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PAC : le gouvernement n’entend pas changer de ligne

Faisant suite à la lettre d’observation de la Commission l’invitant à modifier son projet de plan stratégique national de la politique agricole commune (PAC), le ministre de l’Agriculture a adressé une première réponse dans laquelle il indique clairement son intention de ne pas revoir ses choix stratégiques. Une réponse détaillée doit être préparée avec les parties prenantes – au premier rang, les régions – qui restent pour l’heure dans l’expectative.

"Je m’interroge (…) sur le positionnement en opportunité de la Commission, d’autant plus que l’objectif annoncé de la nouvelle PAC était de laisser une plus grande subsidiarité aux États membres". C’est peu de dire que Julien Denormandie n’a guère goûté la lettre d’observation de la Commission européenne enjoignant à la France de modifier son projet de plan stratégique national (PSN – voir notre article du 21 mai 2021) de la PAC, vécue comme une véritable ingérence. Et dans une première réponse à la Commission, le ministre de l’Agriculture n’a pas caché sa volonté de ne pas laisser Bruxelles marcher sur ses plates-bandes.

La riposte avant la parade

Si le ministre "s’engage à considérer les non-conformités dès lors qu’elles sont avérées" ou "à apporter des justifications, précisions ou explications complémentaires des choix effectués ou à corriger des erreurs techniques", qui ne sont selon lui "pas de nature à remettre en cause les équilibres présentés", il laisse clairement entendre qu’il n’ira pas au-delà. Et avant même de parer – sa réponse détaillée ne sera adressée qu’ultérieurement –, il riposte, retournant contre la Commission certains de ses traits. "L’exigence (…) d’accélérer les transitions ne peut être posée sans obtenir de garanties que nos consommateurs et leur environnement seront également protégés de manière plus stricte qu’aujourd’hui s’agissant des importations. Cette nécessité était ressortie très clairement du débat public qui s’est tenu dans le cadre de la réforme de la PAC en France en 2020", cingle-t-il, avant l’estocade : "Des avancées concrètes restent donc indispensables en matière de cohérence des politiques agricoles, alimentaires, de santé, environnementales avec les politiques commerciales menées par la Commission européenne" [nous soulignons]. Un discours qu’il ne cesse de marteler (voir nos articles du 23 février et du 4 février).

Pas de fleurets mouchetés pour la Commission

Il est vrai que dans sa lettre, la Commission n’y est pas allée à fleurets mouchetés.

De manière générale, elle estime que les interventions proposées par le plan français "ne répondent que de manière partielle, voire pas du tout, à certaines conclusions du débat public ou à certaines faiblesses identifiées dans le plan". Elle considère que plusieurs dispositions "manquent d’ambitions" et/ou "ne sont pas accompagnées d’indicateurs de résultat suffisants". Ainsi juge-t-elle que "le plan ne permet d’accompagner que partiellement la transition écologique des secteurs agricole et forestier", pointant entre autres l’absence d’objectif pour la réduction des émissions de l’élevage, l’objectif faible pour la gestion durable des nutriments, l’évolution actuellement à la baisse des puits de carbone, la faible valeur des mesures visant à améliorer le bien-être animal, etc.

Elle déplore aussi à plusieurs reprises le manque de moyens proposés, que ce soit pour la protection des ressources naturelles ("eau et sols"), la préservation de la biodiversité, etc. Elle dénonce même "la diminution du budget dédié aux investissements dans les infrastructures rurales et les services de base par rapport à la période de programmation actuelle". "Compte tenu des difficultés de la mise en œuvre de Leader dans la période de programmation actuelle" (voir notre article du 9 novembre 2021), la Commission invite ici la France "à réévaluer sa capacité à répondre à une révision de la logique d’intervention dans ce domaine, y compris au niveau des allocations budgétaires".

Bruxelles fait en outre part de ses doutes sur le caractère réglementaire de certains éléments du PSN, dont la certification haute valeur environnementale, que d’aucuns qualifient de "bio low cost" (voir notre article du 23 novembre 2021). Elle dresse in fine de multiples préconisations, allant d’ "une redistribution équitable et un ciblage plus efficace des aides aux revenus" à la mobilisation des instruments de soutien pour augmenter la génération des énergies renouvelables, en particulier du biogaz (voir notre article du 29 avril).

Parties prenantes dans l’expectative

Reste aujourd’hui à la France à apporter les éclaircissements demandés, et à corriger ce qui doit l’être, au moins de son point de vue. Julien Denormandie a d’ores et déjà prévenu que le délai de trois semaines demandé par la Commission ne sera pas tenu. Le ministre invoque le "choix fait par la France de coconstruire sa proposition de PSN avec les régions, autorités de gestion de certaines mesures du second pilier de la PAC", un "travail partenarial" qui "doit également se poursuivre pour aboutir à des réponses partagées". Le ministre indique qu’ "une réunion de concertation avec les parties prenantes" devait intervenir "fin avril ou début mai" à cette fin.

Chez Régions de France, où l’on déplore avoir découvert la lettre du ministre dans la presse, on indique à Localtis qu’aucune réunion n’est pour l’heure programmée – et l’on regrette plus globalement l’absence de perspectives offertes. Une chose est sûre : les régions n’entendent pas "modifier les équilibres pour arranger l’État" : "pas de réduction de crédits, pas de nouvelles contraintes, de fléchages notamment", prévient-on. Elles espèrent surtout que l’approbation du PSN ne sera pas retardée, rejetant l’argument du contexte électoral, "qui était prévisible". Elles se montrent d’autant moins compréhensives que "l’an passé, le ministre a maintenu un calendrier intenable pour les régions, sans tenir compte du renouvellement de leurs exécutifs".