Olivier Lluansi dévoile les grandes lignes de son "parcours fléché" pour la réindustrialisation

Chargé par Bercy d'une mission sur la réindustrialisation à l'horizon 2035, l'ancien délégué interministériel aux Territoires d'industrie Olivier Lluansi a livré, mercredi, quelques pistes du rapport qu'il remettra à la fin du mois d'avril au gouvernement. Selon lui, la commande publique pourrait à elle seule résorber un quart du déficit de la balance commerciale des biens.

"La remontada va être longue, il faut environ deux décennies." Devant le salon Global Industrie qui se tient jusqu'à vendredi à Villepinte (Seine-Saint-Denis), l'ancien délégué interministériel aux Territoires d'industrie Olivier Lluansi a prévenu, mercredi 27 mars, que la marche de la réindustrialisation est encore haute. "Même en se mobilisant fortement", en 2035, on n'aura fait "que la moitié du chemin", a ajouté celui qui a été chargé par Bercy d'une mission sur la réindustrialisation à l'horizon 2035. Alors qu'il doit remettre ses conclusions à la fin du mois d'avril, il a dévoilé les grandes lignes de son "parcours fléché" de la réindustrialisation. 

Si, après 40 ans de déprise industrielle, la "réindustrialisation" s'est imposée dans le discours politique, certaines conditions s'imposent pour remettre la table à l'endroit. Il faut trouver le bon rythme, a-t-il souligné : ne pas espérer aller trop vite en besogne, les capacités électriques du pays ne suivraient pas et il faudrait recourir à une industrie "carbonée", à contresens de l'"alliance industrie-environnement" qu'il aspire de ses voeux. Mais il faut aussi aller suffisamment vite pour créer des emplois et éviter de revivre une crise sociale du type de celle des gilets jaunes. Selon lui, pour 2035, il faut déjà viser une balance commerciale manufacturière positive, quand elle enregistre un déficit annuel de 60 milliards d'euros. Ce qui correspondrait à la création de 50.000 emplois industriels par an. "Une vraie accélération" par rapport au rythme actuel. Aujourd'hui, l'industrie pèse pour 10% du PIB, ce qui place la France aux derniers rangs de l'Union européenne, devant la Grèce. L'objectif raisonnable pour 2035 serait d'atteindre entre 12 et 13%, estime Olivier LLuansi.

"Le Made in France est le passager clandestin de nos politiques publiques"

Il veut tout d'abord susciter un sursaut patriotique en recourant de manière beaucoup plus volontariste à la commande publique. "Le Made in France est le passager clandestin de nos politiques publiques", dénonce-t-il. "Avec les achats publics, on pense qu'on peut acheter 15 milliards d'euros par an en plus de bien manufacturiers. (…) C'est un quart de notre déficit commercial manufacturier." La mission pilotée par Olivier Lluansi a identifié un potentiel équivalent pour l'achat privé. "Est-ce normal d'acheter des plaques de voitures en Chine, en Inde ou en Turquie quand on en a à Pont-à-Mousson ?", a-t-il tancé. "Il suffit qu'on fasse jouer les clauses miroirs, qu'on calcule le coût complet - avec tout ce que les emplois peuvent apporter en France- pour découvrir qu'il revient moins cher d'acheter du Made in France que d'importer ces produits-là."

Mener un combat asymétrique

Seulement, reconnaît Olivier Lluansi, il y a un "souci" : jouer la "compétition loyale" dans un monde où la concurrence est de plus en plus féroce est perdu d'avance. Il faut, selon lui, mener un "combat asymétrique", une "guérilla", en commençant par une centaine de produits, pour reprendre des positions. Cela imposera un rapport de force avec Bruxelles qu'il faudra assumer car "c'est absolument vital pour notre modèle social". Les mesures de rétorsion appelleront des "mesures de contre-rétorsion".

Il faudra aussi trouver les financements pour contrer les offensives des autres pays, comme l'Inflation Reduction Act (IRA) américain, "qui est la pompe aspirante de nos projets". 200 milliards d'euros seraient nécessaires pour accompagner la réindustrialisation, soit 3% des 6.000 milliards d'euros d'épargne des Français. C'est l'équivalent de ce que les Français détiennent en bons du trésor américains pour financer l'IRA, a-t-il dénoncé. 

Olivier Lluansi a aussi mentionné deux autres enjeux : la formation et les territoires. Sur le premier point, globalement, le nombre de formations est suffisant mais "50% des personnes formées aux métiers industriels vont faire autre chose" et ce parce que "l'image de l'industrie s'est beaucoup dégradée". Or avec 60.000 postes non pourvus chaque année, l'industrie française perd 5 milliards d'euros de valeur ajoutée. S'emparer du sujet assurerait un retour sur investissement aux entreprises…

Les Territoires d'industrie, "ça marche"

Enfin, l'ancien responsable des Territoires d'industrie invite à ne pas se focaliser uniquement sur les innovations de rupture, comme le fait le programme France 2030, ni sur les ETI ou les grands groupes. "Il faudrait soutenir l'ensemble de nos projets de réindustrialisation. Soutenir l'innovation de rupture, c'est bien, c'est indispensable, mais cela ne suffira pas", souligne-t-il, indiquant que les hautes technologies ne représentent que 20 à 30% du potentiel de réindustrialisation.

Un point sur lequel il est rejoint par le président d'Intercommunalités de France, Sébastien Martin, fervent défenseur des Territoires d'industrie, qui a pris la parole un peu après lui sur la "grande scène" du salon. "Une intercommunalité sur deux est engagée dans ce programme qui permet d'avoir un binôme entre un élu et un chef d'entreprise pour définir ensemble une stratégie de développement autour de l'industrie, sur le foncier, les compétences, l'habitat, etc. (…) Cette dynamique est en train de prendre, ça marche", a assuré le président du Grand-Chalon.

 

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