Numérique éducatif : le Cese en appelle à la coordination entre l'Éducation nationale et les collectivités
Comme la Cour des comptes avant lui, le Conseil économique, social et environnemental dresse un tableau plutôt sombre du numérique éducatif. Au cœur de ses critiques : le manque de coordination entre l'État et les collectivités, mais aussi les choix contestables de ces dernières.
Le numérique éducatif fait couler beaucoup d'encre. Il y a eu la Cour des comptes en 2019, le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) en 2020, les états généraux organisés par le ministère de l'Éducation nationale, toujours en 2020, puis de nouveau la Cour des comptes en 2021 à propos de la continuité pédagogique engagée durant les épisodes de confinement. Cette fois, c'est le Conseil économique, social et environnemental (Cese) qui y va de son rapport, publié début avril 2021. Un simple rapport de plus ? Oui et non. Oui, car dans ses grandes lignes, il reprend les enseignements déjà mis en lumière par la Cour des comptes. Non, car il donne des éclairages nouveaux, notamment sur l'action des collectivités territoriales dans le numérique éducatif et son articulation souhaitée avec le corps enseignant.
Faible coordination
Globalement, le Cese juge qu'en dépit de l'existence d'"opérateurs du système éducatif innovants", les politiques publiques restent "inachevées". Il écrit : "La multiplicité des acteurs (ministère de l'Éducation nationale, collectivités locales, opérateurs publics, acteurs privés…) impliqués dans la conception et la mise en œuvre de projets éducatifs numériques, la faible lisibilité des rôles et compétences de chacun dans ce domaine, la faible coordination aux niveaux national et local, etc., constituent autant de freins en l’absence d’un véritable cadrage national." Quant au Comité des partenaires du numérique éducatif, de niveau national, il "peine à remplir son rôle de concertation entre l’État et les collectivités territoriales et à faire remonter du terrain les attentes, les besoins et les dysfonctionnements".
Financement déséquilibré
Se pose également la question du financement. Le Cese rappelle que si les trois niveaux de collectivités ont investi pour 2 milliards d'euros dans le numérique éducatif de 2013 à 2017, l’État n'a déboursé que 300 millions sur la même période, alors que son engagement initial était annoncé à hauteur d’un milliard. "La contribution de l’État est déséquilibrée par rapport à celles des collectivités territoriales", pointe le Cese. Et cela a des conséquences sur la fracture numérique : le financement des petites communes reste trois fois inférieur à celui des grandes et les départements les plus fragiles en matière numérique sont majoritairement ruraux. "Les difficultés des élues et élus locaux à conduire des projets de numérique éducatif cohérents et de grande ampleur peuvent s’expliquer par le manque de lisibilité des dispositifs de financement et d’ingénierie mobilisables", estime le Cese.
Communication politique
Quand elles financent de manière volontariste et massive, les collectivités, et en particulier les régions, n'ont pas tout bon pour autant. Le Cese déplore ainsi la "distribution de tablettes à tous les élèves sans utiliser nécessairement des critères sociaux", s’interroge sur l’intérêt d’attribuer un ordinateur portable à un jeune qui en possède déjà un personnellement et dénonce des opérations qui, tout en visant "indéniablement à améliorer l'équipement numérique des élèves et des établissements scolaires […] sont aussi parfois menées dans un but de communication politique sans lien avec les besoins des équipes pédagogiques des établissements scolaires concernés voire des élèves et de leurs familles".
Acquisitions concertées
Pour le Cese, la "question de l'utilité et de l'utilisation effective des équipements numériques mis à disposition n'est pas toujours posée de façon suffisamment concertée". En la matière, le rapport met l'accent sur les manuels scolaires numériques, dont l'achat par la collectivité ne prend pas toujours en compte le souhait d'équipes pédagogiques qui souhaiteraient conserver un manuel papier. Surtout, il rappelle que "la mise à disposition et la maintenance par les collectivités territoriales d’outils et de contenus numériques ne doivent les amener à s’immiscer dans la pédagogie qui doit rester le domaine réservé de l’État". Le Cese encourage donc la concertation entre les équipes pédagogiques, qui sont à ses yeux "les seules à pouvoir déterminer si elles ont besoin de tel ou tel équipement", et les collectivités, "qui s’interrogent parfois sur l’utilisation effective des équipements numériques mis à disposition et hésitent parfois à les acheter étant donné leur manque de ressources financières". En d'autres termes, si les collectivités ne doivent pas marcher sur les plates-bandes de l'Éducation nationale, celle-ci doit avoir son mot à dire sur la politique d'acquisition des collectivités.
Sur le rôle des collectivités, le Cese conclut en apportant son soutien à la proposition de la Banque des Territoires visant à mettre en place une cartographie en ligne des sources de financement du numérique éducatif (Dsil, DETR, Feder, Siet, Edu Prêt, etc.) à destination des collectivités "afin de mieux hybrider les financements en lien avec les besoins de chaque territoire cartographié sur eCarto [Observatoire territorial du numérique éducatif, ndlr]".