Protection sociale complémentaire - Nouvelles modalités de participation de l'employeur : les agents seront-ils gagnants ?
Ça y est ! A partir d'aujourd'hui, 31 août, les agents territoriaux peuvent obtenir une aide de leur employeur pour les frais liés à une complémentaire santé, ou à un contrat de prévoyance permettant de conserver leur salaire à taux plein ou presque, en cas d'arrêt maladie prolongé ou d'invalidité. Certes, la chose est déjà possible depuis plusieurs années et un certain nombre de collectivités ont pris des initiatives offrant à leurs agents cet avantage qui, dans le secteur privé, est monnaie courante. Mais le socle juridique sur lequel s'appuyait l'intervention des employeurs a été mis en cause par le Conseil d'Etat et la Commission européenne. Il a donc été remplacé ces dernières années par un nouveau cadre législatif. Un décret du 8 novembre 2011 et une circulaire du 25 mai 2012 (liens ci-contre) sont venus préciser la mise en œuvre des nouvelles modalités de la participation des employeurs. Celles-ci entrent en vigueur ce 31 août concomitamment à la parution sur le site de la direction générale des collectivités locales (DGCL) de la liste des contrats et règlements d'assurance répondant aux critères définis par le décret de novembre dernier (lien ci-contre). Proposés par 55 mutuelles ou sociétés différentes, ces produits d'assurance sont au nombre de 96. Les agents qui voudront bénéficier de l'aide de leur employeur, si celui-ci décide d'en accorder une, devront choisir l'un de ces 96 contrats. Des agents territoriaux vont donc certainement faire le choix de changer d'assureur. Le responsable des affaires internationales d'un conseil régional, qui adhère à la Mutuelle des affaires étrangères et européennes, est par exemple l'un de ceux qui est concerné, puisque la mutuelle ne fait pas partie des organismes labellisés. Mais la grande majorité des territoriaux ne subira pas cette contrainte, car tous les grands acteurs du marché de l'assurance des territoriaux ont obtenu le label. La seule démarche que les territoriaux devront en fin de compte accomplir pour bénéficier de l'aide de leur employeur, consistera simplement à remettre une attestation délivrée par l'assureur, prouvant que l'agent adhère à l'un de ses contrats. Ce sera une obligation si la collectivité a choisi de soutenir le personnel dans le cadre de la procédure dite de labellisation. Une procédure que les collectivités sont nombreuses à privilégier pour intervenir sur le risque santé. Outre sa simplicité, la solution a pour avantage de permettre aux agents de rester chez le même assureur en cas de changement d'employeur. C'est encore un bon point.
"Du beurre dans les épinards"
"Pour l'ensemble du personnel, l'aide viendra compenser un peu la faiblesse des salaires", réagit sur son site internet la section CFDT des agents de la ville de Vincennes, rappelant que le point d'indice des fonctionnaires est gelé depuis deux ans. Ceci est vrai dans les collectivités qui ont décidé d'être généreuses avec leurs agents. Comme le conseil régional de Champagne-Ardenne, qui verse une aide équivalente à la moitié du coût du contrat souscrit par ses agents en prévoyance – un effort qui sera poursuivi au même niveau dans le cadre du nouveau régime juridique.
Les agents aux revenus modestes vont bénéficier pleinement de ce coup de pouce dans les collectivités qui choisiront de moduler leur aide, comme l'a autorisé le décret. Illustration avec le cas de la mairie de Vincennes, qui va verser mensuellement 32 euros aux agents de catégorie C (et à tous ceux qui sont en situation de handicap), 25 euros aux agents de catégorie B et 20 euros aux agents de la catégorie A. Une majoration unique de 10 euros sera accordée à tous les agents ayant des enfants. A Vincennes, comme à la région Champagne-Ardenne, l'aide sera versée avec le traitement mensuel.
Les employeurs territoriaux vont-ils être nombreux à utiliser les facultés qu'offre le décret de novembre 2011 pour aider leurs agents à disposer d'une meilleure couverture en santé, ou en prévoyance ? Il est encore difficile de le savoir précisément.
De fortes attentes chez les agents
"Ceux qui avaient mis en place un dispositif de participation antérieurement au décret vont seulement l'ajuster aux nouvelles règles, a priori sans remettre en cause le niveau de l'aide", estime Ludovic de Mornac, directeur de la société Alcega, qui conseille les collectivités sur le sujet. "De leur côté, les centres de gestion qui proposaient aux collectivités de leur département d'adhérer à un contrat mutualisé en matière de prévoyance, soit environ la moitié des centres de gestion, vont continuer à offrir ce service. Ils sont nombreux à préparer, actuellement, pour le compte des collectivités une convention de participation. Une fois finalisée, celle-ci permettra d'assurer les agents des collectivités qui le souhaitent. Ces initiatives semblent répondre à une demande forte des collectivités", indique l'expert. "Sur les 440 collectivités affiliées à notre centre, 274 collectivités représentant un potentiel de 9.000 agents nous ont donné un mandat pour lancer la procédure de convention de participation dans le domaine de la prévoyance. En revanche, les collectivités non affiliées n'ont pas répondu à notre proposition", indique Annie Letty-Kaeribin, directrice générale adjointe du centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère.
