, la collectivité dispose ainsi d'une vision plus complète, plus fine de l’accidentologie dans toutes ses dimensions. Mais les acteurs privés, à commencer par les assureurs, sont aussi potentiellement gagnants. "Faut-il que l'on partage des données avec des acteurs dont le but est de gagner de l'argent ?", s'interroge Sandrine Gérard. Si la réponse n'est pas tranchée, il apparaît clair que le modèle économique ne peut reposer sur la seule puissance publique comme dans le cadre de ce projet de plus d’un million d’euros subventionné à 60% par Interreg. La question du bon niveau pour organiser ce partage de données se pose également, surtout quand il s'agit de travailler avec des acteurs mondiaux avec lesquels il est difficile de négocier (voir ci-dessous). Les partenaires du projet ont ainsi dû s’adapter aux normes techniques de Waze, l’éditeur ayant par exemple adopté une définition de l’adresse qui n’est pas celle de la base adresse nationale. Et si les données des collectivités sont en open data, ce n’est pas le cas de celles de Waze. Pour les exploiter, les start-up ont dû passer par le département qui y a accès parce qu’il est contributeur à la plateforme mondiale.
Avec ses 16 millions d’utilisateurs - grosso modo la moitié des automobilistes français - les données de Waze intéressent grandement les collectivités. La filiale de Google propose aux collectivités (mais aussi à des sociétés de travaux) un échange de données via son partenariat "Waze for cities" : les premiers fournissent les données sur les travaux et fermetures de voiries, Waze offre en contrepartie un accès à sa base de signalements : incidents, accidents, congestions… Des données qui ont permis au Loiret ou à la métropole de Lille d’avoir une vision beaucoup plus exhaustive de la congestion et de l’accidentologie. Le partenariat semble cependant assez inégal. "Avec un partenaire, on s’attend à discuter mais dans les faits c’est très difficile", a témoigné Myriam Limpens de la métropole de Lille. Toute évolution de la carte doit ainsi être soumise aux "éditeurs" (des contributeurs bénévoles) de Waze qui décident (ou pas) d’y donner suite. Les collectivités souhaiteraient ainsi voir pris en compte par Waze les plans de circulation mais aussi les zones et moments critiques comme l’entrée et la sortie des écoles. "Notre principe est simple, nous sommes comme un régulateur d’eau : soit le tuyau est ouvert, soit il est fermé", a expliqué Vanessa Giorno en charge des partenariats chez Waze. Autrement dit, c’est aux collectivités d’interdire le trafic dans les voies, comme Paris l’a fait sur 169 rues… Pas question d’aller piocher dans l’open data des collectivités ni de toucher à l’algorithme. Celui-ci doit fonctionner partout de la même façon avec comme seul objectif de proposer le trajet le moins long. |