Les collectivités qui jusqu'à maintenant finançaient une partie du coût des contrats d'assurance santé ou prévoyance de leurs agents étaient "loin d'être majoritaires", affirme Jacques Bride, secrétaire fédéral adjoint de la Fédération Force ouvrière des services publics et des services de santé. Mais "la publication du décret, les fortes attentes des agents sur cette question en cette période difficile économiquement et la mobilisation des organisations syndicales provoquent un regain d'intérêt de la part des employeurs publics", observe Eric Mazaranoff, président de la Mutuelle nationale des fonctionnaires des collectivités territoriales (MNFCT).
Une aide facultative pour les employeurs
En outre, un certain nombre d'entre eux sont sensibles à la précarité de la situation de leurs agents qui ont des faibles salaires. Les fins de mois étant difficiles, ceux-ci ne peuvent pas toujours se permettre d'adhérer à une mutuelle santé, encore moins à des garanties en prévoyance. Lorsque l'agent tombe malade, sa situation s'aggrave. C'est pour éviter de tels drames que les employeurs font un geste financier et les incitent à avoir une mutuelle. "C'est un axe essentiel de notre politique de ressources humaines", déclare Frédéric Iacovella, directeur général des services de la mairie de Vienne, qui après avoir mis en place un dispositif d'aide pour la prévoyance, va faire de même pour la complémentaire santé.
Si le contexte pousse les collectivités à agir, celles-ci restent cependant totalement libres. "La participation des employeurs territoriaux à la mutuelle de leurs agents n'a pas de caractère obligatoire, contrairement à l'action sociale qui est incontournable depuis 2007. De plus, l'aide ne comporte pas de plancher – elle doit seulement être supérieure à zéro", rappelle Jacques Bride. Ce qu'il regrette d'autant que "le contexte actuel, dans lequel les collectivités cherchent à maîtriser leur masse salariale, n'est pas très favorable".
Conséquence : dans de nombreuses collectivités, la prise en charge des frais de mutuelle pourrait n'être que symbolique. Le risque est en outre plus grand dans les petites collectivités, qui ont souvent des moyens limités. "Les inégalités déjà importantes entre la situation des agents des petites collectivités et celle des grandes collectivités pourraient donc se creuser encore", déplore le représentant syndical Force ouvrière.
Au-delà de l'aide financière qu'ils peuvent apporter, les employeurs ont un rôle très important en matière d'information des agents sur les enjeux d'une couverture complémentaire, notamment pour les risques statutaires. Au-delà de 90 jours d'arrêt maladie, un agent ne perçoit plus que la moitié de son salaire, ce que certains ignorent.
Thomas Beurey / Projets publics
Plus grande, la concurrence va-t-elle profiter aux assurés ?
Le secteur de l'assurance santé et prévoyance qui, hier, était la chasse gardée des mutuelles de la fonction publique, va connaître une concurrence plus vive. Les assurés vont-ils tirer avantage de la nouvelle donne ? Ludovic de Mornac en est convaincu. "Indépendamment de la participation de l'employeur, les agents vont gagner du pouvoir d'achat du fait de la concurrence, que celle-ci, d'ailleurs, soit organisée par la collectivité par une convention de participation, ou qu'elle découle de la décision de l'agent de comparer les prix entre les opérateurs." Autre conséquence a priori positive : la mise en place de la labellisation est l'occasion pour certains acteurs de "rénover leur gamme de produits". Les garanties proposées aux agents pourraient ainsi être améliorées.
D'ici trois ans, le marché de l'assurance santé et prévoyance des agents territoriaux pourrait avoir évolué assez profondément, estime le directeur d'Alcega conseil. Les sociétés d'assurance et les institutions de prévoyance commencent à arriver sur un marché qui, avec 1,8 million d'assurés potentiels – sans compter les ayant-droits – n'est pas mince. L'enjeu financier est quant à lui immense, sachant qu'un contrat représente en moyenne une cotisation de 1.100 euros par an.
Les sociétés privées pourraient rapidement gagner du terrain. "L'assureur retenu par la collectivité par la voie d'une convention de participation pour le risque prévoyance, proposera aux agents individuellement des contrats en santé dans le cadre de la labellisation. Il le fera d'autant plus facilement qu'il aura accès au fichier des agents. Il pourra aussi proposer d'autres produits, comme l'assurance emprunteur", révèle Ludovic de Mornac.
T.B.